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PASCAL. LES PENSEES, INSPIRATION GÉNÉRALE
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cette agonie où se débat une intelligence sceptique, comment la foi a-t-elle vaincu ? » En 1923, dans la Revue de métaphysique et de morale déjà citée, M. de Unamuno étudiant La foi paseatienne fait de Pascal « un pyrrhonien » qui ne se résignait pas, « …qui avait besoin du dogme et le cherchait en s’abêtissant, qui a voulu se soumettre et qui n’a trouvé le repos qu’après la mort et par la mort », p. 348-349.

Or, fait remarquer G. Brunet, toc. cit., p. 577. s’il y a une certitude, c’est que Pascal croit sans la moindre hésitation. Déjà Havet, Pensées, t. i, Études sur les Pensées, p. viii, avait dit : « La vie de Pascal appartient à la foi tout entière. On ne saurait trouver dans cette existence si suivie un intervalle où on puisse supposer que la foi se fût retirée de lui. » Vinet, loc. cit., p. 77, après avoir parlé de l’édition Faugère, écrivait : < Mieux que jamais vous pouvez juger si Pascal avait de bonnes raisons d’être chrétien, mais à présent plus que jamais vous pouvez juger s’il l’était. » Et Remy de Gourmont, loc. cit.. qui va se demander ce qu’eût été Pascal « si, au lieu de se retirer à Port-Royal, il eût été rejoindre Descartes en Hollande », reconnaît qu’en fait, Pascal « n’est pas un homme qui se construit des preuves en rempart contre les assauts du doute. Il est assuré ; il a la foi ». Loc. cit., p. 152-154.

Mais alors comment expliquer le ton angoissé de Pascal ?

En 1910, "Barrés dans un livre sur l’Angoisse de Pascal, p. 82, disait : « L’elïroi de Pascal, c’est le silence éternel de ces espaces infinis », c’est le sentiment de la disproportion entre son intelligence « qui cherche la vérité totale » et les choses. « Cet éternel ignorabimus qui fait encore aujourd’hui soulîrir les hommes prédisposés à la grande curiosité, c’est proprement le mal de Pascal, o Le Mémorial est la réponse du ciel à son angoisse. C’est la vision qui commandera sa vie.

P. Valéry, Variation sur une Pensée, dans Revue hebdomadaire du 14 juillet 1923, p. 163-165, et dans Variété, p. 142-144, ne peut « s’empêcher de penser qu’il y a du système et du travail dans cette attitude parfaitement triste ». Il ne croit pas à l’entière sincérité « d’une détresse qui écrit si bien ». Sur l’attitude de P. Valéry à l’égard de Pascal, cf. J. Milon, Deux opinions sur Pascal, dans Revue d’histoire littéraire, janvier-mars, 1928, p. 1-22.

Mais Pascal ne parle jamais « par système », fr. 27, et il sait que « la vraje éloquence se moque de l’éloquence », fr. 4. Son langage lui est dicté uniquement par son tempérament fait d’imagination, de sensibilité et de passion, par sa foi et sa charité, « par les ressorts aussi qui font mouvoir le cœur de l’homme », fr. 15. Ici l’impression est plus forte, parce que dans l’Apologie les fragments sont isolés et non fondus. Mais, jusque dans les discussions mathématiques, il apporte une sensibilitépassionnée. « Dans cette intelligence fougueuse… connaître, c’est aimer. » Janssens, La philosophie et l’apologétique de Pascal, Paris, 1908, p. 266. Et dans l’Apologie, de quoi s’agit-il ? D’une chose où sa foi, son inspiration janséniste, son amour du Christ, centre de sa vie, lui donnent le désir passionné du succès et l’angoisse de l’échec. Il ne faut pas que le sang du Christ — telle goutte de ce sang — ait été versé inutilement pour telle âme. « Une idée de Pascal, dit M. Brunet, loc. cit., p. 598-599, ne se propose pas seulement de fairenaître desattitudes intellectuelles, mais d’obtenir des retournements de sensibilité, le retournement de tout l’homme. Dans chacune de ses idées, il semble que tout de lui palpite et saigne. » C’est ainsi que « ses Pensées sont le poème du cruel voyage humain dans l’ombre et l’affliction ». loc. cit., p. 590. Cf. P. Bourget, Études et portraits, t. i, 1889, p. 14-21.

