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PANTHEISME. DANS L’ISLAM


universel comme la cause de ses inférieurs. C’est surtout par Proclus que le néoplatonisme a agi sur l’évolution ultérieure de la pensée humaine. Le pseudo-Denys l’a introduit dans la théologie et la mystique chrétiennes. Par Etienne Bar Sudaïli, il a pénétré dans ce monde oriental dont le rôle devint décisif après la conquête arabe.

V. L’Orient médiéval et moderne. — 1° L’Orient l>rrislamiquc. — Il nous reste à reprendre l’histoire de ce monde oriental dans la mesure où l’état des sources le permet. On aimerait être renseigné davantage sur l’origine de certaines idées, importantes dans l’histoire ultérieure du panthéisme. Le motif de l’homme idéal, microcosme, réalisation parfaite de la divinité sur terre, reviendra dans de nombreux systèmes. L’idée d’émanation, avec des séries de divinités issues les unes des autres, rangées en échelle descendante, était très répandue dans les premiers siècles de l’ère chrétienne ; on peut la poursuivre depuis les gnostiques et néoplatoniciens jusqu’aux théologies vishnouites et taoïstes. La comparaison entre la procession des choses et la dilTusion de la lumière était également destinée à un brillant avenir.

Ces problèmes ont donné lieu dans ces dernières années à des hypothèses fort hasardeuses. En réalité, les documents qui devraient nous renseigner, écrits gnostiques, hermétiques, manichéens, mandéens, yézides, cabbalistiques, avestiques même, échappent à toute chronologie précise. Une grande partie de ces écrits appartient du reste à des couches inférieures de l’humanité pensante, où l’imagination prime la raison, où le lecteur instruit a la perpétuelle tentation de mettre plus de philosophie que n’en ont mis les auteurs. On se rappellera le mépris bien justifié que Plotin témoigne aux gnostiques.

Ce sont peut-être les spéculations des zervanites qui contiennent les idées philosophiques les plus intéressantes. A l’origine, il y eut le Temps (Zervan) ; le Bien (Ormuzd) provient d’un acte de connaissance, le Mal (Ahriman) d’un doute ou d’une tentation dans le premier principe. Certains zervanites croient que le mal est nécessaire pour que le bien puisse manifester sa puissance.

La pensée musulmane.

Mahomet avait accentué

d’une manière tranchante la transcendance divine ; mais la religion fondée par lui a donné naissance à une infinité de systèmes panthéistes. Ce fut le cas, dès que les pensées grecque et hindoue, les mystiques chrétienne et bouddhiste envahirent l’Islam. On a trop exclusivement étudié en Europe les penseurs musulmans de l’école dite aristotélicienne ; on exagère généralement leur importance dans l’ensemble du monde islamique. Dans les anciennes écoles de Bassora et de Bagdad, comme chez les moutazilites, l’influence hindoue était peut-être plus forte ; des sectes bouddhistes (les sumanija ?) vivaient encore dans les contrées orientales de l’empire arabe.

C’est à 1’inlluence indienne qu’il faudrait peut-être at t ribuer l’idée de la discontinuité du temps. Les moutazilites l’ont acceptée pour mieux sauvegarder l’absolue liberté de Dieu ; elle a passé dans la théologie orthodoxe d’Achari et nous a valu dans la théologie chrétienne l’opinion de la creatio momentanea. Cette opinion détruit presque la subsfantialité propre des créatures et favorise étrangement le panthéisme. Inutile de dire que le contact avec l’Inde fut une des voies par lesquelles le panthéisme pénétra dans l’Islam.

La tendance grecque fut inaugurée par des traductions de Plotin (Théologie dite d’Aristote) et de Proclus (Liber de cousis). Elle est aristotélicienne d’aspect, néoplatonicienne d’inspiration. On peut en attribuer les lignes caractéristiques à Farabi, mort en 950 ; il combine la théorie des sphères d’Aristote avec l’éma natisme de Plotin. Le terme final du processus émanatif est un intellect actif cosmique ; de lui procèdent les formes substantielles du monde sublunaire ; de lui procède aussi notre connaissance des essences. Chez Averroès, l’intellect est unique et ne contracte qu’une union accidentelle avec les individus.

