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PARENTS. DEVOIRS GENERAUX

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de la Genèse est adressé à nos premiers parents et en leur personne à l’humanité considérée dans son ensemble, mais non à chaque homme en particulier ; il a donc un caractère général et collectif, non un caractère individuel. Pour la personne, le mariage est un droit, non un devoir ; et il est loisible à chacun de garder la chasteté parfaite dans le célibat. Pour les époux, le mariage confère des droits relatifs à la procréation des enfants, mais il est loisible à tous deux de renoncer d’un commun accord à en user, même pour toujours. Le genre humain doit vivre par la volonté de ses membres, telle est la loi ; mais cette loi n’engendre pour personne un devoir strict de se marier et d’avoir des enfants.

Exception est faite seulement pour Adam et Eve, que le commandement divin devait nécessairement atteindre pour ne pas être vain ; puis pour Noé et sa race auxquels s’adresse spécialement le crescite et multiplicamini de Gen., ix, 1.

Mais, si l’ordre divin n’oblige personne à avoir des enfants, les circonstances ne peuvent-elles rendre obligatoire dans certains cas ce qui, sans elles, demeurerait libre ?

2. Le devoir social.

Le devoir social est essentiellement fonction des besoins de la société, lesquels varient selon les circonstances. On conçoit donc qu’il faille tenir compte de celles-ci, lorsqu’il s’agit d’édicter des lois morales.

Saint Augustin explique par elles le précepte du crescite et multiplicamini donné à Noé et à ses descendants. Avant Jésus-Christ, dit-il, la procréation de nombreux enfants était nécessaire ; les patriarches reçurent mission d’accroître le peuple de Dieu : en multipliant leur famille, ils préparaient l’avènement du Messie. Mais ce qui était alors nécessaire, poursuit-il, ne l’est plus après Jésus-Christ ; la mission qui l’emporte sur toutes les autres n’est pas désormais de donner des enfants au peuple juif, mais de régénérer spirituellement les enfants qui naissent au sein de toutes les nations. C’est pourquoi, selon lui, le précepte d’engendrer n’oblige plus.

Telle est aussi, semble-t-il, l’idée de saint Paul. Si l’Apôtre des gentils déclare aux Corinthiens, 1 Cor., vu, que « celui qui ne marie pas sa fille fait mieux », ꝟ. 38, et souhaite « que ceux qui ont pris femme soient comme s’ils n’en avaient point », ꝟ. 29, c’est qu’il juge préférable pour la diffusion de l’Évangile que les chrétiens, encore peu nombreux, se livrent à une vie de sainteté et d’apostolat au milieu de la société païenne, plutôt que d’aller au-devant des préoccupations et des soucis des choses de ce monde.

Or, aujourd’hui, en bien des régions, au Canada par exemple, les progrès numériques du catholicisme sont dus pour une très large part à la fécondité des familles catholiques. Ce même progrès numérique est d’ailleurs de nature, en tout pays de sulïrage universel, à préparer et à assurer à l’Église les conditions de vie et de liberté les plus favorables à l’exercice de sa divine mission. C’est donc, pour le fidèle, un excellent moyen de rendre service à la société religieuse, à laquelle il doit tant, que d’avoir des enfants ; et l’on peut concevoir que cette forme de service s’impose à telle ou telle conscience individuelle comme un devoir. A plus forte raison ce devoir se préciserait-il, dans le cas extrême d’une apostasie ou d’une extinction presque générale de la masse des croyants, accompagnée d’un tel déchaînement des passions antireligieuses dans le monde entier que toute tentative d’apostolat serait vouée à l’échec ; car que faire en pareilles circonstances pour assurer la pérennité de l’Église, sinon procréer des enfants qui entretiendraient le flambeau de la foi en attendant des jours meilleurs ? L’exercice de la chasteté parfaite demeu rerait objectivement supérieur à celui de l’acte procréateur ; mais il pourrait être du devoir des jeunes gens de sacrifier leurs aspirations personnelles au profit de la communauté, comme il est parfois de leur devoir de renoncer à une vocation religieuse pour s’acquitter de graves obligations familiales.

Des considérations do ce genre s’appliquent mieux encore à la société civile, qui n’a pas pour elle des promesses d’éternité. D’elle aussi, l’individu et la famille reçoivent des services : envers elle aussi, ils ont des devoirs et qui peuvent aller jusqu’au sacrifice de la vie. Voir art. Patrie (Piété envers la). Or, il peut se faire que le bien social, la conservation et le développement légitime de la patrie ne soient possibles que par un relèvement de la natalité. Il sera alors, semblet-il, du devoir de la plupart des jeunes gens de songer au mariage, et du devoir des époux de se multiplier. P. Méline, Morale familiale, p. 115. C’est en ce sens que le P. Gillet, après avoir dit aux époux qu’ils n’ont pas le droit, dans leurs relations conjugales, de détourner volontairement la nature de l’accomplissement de ses fins créatrices, ajoute : « C’est aussi la seule manière de remplir votre devoir de citoyen, de membre d’une société à qui, après Dieu, vous devez tout, cl qui a le droit d’exiger de vous, en retour, que vous lui donniez les enfants dont elle a besoin. »

Ce n’est pas seulement là un devoir de piété, d’amour, de convenance, d’équité, mais un devoir de justice. Quand une société est menacée de périr faute d’enfants, renoncer à en avoir, par égoïsme, serait « une criante injustice sociale ». P. Gillet, P. Méline.

Il n’en reste pas moins vrai que l’État, quelque intérêt qu’il puisse y avoir, ne saurait intervenir en ces matières pour réclamer son dû sous peine de sanctions : la société conjugale reste une société volontaire, et elle est antérieure à la société civile ; elle « ne relève, dans la délicate atïaire de la vie à répandre, que du commandement divin interprété par la conscience des parents », (Mgr Julien). L’État ne peut amener un accroissement de la vie selon ses besoins que par des mesures indirectes destinées à faciliter ou à favoriser le mariage et à alléger les charges de la famille. Quant à l’Église, elle pourvoit à la fois au double danger de la dépopulation et de la surpopulation en imposant à ses fidèles le respect du droit naturel en matière de rapports conjugaux, et en maintenant sa doctrine de l’excellence du célibat et de la chasteté parfaite dans le mariage, en vue de fins supérieures.

Étendue de l’obligation.

Dans quelle mesure le

devoir de procurer des enfants à la société s’imposet-il ? Combien d’enfants les époux doivent-ils faire naître ? Théoriquement, cela dépend des besoins de la société à chaque moment de son existence ; mais, en pratique, pareille détermination ne serait pas seulement délicate à établir, elle serait facilement injuste dans sa généralité, car la situation physique, morale el économique des familles est très variable. Certains moralistes n’hésitent pas cependant à fixer un chiffre type : le P. Gillet réclame Irois enfants comme un minimum dû en justice.

Beaucoup d’autres se refusent à mesurer le devoir aux besoins de la société. L’abbé Viollet, s’appuyanl sur ce principe que l’union conjugale a pour but essentiel et primordial la procréation des enfants, en tire ce corollaire que « les conjoints sont tenus de procréer le plus grand nombre possible d’enfants et n’ont le droit de réduire ce nombre que pour des motifs très graves ». L’éducation de la pureté, p. 13. D’autres vont plus loin encore et condamnent toute restriction volontaire à la natalité ; ainsi, la Ligue pour la vie, avec Paul Bureau. Il y a là, croyons-nous, une exagération ; s’il ne faut pas sous-estimer la procréation et, par un reste de manichéisme, la regarder comme sini-