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2103 PASCAL. QUESTIONS POSÉES PAR LES PROVINCIALES 2104

Royal. » Mais il ne faut pas oublier que Pascal fait précéder le : « Je ne suis pas de Port-Royal » du mot : « Je suis seul », qui est contraire aux faits.

Enfin G. Lanson, Après les Provinciales, loc. cit., p. 11, écrit : « Par la force de son imagination esthétique, il pouvait se croire de bonne foi dans un personnage fictif et il pouvait écrire sans mensonge, parce qu’il le dit au nom de son imaginaire Montalte, hors de nom par définition et sans nul engagement, ce qui, dit en son propre nom, serait mensonge ou eseobarderie. »

M. Spoerri, A propos de la sincérité de Pascal, dans Revue d’histoire littéraire, 1923, p. 311, explique, d’après le contexte dans la 77e Provinciale : n Du moment que la vérité est en cause, je me détache ici de ma propre personnalité ; c’est la vérité qui parle, ce n’est pas moi et la vérité n’est pas attachée à PortRoyal. »

3. La théologie des Provinciales. — a) Dogmatique.

-Elle exprime fidèlement la pensée de Port-Royal sur

la grâce et sur l’obéissance au pape. Voir col. 2155 sq.

b) Morale. — La critique pascalienne de la casuistique contemporaine procède de la doctrine morale de Port-Royal, « un rigorisme géométrique », a dit Remy de Gourmont, Le chemin de velours, in-8°, Paris, 1902, xiv, Le probabilisme.

Elle est « le contraire d’une morale indépendante », Giraud, Pascal, l’homme, l'œuvre, in-12, Paris, 1922, p. 187, et même d’une morale rationnelle. Étant donnée la corruption de la nature, c’est un renversement des choses, d’interroger sur la morale, comme sur la théologie, la raison humaine. Il n’y a pas de morale naturelle. La morale est positive. Ses principes sont ceux de l'Écriture, des Pères, surtout saint Augustin, en un mot, de la Tradition. Elle est donc absolue dans ses applications comme dans ses principes. Celui qui devait représenter l’humanité comme un seul homme allant de lumière en lumière n’admet, en morale, ni évolution, ni progrès. La morale d’aujourd’hui doit être celle des chrétiens des premiers temps. Cf. Comparaison et Pensées, fr. 904 : « Les anciens ont-ils donné l’absolution avant la pénitence ? »

Le caractère de cette morale est un ascétisme rigide. Aucune distinction entre conseils et préceptes. Un seul idéal, ou plutôt une seule règle pour tous les chrétiens. Étant donnés le dérèglement de ses appétits spirituels et sensibles et le mystère de l'élection divine, le chrétien doit vivre dans le sentiment du péché et dans une réaction permanente contre la concupiscence, c’est-à-dire contre l’attirance de son bien particulier : il doit détruire en lui-même ambition, amour, attachement aux jouissances terrestres et sentiment humain de l’honneur, ne tenir aucun compte des exigences de la vie économique et presque de la vie sociale, empêcher les affections légitimes d'être prédominantes.

Une action est bonne quand, en elle-même, elle est conforme à la règle posée par la Tradition ; mais il faut encore qu’elle soit accomplie avec une intention déterminée. C’est là une condition essentielle de la bonne action morale. Or, étant donné l’aversio mentis a Deo qui suit dans l’humanité déchue le péché originel, l’homme qui veut faire le bien ne peut avoir une autre fin que l’amour de Dieu. Mais cela suppose un renversement de la volonté par la grâce. Sans ce renversement, il ne peut y avoir ni amour actuel de Dieu, ni véritable observation des commandements, — sans la grâce, cette observation ne serait que pharisaïsme, — ni amour affectif des mystiques.

