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PASCAL II. LUTTE AVEC HENRI V


par demander au roi la renonciation aux investitures ; l’empereur veut, au contraire, qu’on lise d’abord le document papal. Cette lecture fait sur tous les assistants une violente impression de surprise. Universis in faciem ejus resistentibus et decreto suo planam hæresim inclamantibus, scilicet episcopis, abbatibus, tam suis quam nostris et omnibus Ecclesiæ filiis, dit la narration impériale. Le récit pontifical nous montre les évêques allemands, accompagnés de plusieurs évêques lombards, se retirant pour délibérer, dans le secretarium avec l’empereur et les grands. La délibération fut très longue et sans doute houleuse. Les évêques revinrent enfin et leur première démarche aurait été un geste de soumission : ad pontificis vestigia corruerunt et ad oris oscula surrexerunt ; mais les « familiers du prince » apparurent et la discussion reprit de plus belle autour du pape. L’écrit en question, disait-on, ne pouvait être sanctionné en justice. Les partisans du pape répondaient, en justifiant la renonciation des clercs à tous les soucis temporels. Dans toute cette confusion le temps passait, le jour tombait déjà que la messe n’était point commencée. Du couronnement impérial il n’était plus question, seuls les plus optimistes osaient encore proposer qu’on y procédât sur l’heure, et que l’on remît à huitaine la suite de la négociation. En fait, le pape et son entourage, gardés par les soldats, faisaient déjà figure de prisonniers. Quand la messe eut été célébrée, non sans peine, on ne permit plus au pape de rester dans sa chaire épiscopale ; la nuit venue, lui et tout son monde, désormais gardés à vue, étaient enfermés dans l’hospitium extra ecclesiæ atrium. Ainsi se terminait la première péripétie du drame.

Le lendemain, les Romains se soulèvent et essaient de forcer la cité léonine. Peu rassurés, les Allemands l’évacuent, emmenant avec eux le pape et sa suite. La captivité du pape dans le camp germanique allait durer deux mois. On imagine aisément à quelles instances, à quelles sollicitations il fut en butte, durant ce temps. Sous ses yeux, l’armée allemande dévastait la campagne romaine ; ses meilleurs amis, ses plus fidèles conseillers étaient tenus en une étroite prison. On lui parlait des souffrances des exilés, on lui faisait entrevoir la possiblité d’un schisme. A tout cela le remède était tout trouvé : que le pape concédât à l’empereur le privilège de donner l’investiture, aussitôt tout rentrerait dans l’ordre ; l’Église romaine n’aurait point de protecteur plus dévoué que le nouveau César. Lassé d’une lutte sans issue, le malheureux pape dut céder : Viclus tandem miseriis fdiorum, dit la narration pontificale, laborans gravibus suspiriis atque gemitibus et in lacrimas tolus effusus : « Cogor, ait, pro Ecclesiæ libcratione ac pace hoc pâli, hoc permittere quod pro vita mea nullatenus consentirem. » Ibid., p. 149.

Le Il avril, au pont Mammeus, il faisait à Henri la promesse de lui accorder le droit d’investiture, promesse que confirmaient par serment quinze cardinaux qui avaient été autorisés à le rejoindre. Ce serment garantissait la promesse que Pascal n’inquiéterait pas Henri pour les actes injustes qu’il venait d’accomplir, ni pour les investitures des évêques et des abbés. Jamais il ne porterait d’anathème contre la personne du roi. Il couronnerait’Henri le plus tôt possible, et l’aiderait de tout son pouvoir à conserver la royauté et l’empire. Le lendemain, toujours dans le camp, un acte en bonne forme était dressé de ce Privilegium Paschalis, le texte s’en est conservé. Ibid., p. 144 ; cf. Jafîé, Regesta, n. 6290. Le pape commence par y rappeler les honneurs et les privilèges dont le Saint-Siège a toujours entouré la dignité impériale. Lui-même y ajoutait celui-ci : ut regni tui episcopis vel abbatibus libère præter violenliam et simoniam electis investiluram virgæ et anuli conféras. Posl investitionem vero canonice consecrationem accipiant ab episcopo ad

