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PANTHEISME. A LA RENAISSANCE


sur certaines conséquences des idées que nous venons d’exposer.

5° La mystique chrétienne. On a reproché à un grand nombre de nos mystiques des tendances panthéistes ou quiétistes. « De tous il serait aisé d’extraire des expressions ou des phrases, qui, détachées du contexte, isolées de l’ensemble de la doctrine, paraîtraient en harmonie avec le mysticisme hétérodoxe. » Vernet. La spiritualité médiévale, Paris, 1929, p. 183. Cependant, M. Vernet le remarque avec raison, l’ensemble de leurs œuvres et de leurs tendances donne un démenti net à ces interprétations. Les mystiques éprouvent profondément l’insuffisance de tout langage humain pour exprimer leur expérience ; ils dépassent alors les formules dont se servirait une théologie précise. Ils ont besoin d’être instruits par les faits pour voir les conséquences que de faux esprits pourraient tirer de certaines prémisses.

M. Vernet, dans le passage auquel nous faisons allusion, fait une exception pour maître Eckart : et il faut la faire, parce que Jean XXII a condamné, en 1329, 17 propositions tirées de ses œuvres comme hérétiques, Il autres comme malsonnantes, téméraires et suspectes d’hérésie. Malgré cela, les discussions sur l’orthodoxie d’Eckart ont été très vives dans ces dernières années. Certains Allemands font des efforts désespérés pour montrer que la condamnation d’un de leurs grands penseurs était injustifiée.

Maître Eckart procède du néoplatonisme ; le néoplatonisme n’est qu’un élément à côté de plusieurs autres dans la pensée d’Albert le Grand ; il a élé cultivé par certains de ses disciples d’une manière de plus en plus exclusive. L’affinité entre le néoplatonisme et le caractère allemand s’affirme ainsi dès le xiir siècle, pour rester une note dominante dans l’histoire de la pensée européenne. Cela implique des sympathies avouées ou ina vouées pour le panthéisme ; dans la suite nous aurons à parler le plus souvent de penseurs allemands. Eckart manque indiscutablement de clarté ; il a un fâcheux penchant au paradoxe. En ce qui concerne la connaissance de Dieu, l’usage qu’il fait de la via negationis est exagéré. Eckart insiste trop sur l’éternité de l’acte créateur ; l’existence des créatures n’est plus guère qu’une apparence ; la distinction entre le monde des idées et le monde des créatures n’est pas nette ; la distinction correspondante entre l’intellect humain et l’idée que Dieu en possède ne l’est pas non plus. L’union mystique paraît parfois une véritable absorption de l’âme en Dieu. Quelques malheureuses formules montrent qu’Eckart n’a pas toujours évité des conséquences antinomistes et quiétistes. On trouvera le texte des condamnations ici, t. iv, col. 2062 sq. Les disciples d’Eckart ont défendu le souvenir de leur maître tout en tenant soigneusement compte des jugements de Jean XXII. Malgré l’abus que Luther devait faire de cet auteur, il n’y a aucune hétérodoxie à reprocher à Tauler.

Une parenté d’idées étroites lie Eckart et le cardinal Nicolas Krebs de Cues (Cuse). Le cardinal croyait à l’orthodoxie de Scot Érigène et d’Eckart et s’en inspirait ; il connaissait également les sources antiques du néoplatonisme. Il y eut en plus chez lui des influences nominalistes et humanistes, et une prédilection très avertie pour les mathématiques. Au-dessus de la connaissance rationnelle, régie par le principe de contradiction, il place la connaissance intellectuelle, dominée par le principe de la coïncidence des contraires. (L’est surtout à Dieu qu’il applique ce genre de connaissance : il a une préférence marquée pour la théologie négative (docte ignorance) qu’il confond avec la mystique. Dieu est tout ce qui peut être ; il est l’union des contradictoires, de l’acte et de la puissance, de l’être et du non-être. Le cardinal maintient la dualité de Dieu et

de la créature et rejette l’idée d’émanation ; mais, si l’existence des créatures est contingente, leur essence coïncide avec l’idée qu’en a l’esprit divin. L’univers fait apparaître explicité, ce qui se trouve implicitement en Dieu. L’intellectualisme outré a inspiré à Nicolas de Cuse l’essai de construire spéculativement les mystères chrétiens ; il se manifeste également dans les thèses optimistes qu’il soutient.

