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PASCAL. LES PENSEES, IMPARTIE


social assure à l’homme des avantages personnels, c’est pourquoi il l’accepte, car il accepte toujours ce qui sert ses intérêts. Ceux qui gouvernent doivent s’en souvenir. « Sachez que vous n’êtes qu’un roi de concupiscence et prenez les voies de la concupiscence. » Fr. 314. Cf. fr. 335.

£7 chose qui montre bien ce que vaut la raison : de tels principes ont des résultats plus heureux que les principes les mieux établis par la raison. Il peut bien n’être pas très conforme à la raison de « distinguer les hommes par le dehors, comme par la noblesse ou par le bien », fr. 324, d’accepter pour roi « le premier fils d’une reine », fr. 320, voire « un sot qui succède par droit de naissance », fr. 313, comme si l’on choisissait « pour gouverner un vaisseau, celui des voyageurs qui est de la meilleure maison ». Fr. 320. Mais, « à cause du dérèglement des hommes, les choses les plus déraisonnables deviennent les plus raisonnables. » Ibid. « Ce qui est fondé sur la raison n’atteint pas son but social, la paix. » Cf. fr. 319 et 320. « Si Platon et Aristote ont écrit de politique », c’était « comme pour régler un hôpital de fous ». Fr. 331. Tout cela est « l’ordre de Dieu qui, pour la punition des hommes, les a asservis à ces folies ». Fr. 338.

Conclusion. « En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, en regardant tout l’univers muet et l’homme sans lumière, j’entre en effroi ; comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable et qui s’éveillerait sans connaître où il est et sans moyen d’en sertir. Et sur cela j’admire comment on n’entre point en désespoir d’un si misérable état. » Fr. 693.

b) L’homme ne peut nier sa misère ; il a cependant une vraie grandeur. — Cette misère est réelle. Mais « l’homme passe infiniment l’homme ». Fr. 434. L’univers l’écrase, mais par le fait qu’il pense, l’homme se place à un ordre infiniment supérieur. Il y a, en effet, « une distance infinie des corps aux esprits » et « tous les corps ne valent pas le moindre des esprits ». Fr. 793. « Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends. » Fr. 348. « L’homme n’est qu’un roseau… mais c’est un roseau pensant. » Fr. 347. « Sa grandeur se conclut même de sa misère. » S’il a ces trois besoins profonds de vérité, de bonheur, de justice qu’il n’arrive pas à satisfaire, si ses facultés n’atteignent jamais complètement les choses, et si tout cela est misère, du moins il a ces besoins, ces facultés, et cela est grandeur. D’autre part, l’homme a conscience de sa misère et cela implique le souvenir d’une grandeur passée. « Ce qui est nature aux animaux, nous l’appelons misère en l’homme, par où nous reconnaissons que sa nature étant aujourd’hui pareille à celle des animaux, il est déchu d’une meilleure. » Fr. 409. « C’est être grand que de connaître que l’on est misérable. » Fr. 397. « Misère de l’homme, misère d’un roi dépossédé. » Fr. 398. Cf. fr. 416.

Enfin, de sa misère même, l’homme a su tirer des effets qui ne sont pas sans grandeur. « On a fondé et tiré de la concupiscence des règles admirables de police, de morale et de justice », fr. 453 ; c’est « comme un tableau de la charité », fr. 402 ; « les raisons des effets marquent la grandeur de l’homme, d’avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre. » Fr. 403. Cf. Nicole, Traité de la grandeur, c. iv.

c) L’homme se résume donc en contradictions. Comment expliquer et concilier ces contradictions ? Tel est le problème de l’homme. — « Deux choses avertissent l’homme de toute sa nature, l’instinct et l’expérience », fr. 390, autrement dit, les aspirations et la réalité. Mais quel contraste 1 « La nature de l’homme se considère de deux manières : l’une selon sa fin et alors il est grand ; l’autre selon la multitude, comme on juge de la

nature du cheval et du chien, d’y voir la course, el alors, il est abject et vil. » Fr. 415. Nous ne pouvons ni égaler nos forces à nos aspirations, ni réduire nos aspirations à nos forces, on l’a vu. « S’il n’y avait que la raison sans passions. S’il n’y avait que les passions sans raison. Mais ayant l’un et l’autre, il est toujours divisé et contraire à lui-même. » Fr. 412. Cf. fr. 417, 418, 423. « Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? Quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction ! » Fr. 434. Cf. fr. 437.