qucm pertinuerint. Interdiction dès lors était faite de consacrer un personnage élu par le clergé et le peuple en dehors de l’assentiment du souverain, à moins qu’il ne fût investi par celui-ci. La concession de ce privilège était légitimée par la munificence des souverains allemands à l’endroit du clergé, par la concession qu’ils lui avaient faite des droits régaliens : ne fallait-il pas que le royaume fût affermi par la collaboration des évêques et des abbés, et que, d’autre part, l’autorité royale intervint pour imposer aux électeurs le respect des lois ecclésiastiques ? Ce document, qui exprimait, en somme, toute la thèse impérialiste sur les investitures se terminait par la menace de l’anathème contre quiconque oserait sciemment le discuter : Si qua persona hanc nostræ concessionis paginam sciens, contra eam temerario ausu venire lentaverit analhematis vinculo. .. innodetur. On n’imagine pas plus entière capitulation. La messe fut célébrée sur l’heure par le pape ; après avoir communié, il donna la communion à Henri : « Que le corps du Christ, lui dit-il, soit pour la rémission de tes péchés, pour l’affermissement de la paix et d’une véritable amitié entre toi et moi, entre le Sacerdoce et l’Empire. » Et ils échangèrent le baiser de paix. D’ordre de l’empereur, l’antipape Maginulfe, qui se trouvait dans le camp, fit sa soumission et déposa le pontificat. Jafïé, Regesta, p. 774.

A ce prix le pape était libre ; il entrait le soir même dans la cité léonine, pour préparer le couronnement impérial. Celui-ci eut lieu le lendemain 13 avril, à Saint-Pierre. Avant la communion, le pape, à la vue de toute l’assistance, remit à l’empereur le privilège rédigé la veille. Il avait bu jusqu’à la lie le calice d’amertume ! — Les portes de la ville même de Rome étaient demeurées fermées pendant toute la cérémonie ; l’empereur n’y entra pas, et retourna au camp ; bientôt son armée s’éloignait de Rome en direction de l’Allemagne. Le pape, lui, rentrait en sa bonne ville, au milieu de l’allégresse des Romains, heureux de le revoir, après les étranges événements qui venaient de se dérouler.

4° Pascal H et Henri V. Les suites du pacte de 1111.

— Cette joie était loin d’être partagée par l’entourage pontifical. Les premières effusions passées, il fallut bien se rendre compte de i’énormité des concessions au prix desquelles la délivrance du pape avait été achetée. Les vrais grégoriens furent atterrés ; une vive opposition ne tarda pas à se manifester. Dans Rome même, elle était menée par ceux des cardinaux qui n’avaient pas signé la promesse appuyée par serment du Il avril. De loin, Brunon de Segni, qui était devenu abbé du Mont-Cassin, soutenait cette campagne. Dans plusieurs lettres qui semblent avoir eu une assez large diffusion, il n’hésitait pas à dénoncer l’investiture laïque comme une hérésie, et il tirait la conclusion : Onmis qui hxresim défendit hæreticus est. Voir P. L., t. clxv, col. 1139 sq. Quand, durant les chaleurs de l’été, le pape se fut retiré à Terracine, les deux cardinaux-évêques, Jean de Tusculum et Léon d’Ostie, prirent l’initiative de rassembler les cardinaux, et l’assemblée se déclara contre le privilegium, le pravilegium, comme on commençait déjà à dire. Cette démarche nous est connue par la lettre sévère adressée par Pascal aux deux meneurs de l’opposition. Jaffé, n. 6301. Quod in personam noslram, écrivait le pape, imo in patrem vestrum, præter ipsius Ecclesiæ judicium atque præsentiam vos egistis, etsi vobis ex zeloDei visum sit, non tamen, ut mihi videtur, canonico tramite incessistis. En même temps, le pape ordonnait à Brunon de quitter le Mont-Cassin, et mandait aux moines de lui donner un successeur. Jafîé, n. 6302, 6303.

Ces manifestations italiennes étaient peu de chose à côté de l’agitation qui se révélait en France et dont le chef était l’archevêque de Vienne, Guy, le futur Cal-