VII. Renaissance et Spinozisme.

1° La Renaissance. Au point de vue philosophique, la Renaissance est surtout une réaction du néoplatonisme contre Aristote. Cette réaction puise à des sources fort différentes, Platon et Plotin, hermétisme et cabbale, mystique allemande et averroïsme, voire panthéisme populaire. Tous les motifs à allure panthéiste que nous avons rencontrés depuis l’antiquité réapparaissent. Dans l’interprétation d’Aristote même, la conception scolastique est battue en brèche par le monopsychisme de l’école de Padoue et le naturalisme stoïcien de Pomponazzi.

On croit que l’esprit divin se manifeste dans toutes les religions ; sacrements, écritures, culte n’ont qu’une valeur symbolique (Pic de la Mirandole, Reuchlin). On reparle des hypostases néoplatoniciennes, de l’âme du monde surtout (Césalpin. Patrizzi). De nouveau la lumière apparaît comme entité intermédiaire entre esprit et corps ; la diffusion de la lumière coïncide avec l’écoulement divin (Robert Greville).

Nous trouvons l’expression la plus riche du panthéisme de la Renaissance chez Giordano Bruno. Dieu est la Monade des monades : en lui les contraires coïncident. Il s’exprime nécessairement dans un univers infini et éternel. L’univers qui existe est absolument parfait, le seul qui fût possible : il renferme une infinité de mondes. Tout est vivant ; corps et âme ne sont que deux aspects de la même substance. Toute monade est implicitement l’univers ; elle tend à le devenir explicitement en passant successivement par de nombreux corps. L’âme, impérissable, est un mode de l’unique substance divine.

Le mysticisme protestant ultérieur n’est plus retenu par la surveillance d’un magistère infaillible. Selon Valentin Weigel, Dieu ne se connaît lui-même qu’en nous et par nous. Pour Jacques Bôhme, l’opposition d’amour et de haine dans le monde révèle une opposition latente qui existe en Dieu lui-même. Robert Fludd en Angleterre, Pierre Poiret en France propagent des idées apparentées.

Spinoza.

Le xvir 3 siècle vit naître le système

panthéiste idéal, celui qui gardera une signification typique dans l’histoire de la pensée humaine. La grande synthèse de Spinoza résumait une longue tradition philosophique. Nous avons cité le néoplatonisme de Cusa et de Bruno. Spinoza subit naturellement de fortes influences juives, à partir d’Avicebron et de la Cabbale jusqu’au déterministe Chasdai Crescas (mort vers 1410). Il subit l’influence de la mystique allemande ; Spinoza fréquentait des sectes protestantes qui la perpétuaient, et il y a de curieuses parentés d’idées entre lui et le mystique Angélus Silesius (Jean Schefïler, 1624-1677) qui avait connu les mêmes milieux avant sa conversion au catholicisme. Il y eut enfin l’influence cartésienne. Descartes n’avait pas su expliquer d’une manière satisfaisante les relations entre corps et âme. Geulincx se vit obligé de faire intervenir Dieu pour assurer ces relations ; puis il s’aperçut que l’action d’un corps sur un autre posait le même problème, et il finit par nier toute activité de la créature. Descartes avait du reste favorisé la naissance de l’occasionnalisme par | son adhésion à la théorie de la creatio momentanea. Malebranche ajoute à l’occasionnalisme l’ontologisme : c’est par une participation aux idées divines que nous voyons toutes choses.