2. Les Pensées sont-elles d’inspiration protestante ? — « Rien n’est plus faux, dit l’Encyclopédie des sciences

religieuses, art. Pascal, p. 245, que de peindre Pascal en proie à l’incertitude absolue, se jetant par désespoir et les yeux fermés dans les bras de la religion, mais ne parvenant pas, même au prix de ce suicide intellectuel, à y trouver la paix. » Mais il ne lui semble pas faux’de lire, dans les Pensées, les tendances fondamentales du protestantisme moderne. Pascal n’eût-il pas d’ailleurs un grand-père protestant ?

Vinet, tout en reconnaissant que Pascal est séparé du protestantisme par sa croyance à une Église visible et aux sacrements, par certaines aussi de ses Pensées, « où il est chrétien selon la norme de son Église et de son parti », juge qu’en d’autres fragments, il est « chrétien à sa manière », donc, dans la ligne du protestantisme : L’Église — autorité — n’est-elle pas « un hors-d’œuvre dans le système de Pascal ? » Et la doctrine, fondamentale pour Pascal, de « la foi du cœur » n’est-elle pas la doctrine protestante de la foi par le Saint-Esprit ? Pascal, « né dans la secte romaine et dans une secte de cette secte, y mourra. Mais, sans se séparer de la secte à laquelle on peut dire qu’il appartenait s’il la surpasse, le fond, chez lui, l’emporte sur la forme ; l’esprit distance le corps ». Loc. cit., t. v, De la théologie du livre des Pensées. Cf. C. Séquestra, D’un dualisme dans la pensée religieuse de Pascal, Montauban, 1895. Disciple de Vinet, Astié publiait, on l’a vii, en 1857, une édition des Pensées, où, suivant un de ses coreligionnaires, Rambert, qui étudiait cette édition dans la Bibliothèque universelle de Genève, mars, avril et mai 1858, il fait de Pascal, « bon gré, mal gré, un apologiste de sa façon et selon l’esprit de son école » et où le christianisme était démontré divin, « par la conscience humaine éclairée et consolée qui le déclare tel ». Sainte-Beuve, loc. cit., p. 616. Dans le Lien des 29 janvier et 12 février 1859, Frédéric Chavannes soutenait que, par leur jansénisme, les Pensées se rattachaient vraiment au protestantisme. Cf. Sainte-Beuve, ibid., p. 619. A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion, Paris, 1897, tire également Pascal au protestantisme libéral. De même avait fait M. Gory : Des Pensées de Pascal, considérées comme apologie du christianisme et des conditions actuelles de l’apologétique, Laigle, 1883. M. Souriau, Pascal, p. 153, faisait écho à Sabatier : « Son interprétation du christianisme, disait-il de Pasca, est si personnelle comme forme, qu’elle paraît bien se. confondre avec l’individualisme en matière religieuse, c’est-à-dire avec le protestantisme. » En 1923, dans Foi et vie, l er -16 août 1923, P. Doumergue parlait de Jean Calvin prédécesseur de Pascal, et dans Évangile et liberté du 4 juillet de la même année, le pasteur Bertrand, par un détour, tirait Pascal à lui : « Pascal, disait-il, ne conduit à aucune Église en parti culier, mais seulement à Celui qui est la raison d’être de toutes les Églises. »

Pascal se fût indigné de cette annexion. Mais en pareille occasion, comme le dit Saint-Beuve, loc. cit., p. 619, « repoussés du centre (Borne), attirés et invités par-delà la frontière, la situation des jansénistes apparaît dans toute sa fausseté ». Toutefois si « entre Port-Royal et Genève », la distance paraît parfois courte à franchir, c’est « une illusion ». Sabatier, Esquisse, p. 247, et, comme le dit avec beaucoup de justesse un autre protestant, « il est vain d’essayer d’arracher Pascal au catholicisme ».

3. Les Pensées sont-elles une suite des Provinciales, autrement dit une apologie du jansénisme contre les adversaires de Port-Royal ? — C’est la thèse de M. Souriau : « L’esprit des Provinciales souille pius fort que jamais dans les Pensées », dit-il, loc. cit., p. 185, cet esprit qu’il avait acquis « sous la triple pression du milieu où il s’était transformé, du pamphlet qu’il avait composé et où s’étaient développées les tendances agressives de sa nature, des circonstances, enfin, qui