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PASCAL. QUESTIONS POSÉES PAR LES PROVINCIALES


Pascal fait dire : « Les casuistes des autres ordres sont les disciples de nos Pères », tel Diana, un théatin qui appelle notre Vasquez le Phénix des esprits, 5e Provinciale, p. 318, il écrit : « Qu’importe qu’il y ait des casuistes de toutes les robes, si nul ordre n’en a compté de plus nombreux, de plus accommodants, de plus justement fameux que les jésuites. » Loc. cit., p. xv. Toutefois, Voltaire remarque avec raison des opinions condamnables : « On les aurait discernées aussi bien chez des casuistes dominicains et franciscains, mais c’est aux seuls jésuites qu’on en voulait. » Siècle de Louis XIV, loc. cit.

5. Pascal a-t-il eu tort d’exposer en français les problèmes de la théologie morale ? — Oui, a-t-on dit, car c’est soumettre ces questions à des incompétents et faire prendre des discussions d'école pour de réelles manières de penser. Arnauld attribue en partie à ce fait la mise à l’index des Provinciales.

Mais, disait Pascal, dès la 3e Provinciale, p. 219, cf. ibid., n. 1, 2, 3, ce sont les jésuites qui ont les premiers porté les questions théologiques devant le public : en des dialogues d’enfants, dans une tragédie, en décembre 1653 dans un almanach, le lundi gras à Mâcon en une procession bouffonne, ils ont fait rire de la grâce efficace et de Jansénius. Ce n'étaient pas là des questions morales, fait-on remarquer, et le P. Bauny exposait en latin ses théories sur les droits des valets, « crainte, disait-il, que sues et connues du même peuple, elles ne lui baillassent sujet de quelques libertés non louables ». Somme, p. 47. Le latin cependant n'était pas alors réservé aux gens de métier et ce n’est pas pour rien que Nicole traduisait en latin les Provinciales. Si le Liber théologies moralis d’Escobar eut — avant 165C — quarante-et-une éditions, « à qui fera-t-on croire, demande Brunetière, loc. cit., p.xii, qu’elles ont été consommées par les seuls confesseurs ? » Puis, dit le même défenseur de Pascal, il y a dans les livres des casuistes plus que des exercices d'école, cela ressort de leur allure et de leur contenu et, d’ailleurs, « on ne saurait réserver à personne le privilège de traiter la morale. » Ibid., p. xxviii.

6. Les résultats des Provinciales.

a) Entreprises pour défendre Arnauld et Port-Royal, elles ne les ont pas sauvés.

b) Continuées pour perdre les jésuites, elles leur ont rendu le service d’arrêter leurs casuistes sur une pente malheureuse, mais elles leur ont fait un tort immense. Si elles n’ont pas fourni au xviiie siècle toutes ses armes contre eux, cf. Démonstration des crimes et attentats des soi-disant jésuites, 2 in-8°, Paris, 1763, et l’article Jésuites de l’Encyclopédie, ni au xixe siècle tous les éléments de la légende du jésuite, telle que l’ont faite les Eugène Sue et les Paul Bert, elles ont du moins commencé la déformation de l’idée de jésuite dans l’opinion. Cf. A. Brou, S. J., Les jésuites de la légende. Première partie. Les origines jusqu'à Pascal, in-12, Paris, 1906, c. x et xi.

c) « Sans faire des Provinciales quelque chose d’analogue au Tartufe et de leur auteur une sorte de précurseur de Voltaire », Brunetière, loc. cit., p. xxvi, on peut dire que les Provinciales ont nui à la religion et à l'Église. Elles ont montré quelles armes étaient puissantes dans la polémique religieuse ; sur ce point « Diderot et Voltaire sont les disciples de Pascal ». Lanson, loc. cit., p. 27. Il a été facile d'étendre à toute l'Église ses attaques contre les jésuites. D’autre part, en appelant des théologiens à la religion, les Provinciales ont grandi l’importance de la raison. Surtout, vu le mouvement libertin qu’a créé, pour des causes sociales, politiques et religieuses, et avec le progrès de la raison, l’humanisme littéraire et philosophique, les Provinciales, en combattant le molinisme qui sauvegardait le libre arbitre et le mérite humain et, réduisant au mini mum le rôle de la grâce, pouvait s’accorder avec les doclrines d’un Lamothe le Vayer, …en combattant la casuistique qui, « tournant la loi par la considération des espèces, a l’avantage de laisser théoriquement entier l’idéal chrétien », etqui.se préoccupant d’adapter la morale aux changements survenus dans les mœurs, tenant compte aussi, dans l’appréciation morale de l’acte humain, de tous ses éléments intérieurs et extérieurs, permettait une discipline qui pouvait convenir à l’honnête homme, les Provinciales mettaient les âmes en demeure de choisir entre deux contraires, entre le monde condamné et une Église où on ne peut vivre. Cf. Blanchet, L’attitude religieuse des jésuites, dans Revue de métaphysique et de morale, 1919, p. 477 sq, 617 sq.