Il faut donc ne parler de l’influence de l’intention, qu’en ce sens seulement que l’homme agit ou sous l’impulsion de l’amour de Dieu, autrement dit de la grâce, ou sous l’impulsion de la concupiscence, autre ment dit de la nature déchue. Pas de nuances. En face d’un cas de conscience, — pour savoir quel devoir choisir et non quelle licence prendre, — le chrétien n’a que faire des raisonnements de la casuistique ; il n’a qu'à suivre l’impulsion de la charité, autrement dit de la grâce, parce que la charité est la condition du bon exercice de l’intelligence. Or, cette charité est propre à chacun : ses solutions n’ont rien d’une solution pour tous : Pascal supprime ainsi en fait la casuistique. L’on comprend aussi dès lors qu’il n’y ait pas de conciliation possible entre l’aversio mentis a Deo et la conversio ad Deum ; que l’ignorance du droit ou de la loi, conséquence de la concupiscence, n’excuse pas de la faute ; que Vattrition ne suffise pas pour le pardon des péchés, pas plus que pour le salut ne suffisent les pratiques dévotes sans un actuel amour de Dieu et sans pénitence.

4. Pascal et la morale des casuistes et des jésuites. — a) Du point de vue janséniste Pascal ne pouvait, à priori, accepter leur morale. - — « Des pécheurs justifiés sans pénitence, des justes justifiés sans charité, tous les chrétiens sans la grâce de Jésus-Christ, Dieu sans pouvoir sur la volonté des hommes, une prédestination sans mystère, une rédemption sans certitude. > Pensées, fr. 884. Pascal ne pouvait porter un autre jugement sur l'œuvre de théologiens partant de cette idée que, si la morale chrétienne est immuable en ses principes, elle doit, étant donnée l'évolution des sociétés, adapter ses applications aux conditions nouvelles des sociétés. Autrement dit, que les choses prennent, en face des principes, une autre valeur pratique ; de théologiens ayant de l’homme cette idée que la raison naturelle, en dehors de toute action de la grâce, est une lumière et que, dans l’appréciation morale des choses, elle a sa valeur, et aussi que l’homme est libre de son choix moral, d’une véritable liberté et qu’ainsi son intention immédiate, intrinsèque à l’acte, variable à son gré, peut faire varier, dans une certaine mesure, la moralité de ses actes, cf. Pensées, fr. 907 ; de théologiens jugeant enfin qu'étant donnée la rédemption, les conditions du salut doivent être plus faciles au chrétiennes sacrements ayant leur effet propre ex opère operato, et qu’ainsi il n’est pas nécessaire d’avoir expié ses péchés pour que l’absolution produise ses effets et que Vattrition suffit, cf. Pensées, fr. 923, et, qu’en dépit de la Neuvième Provinciale, « d’une ironie si intellectuelle et si féroce », Bellessort, Nos missionnaires…, dans Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1931, p. 365, les dévolions ont leur valeur.

b) D’autre part, il était inévitable que, dans ce travail d’adaptation et de renouvellement, dans le jugement sur la valeur morale des actes, des choses, les casuistes dépassent la mesure. — « On peut voir, dans les Provinciales, une arme de combat, dit le P. Mandonnet, O. P., La position du probabilisme dans l'Église catholique, dans Revue thomiste, mars 1902, p. 5 sq., mais on doit y reconnaître une protestation indignée du sens chrétien. » Et le P. Mandonnet rappelle les condamnations portées contre le probabilisme par Alexandre V 1 1 et Innocent XI. Il faut bien reconnaître, d’ailleurs, que la conscience et la théologie modernes approuvent le principe général de la casuistique en question. Ce qui a été condamné, ce sont les excès inévitables de la première application. En pareille matière il était impossible que tous les esprits trouvassent du premier coup la juste mesure. Tout particulièrement, avecl 'attention que les casuistes portent aux conditions intérieures de l’acte humain, à l’intention spécialement et à son influence sur la moralité de l’acte, ils fureul plus ou moins amenés à négliger la valeur morale des actes en eux-mêmes.

c) Mais Pascal n’a-t-il pas calomnié? — a. Les jésuites qu’il cite ? — Avant Nouët, les jésuites avaient accusé Pascal de citations fausses ; cf. Réponses aux