2. Seule la religion chrétienne résout l’énigme de l’homme. — L’homme est donc plus qu’imparfait, « un monstre incompréhensible ». Fr. 420. « Qui démêlera cet embrouillement ? » fr. 4.3 1, car il le faut débrouiller. a Se divertir » d’une telle question ne se comprendrait pas. Fr. 421.

On ne peut interroger que les philosophies ou les religions.

a) Les philosophies sont incapables de le résoudre. — Expressions de la sagesse humaine, limitée comme on l’a vii, il est au-dessus des philosophies de résoudre un tel problème. En fait, elles se montrent incapables de concilier dans le même sujet les contrariétés si visibles de l’homme ; elles se contentent de supprimer l’une d’elles et de ramener à l’autre, la nature humaine. Elles ne donnent pas ainsi la raison des effets et n’expliquent pas les faits. Cela se vérifie facilement.

Dans l’Entretien avec M. de Saci, Pascal avait ramené les doctrines philosophiques touchant la nature de l’homme aux systèmes d’Epictète ou des dogmatiques, et de Montaigne ou des pyrrhoniens, le premier « d’une superbe diabolique », ne voyant que la grandeur de l’homme et par conséquent ne rendant pas compte de ses trop visibles misères, le second ne voyant que la faiblesse et par conséquent ne rendant pas compte de son incontestable grandeur. L’Apologie maintient la distinction.

Sur la question de la connaissance, dit-elle, dogmatiques et pyrrhoniens s’opposent : pour les dogmatiques, « de bonne foi et sincèrement, on ne peut douter des principes naturels » et par conséquent de la puissance de la raison, pour connaître le réel. Mais les pyrrhoniens opposent : « Quelle preuve apportez-vous de la vérité des principes ? Le sentiment naturel » ; c’est tout. Or « l’incertitude de notre origine … renferme celle de notre nature », et « hors la foi », je ne puis savoir « si l’homme a été créé par un Dieu bon, par un démon méchant ou à l’aventure » ; et « hors la foi « , l’homme ne peut avoir « l’assurance …s’il veille ou s’ii dort ». Fr. 434. Au fond « le pyrrhonisme est le vrai », puisque « avant Jésus-Christ » les philosophes « devi naient sans raison et par hasard ». Fr. 432. Mais le pyrrhonisme ne rend pas compte de tout, car « si nous avons une impuissance de prouver invincible à toul le dogmatisme, nous avons une idée de la vérité invin cible à tout le pyrrhonisme ». Fr. 395.

Mêmes affirmations contradictoires sur l’aptitude de l’homme au bonheur. Le voyant « partagé entre l’orgueil qui le soustrait à Dieu et la concupiscence qui l’attache à la terre », les phil >sophes ne savent « ni quel est son véritable bien, ni quel est son véritable état ». Les uns, « les stoïques », lui ont dit : « Rentrez au-dedans de vous-mêmes », c’est là qu’est le bonheur. Ils l’ont ainsi précipité « dans la superbe » et déçu. « Les autres disent : Sortez en dehors ; recherchez le bonheur en vous divertissant », et ils l’ont également déçu. Fr. 465 ; cf. fr. 430.

Sur la propension de l’homme au bien, même opposition : « les uns considérant la nature de l’homme comme incorrompue, les autres comme irréparable. » Ceux-là, « s’ils connaissaient l’excellence de l’homme en ignoraient la corruption et se perdaient dans la su-