d) « En s 'adressant au monde et sur le ton du monde, a dit Sainte-Beuve, loc. cit., p. 260, Pascal a hâté l'établissement de ce que j’appelle la morale des honnêtes gens. » Mais, si les Provinciales ont hâté cet établissement, c’est contre la volonté de leur auteur et bien indirectement. Au contraire, en insistant sur cette idée que « la religion n’est rien, si elle n’est pas le fondement de la vie morale et un principe actif d’amélioration intérieure », Lanson, loc. cit., p. 26, et en dénonçant le péril que courait la conscience chrétienne de sombrer dans le relâchement de l’hypocrisie dévote, non seulement, elles amèneront en France l’abandon de la casuistique en vigueur, mais « elles provoqueront l’apparition de tout un nouveau système de théologie morale dont l’autorité s’imposera à peu près exclusivement pendant deux siècles ». Degert, Réaction des Provinciales sur la théologie morale en France, dans Bulletin de littérature ecclésiastique de Toulouse, novembre 1913.

Les principales éditions des Provinciales après Pascal. — Cf. Maire, loc. cit., t. ii, p. 190 sq. Il faut signaler : l'édition en quatre langues : Les Provinciales traduites en latin par Guillaume Wendrock, en espagnol par le sieur Gratien Cordero de Burgos et en italien par le sieur Cosimo Brunetti, gentilhomme florentin, à Cologne, MDCLXXXIV, in-8°. Les Provinciales avec les notes de Wendrock traduites en français sur la seconde édition de 1660 (1679), s. 1., MDCXCIX (par Mlle de Joncoux), en réponse aux Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe ; — la première traduction allemande : Die Sitlen Lehre und Politique derJesuiten. Ersfer Theil, Verfassend Die Provinciales oder achtzen Briefe des Herrn Biaise Pascal, aus dem /ranzôsischen iiberseizt, s. 1. Zweiter Theil, verfassend die gehrime Instructiones der Jcsuiten zur Befôrderung ihres zeillichen Interesse gelreulich in deutsch iibersetzt, s. 1., in-8°, 1740 ; cl. I.. Weber-Silvain, Les Provinciales en Allemagne, Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, 1912.

Les principales réfutations des Provinciales après Pascal. — 1° Les jésuites, dit-on, pensèrent d’abord confier la tâche de réfuter Pascal à Bussy-Rabutin, cf. Sainte-Beuve, loc. cit., p. 221. Enfin, en 1694, l’un d’eux, le P. Daniel, provoqué par l'éloge littéraire des Provinciales qu’avait fait Charles Perrault dans son Parallèle des anciens et des modernes, publia sept Entreliens de Cléandre et d’Eudoxe, in-8°, Cologne (Rouen), dont voici la table des matières. II y en a sept : 1 er Enl retien : Lesujetet l’occasion de ces Entretiens. Histoire des Provinciales, p. 1-22 ; 2e Examen de la politique des jésuites, selon le système qu’en a fait Pascal, p. 22-56 ; 3e De la doctrine des opinions probables, p. 56100 ; 4e Sur le même sujet, p. 100-142 ; 5e Examen de la - 4' et de la 5e Provinciale, p. 142-196 ; 6e Examen de la l n Provinciale, sur la pureté du langage, le style, les règles du dialogue. Examen de la 6e Provinciale, p. 196282 ; 7e Examen de la 10e Provinciale, touchant le reproche que Pascal y fait aix jésuites d’enseigner que l’amour de Dieu n’est piint nécessaire au salul, p. 282-319 ; examen de la distinction di probable en pratique et du probable en spéculation, par rapport à la 7e et à la 13e Provinciale, p. 319-334 ; examen de la doctrine de la direction d’intention, par rapport à la 7e Provinciale, p. 334-342 ; examen de la doctrine des éqiivoq -es et des restrictions mentales, par rapport à la 9e Provinciale. — C'était trop tard : l’effet desProuincia/es était produit ; cf. Sainte-Beuve, ibid., p. 222. Le livre à peine paru fut retiré, puis supprimé : il attaquait Nicole-Wendrock, vieillard alors respecté de tous, et l’arche-