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PAPE. LA RÉFORME GRÉGORIENNE


deux catégories : les uns, choisis dans J’épiscopat local, gouvernent à titre permanent, niais au nom du pape, un territoire déterminé : les autres, envoyés du dehors, et le plus souvent de Rome même, ont à s’acquitter d’une mission temporaire, nettement définie. Mais tous reçoivent des instructions précises, détaillées, et doivent tenir minutieusement le pape au courant de leur activité. Investis d’une procuration en règle, représentant la personne du pontife suprême, ils prennent le pas sur tous les dignitaires ecclésiastiques, qu’ils soient eux-mêmes cardinaux, évêques, simples moines ou clercs, ils commandent à l’épiscopat et président les conciles, au nom de leur maître. Dans ses bulles de créance, ou dans celles qu’il envoie pour annoncer leur venue, Grégoire VII insiste pour qu’on leur obéisse comme à lui-même. Le mandat des légats temporaires est plus ou moins étendu, suivant les besoins ; tantôt leur mission consiste uniquement à régler une difficulté particulière, tantôt, au contraire, le pape les charge d’inspecter un territoire et d’imposer toutes mesures qu’ils estimeront urgentes. Quant aux légats permanents, ils doivent exercer une pression constante en vue de la réforme des mœurs, réunir des conciles, y faire adopter les sanctions disciplinaires opportunes, y poursuivre, au besoin, la condamnation des endurcis. De Rome, le pape suit attentivement leurs efforts à tous ; il les encourage, les dirige et les redresse. Grâce a eux, Grégoire VII est partout présent et agissant. Du reste, leurs décisions n’ont jamais qu’une valeur provisoire, toujours sujette à modification, si le pape, après examen personnel, estime expédient de les adoucir ou de les aggraver. A. Fliche, loc. cit., t. ii, p. 210.

2. Les conciles généraux.

Grégoire soutint l’action de ses légats par sa correspondance : quand ceux-ci rencontraient des difficultés graves, lui-même écrivait aux récalcitrants, les admonestait, les menaçait, et, s’il le fallait, les frappait de sanctions canoniques. Mais, en outre, il tira parti, dans le même but, d’une institution fort ancienne, que Léon IX avait modifiée.

Dès le iie siècle, les papes avaient pris l’habitude de réunir des synodes de nature assez spéciale, connus sous le nom de conciles romains. Il ne s’agissait pas de conciles provinciaux, composés de l’épiscopat de la province et de lui seul, mais bien d’assemblées d’un caractère particulier : y assistaient les évêques italiens qui tenaient du pape leur consécration, le haut clergé de la ville, et aussi les prélats de passage que leurs affaires amenaient à Rome. L’autorité de ces conciles leur venait de la qualité de leur président. On y examinait les affaires les plus graves soumises au jugement pontifical. Ces assises se tenaient à intervalles irréguliers, quand le pape les jugeait utiles ; mais, dès le ive siècle, sinon pius tôt, le concile romain se réunissait au moins une fois chaque année, à date fixe, le jour anniversaire du couronnement du pape régnant, natale ordinationis. L. Duchesne, Histoire ancienne de l’Église, t. iii, p. 672.

Avec Léon IX, l’institution s’élargit, le traditionnel concile romain fit place au concile général ; non pas œcuménique, cependant : l’Occident ne connut pas de conciles œcuméniques avant le I er concile du Latran, en 1123. Le pape ne lance pas de convocation à tout l’épiscopat ; on vient sur invitation personnelle. Cf. .1. B. Sâgmûller, Die Thatigkeit iind Stellung der Cardinale bis Papst Bonijaz VIII., Fribouig en-B., 1896, p. 38. Grégoire VII ne manqua pas de tenir ces assises chaque année, à moins d’impossibilité. Il y faisait venir les évêques que ses légats lui signalaient : c’était un moyen, parfois, de les juger ou de les admonester avec plus d’éclat, mais c’était aussi une façon d’associer l’épiscopat à l’élaboration de décrets réformateurs. Car les conciles ne s’occupaient pas seulement des rapports avec les princes, ils édictaient des me sures disciplinaires. De la sorte, les conciles appuyaient doublement les légats, en sanctionnant les mesures prises par eux, et en leur fournissant de nouveaux moyens d’action. A. Fliche, toc. cit., t. ii, p. 209.