La mystique musulmane.

On discutera longtemps

encore sur les sources du mysticisme dans l’Islam. Il ne faut pas nier des points de départ autochtones, même coraniques ; malgré cela les influences extérieures sont très probables. Des théories panthéistes, voire nihilistes, et quiétistes étaient fort répandues dès le ixe siècle. On veut par l’extase arriver à l’absorption en Dieu, à l’annihilation : on échange sa personnalité avec la personnalité divine ; on finit par « parler à la première personne, au lieu et place d’Allah ». Lammens, L’Islam, Beyrouth, l’J2C. p. 136. On n’attache plus aucune importance aux œuvres, au culte, aux différences confessionnelles : il yeut d’étroites relations entre mystiques et libres penseurs. Dans l’absence d’un magistère doctrinal, de pareilles tendances purent s’épanouir largement ; car le consensus ecclesiæ (idjma) ne réagit que très lentement. Vers le xi c siècle, il y eut cependant un redressement, même dans les milieux mystiques (Qucheiri). Le grand Gazali, mort en 1111, établit la paix entre les orthodoxes et les mystiques ; il fit pénétrer dans la mystique musulmane un peu de clarté aristotélicienne et de piété chrétienne.

Malheureusement les mystiques spéculatifs postérieurs penchent de nouveau vers la gnose panthéiste. Pour Suhrawerdi (1153-1191), la Lumière absolue est la source de toutes choses ; elle ne peut pas exister sans luire dans les ténèbres. Substances et formes de l’univers sont des degrés de diffusion de la Lumière. Le monde est le meilleur possible ; il est éternel. — Chez Arabi (1165-1240), Dieuest inconnaissable ; il est l’identité des contraires. L’émanation des choses est égale à la diffusion de la lumière. Le monde phénoménal n’est que l’apparition sensible des réalités intelligibles. Dans l’homme parfait (en Mahomet, par exemple), Dieu se contemple et se révèle à soi-même. L’âme mystique participe à cette révélation selon le degré de sa pureté.

— Ces tendances dominent l’évolution ultérieure de l’Islam ; elles inspirent non seulement les grands poètes de la Perse médiévale, mais aussi de brillants penseurs, presque inconnus en Europe : Gili, mort en 1417 : Sirazi, mort en 1040 ; Sebzewari, vers 1825).

Les sectes musulmanes.

Les sectes qui se rattachent

à la Chi’a favorisent davantage le panthéisme. Tous les chiites admettent le droit divin de la descendance du prophète à l’imamat ; l’imam des chiites est une nouvelle variante de l’homme parfait ; il est l’apparition de Dieu sur terre, de substance lumineuse, infaillible et impeccable. Les ismaïlites ont une doctrine secrète attribuée à Abd Allah ibn Maïmoun, mort en 874. La divinité se concrétise en sept étapes de plus en plus matérielles. Raison et âme du monde s’incarnent dans chaque période cosmique. L’âme est unique ; elle n’entre pas dans le corps, mais elle l’illumine. L’homme arrivé à la perfection est résorbé dans l’âme universelle. Toutes les religions positives n’ont qu’une valeur allégorique.

Parmi les sectes modernes, les babisles et les béhaïstes ont des tendances nettement panthéistes. Pour le Bâb, il n’y eut jamais aulre chose que Dieu ; le monde n’est ni l’effet d’une cause, ni une émanation, mais une apparition sensible de Dieu ; Dieu apparaît manifeste ment dans les prophètes, hommes parfaits. Le béhaïsme enseigne la même doctrine, mais plus dégagée du milieu chiite, prête à en I reprendre la conquête du monde.

On trouve chez certains inspirateurs de la Turquie