3. L’affaiblissement du pouvoir des métropolitains. l’ar la force des choses, l’autorité des légats tendait

à affaiblir celle des intermédiaires entre le Saint-Siège et l’épiscopat, et notamment celle des métropolitains. Ceux-ci confirmaient l’élection des évêques de leur ressort, présidaient les conciles provinciaux, recevaient en appel les procès des officialités diocésaines, surveillaient leurs sufïraganls. Grégoire VII exige d’abord qu’ils prennent contact avec le pape et se soumettent à lui en venant, personnellement, solliciter le pallium, insigne de leur juridiction, sans lequel ils ne peuvent exercer aucune de leurs prérogatives archiépiscopales. Mais il fait plus : les causes qui pourraient aller en appel devant le métropolitain, il les évoque souvent à son propre tribunal ; quand un synode doit se tenir, un légat survient à point, qui assume la présidence ; si le pape ne se substitue pas au métropolitain dans l’examen des élections épiscopales, au moins entend-il partager ses pouvoirs, afin de mieux obvier à tout danger de provision simoniaque, et le concile romain de 1080 précise que le collège électoral sera convoqué avec le consentement » du siège apostolique ou métropolitain ». A. Fliche, loc. cit., t. ii, p. 114, 208. 233. Grégoire VII veut avec les évêques un contact non seulement direct, mais étroit : il veille à leur recrutement, travaille à faire aboutir des candidatures de son choix, profite de toutes les occasions, vices dans les opérations électorales ou empêchements canoniques chez l’élu, pour se substituer aux électeurs et nommer lui-même. Ibid., p. 235. Il les surveille, les fait venir à Rome ou se présenter devant le légat, pour s’expliquer, se disculper ; et s’ils refusent d’obéir, il les suspend ou les dépose. Ibid., p. 237.

4. Les nouvelles collections canoniques.

En même temps qu’il assume le contrôle de tous les prélats et qu’il centralise ainsi dans ses mains le gouvernement effectif de toute l’Église d’Occident, Grégoire VII s’attache à justifier sa conduite. Et ce n’est point là le côté le moins intéressant ni le moins durable de son œuvre réformatrice. Cette œuvre présente un caractère nettement juridique et il ne pouvait en être autrement. Les abus auxquels il s’attaquait ne cédaient que pied à pied, invoquant des textes pour justifier leurmaintien ; en l’absence de textes, ils se prévalaient de la possession, de la coutume. Il convenait de battre l’ennemi sur le terrain qu’il choisissait, celui du droit. Les coutumes qu’on lui oppose, Grégoire en critique les titres : il y a des coutumes bonnes et des coutumes mauvaises ; « le Seigneur n’a pas dit : je suis la Coutume, mais je suis la Vérité » ; et il établit ainsi les fondements mêmes sur lesquels les canonistes bâtiront la théorie de la coutume légitime. Mais surtout il a le souci de montrer qu’il n’est’pas un révolutionnaire, qu’il reste dans la tradition, qu’il use de droits qu’on ne saurait lui contester. Pour cela, il ne lui suffisait pas d’alléguer des textes favorables aux idées réformatrices : il lui fallait surtout mettre en évidence les titres mêmes de la papauté au gouvernement de l’Église universelle, il se fît donc le promoteur d’une clllorescence de nouvelles collections canoniques, à tendances nettement romaines ; à propos de son pontificat, l’on a pu parler « d’un tournant dans l’histoire du droit ».

Au moment où Grégoire Y II engagea la lutte contre les abus, le clergé disposait, pour connaître les lois ecclésiastiques, de deux catégories d recueils. Les uns présentaient les documents dans leur ordre chronologique, comme la collection de Denys le Petit ou celle du pseudoIsidore : les recherches y étaient malaise es