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OXFORD (MOUVEMENT D’j. LE TRACT 90


les perversions de la doctrine, non la doctrine ellemême.

Si on lui objecte que les auteurs îles articles étaient bien connus, qu’ils avaient voulu établir une barrière infranchissable entre l'Église d’Angleterre et ce qui la rapprochait de Rome, il répond que l'Église actuelle reçoit les articles non pas d’eux, mais d’une autorité plus ancienne, qu’on n’est pas lié par leurs paroles ni par leurs sentiments privés de théologiens et de politiciens ecclésiastiques ; que leurs auteurs avaient voulu par ces articles, gagner un grand nombre de leurs contemporains qui auraient été écartés par des déclarations excessives et anticatholiques contre Rome. Ils (aient un compromis, contrairement aux autres réformes d’Allemagne et de Suisse. C'était visible, non seulement dans les articles, mais dans la politique de l'Église établie, attachée obstinément à la continuité et aux formes de l’ancienne hiérarchie ; c'était visible dans l’administration des sacrements, dans le Prayer book, qui a supprimé beaucoup pour plaire aux protestants, qui a laissé beaucoup pour plaire aux catholiques. « Produit d’une époque anticatholique, ilssont, par la providence de Dieu, tout au moins non anticatholiques et ils peuvent être souscrits par ceux qui aspirent à être catholiques de cœur, de doctrine. »

Il étudie en détail tous les articles communément regardés comme anticatholiques et antiromains, avec une logique serrée, celle d’un théologien habitué à toutes les finesses du langage et aux distinctions les plus subtiles. Ainsi, l’art, vi, affirmant que l'Écriture <-sf la seule règle de foi, est interprété dans ce sens : nous regardons l'Écriture comme règle de foi, en admettant d’autres compléments (liturgie, tradition, écrits des Pères), car on ne peut juger sûrement l'Écriture, sans recourir à ces autres sources. Il explique l’art, xi : justification par la foi seule, en distinguant le moyen intérieur et les moyens extérieurs, v. g. le baptême : il n’y a pas opposition entre eux ; la doctrine de l’efficacité instrumentale de la foi n’exclut en aucune façon les œuvres, qui sont, elles aussi, un moyen de justification, mais pas dans le même sens que la foi. L’art, xxii rejette, dit-il, dans la croyance au purgatoire, non pas le purgatoire comme tel, mais le sens qu’il sauve les réprouvés ; dans les indulgences, l’idée seulement que le pape peut accorder le pardon des péchés pour de l’argent ; dans les images et les reliques, uniquement le culte idolàlrique. Si l’art, xxv repousse le nombre sept des sacrements, on doit distinguer sacrements au sens strict et sacrements au sens large. L’art, xxviii ne nie pas toute transsubstantiation, mais seulement le changement au corps terrestre et naturel du Christ. Par l’art, xxxi est affirmée seulement la différence entre le sacrifice de la croix et celui de l’autel ; il ne nie pas l’existence du sacrifice de la messe. Seul, l’art, xxxvii, rejetant l’autorité de l'évêque de Rome, reste sans changement.

Newman conclut : « C’est notre devoir de comprendre les articles réformés au sens le plus catholique possible. Nous n’avons aucune obligation envers leurs auteurs. Les articles doivent être interprétés dans leur sens grammatical et littéral, non d’après la pensée et le point de vue de leurs auteurs, mais dans le sens de l'Église catholique. » Plusieurs des interprétations proposées par Newman sont maintenant admises dans l’Eglise anglicane. Elles sont d’accord avec les antennes liturgies ; elles n'étaient pas nouvelles et avaient déjà été faites dans deux tracts précédents, sur la prière pour les morts et dans la Catena sur le sacrifice de la messe. Mais dans l’ensemble, elles allaient trop à rencontre des idées courantes, pour ne pas créer de l’agitation.

3° Condamnation du Tract 90. En quelques semaines douze mille exemplaires sont vendus, preuve de l’in térêt qu’il souleva. Mais cette tentative de donner aux articles une interprétation catholique devait être grosse de conséquences. Newman le sentait. C'était, dira-t-il dans l’Apologie, « une question de vie ou de mort ». De l’accueil qui serait fait au Tract, on pourrait juger de ce que l’anglicanisme pourrait supporter de catholicisme. Si l’essai ne réussit pas, des mesures extrêmes s’imposeront. Parmi les tractariens, Keble ne voyait rien à reprocher à l’attitude prise par le chef ; J. Mozley, dans une lettre du 8 mars 1841, reproduite par Church, op. cit., p. 287-288, la reconnaît normale et conforme à l’enseignement des anciens théologiens anglicans. Ward, tout en étant d’accord avec Newman, avait prévu qu’elle déclencherait une vigoureuse attaque chez les adversaires. De fait l’agitation soulevée fut considérable. Pour ceux qui avaient toujours regardé les articles comme clairs et précis dans le sens protestant, c'était attaquer une position qui leur était chère. S’efforcer de mettre d’accord l’anglicanisme et l'Église romaine, était pour beaucoup un sujet de crainte. On ne remarquait pas que l’auteur maintenait toujours avec autant de force qu’autrefois la position et les droits de l'Église établie ; le seul fait d’affirmer la possibilité de mettre le contenu des articles en harmonie avec la doctrine autoritaire de Rome, était regardé comme incompatible avec la loyauté envers l'Église anglicane.

C’est ce que pensèrent les autorités de l’université, saisissant l’opportunité de frapper le parti de Newman. Dès le 8 mars, quatre senior tutors, dont Tait de Balliol ancien tractarien, accusent l’auteur de fournir le moyen, en cas de vues romaines, de violer l’engagement solennel pris envers l’université par la souscription aux Articles. Le 15 mars, les « chefs de maisons >, . refusant d’entendre la défense que Newman avait préparée, déclarent que « ces modes d’interprétation suggérés dans le dit Tract, détournent plutôt qu’ils n’expliquent le sens des 39 Articles et, conciliant la sou : cription aux Articles avec l’adoption d’erreurs qui leur sont contraires, en annulent l’objet et sont incompatibles avec l’obéissance due aux statuts de l’université ». Church, op. cit., p. 292.

Cette sanction fut, de la part des autorités d’Oxford, une faute très grave, qui permit à l’auteur du Tract de montrer sa supériorité sur ceux qui l’avaient moins condamné qu’insulté. Ses amis prirent hardiment sa cause en mains : Keble, Pusey, Ward, ce dernier exagérant encore la portée du Tract et réclamant pleine tolérance pour les doctrines condamnées comme romaines ; des marques de sympathie viennent de highchurchmen qui s'étaient séparés de lui, lors de la publication des Remains de Froude : Hook, Perceval, Moberly, Palmcr…

Il est à remarquer qu’aucune réfutation ne fut opposée à Newman ; on ne discuta pas ses doctrines et ses interprétations des Articles : on se contenta de l’accuser de romanisme ; on vit dans la publication du Tract la manifestation d’un complot, l'œuvre ambiguë d’un traître qui voulait se détacher de l’anglicanisme au profit de Rome. C’est le début de l’accusation de « malhonnêteté », de « jésuitisme », qui ne disparaîtra qu’après la publication de Y Apologie. Arnold écrit, le 30 octobre 1841 : « Mes sentiments vis-à-vis d’un catholique romain sont différents de ceux que j'éprouve pour un newmaniste, car j’estime le premier un ennemi loyal, et l’autre un traître. » Stanley, Life oj Arnold, t. ii, p. 245.

L’université ne se contente pas de sa victoire sur Newman. Elle s’en prend à ses amis. En juin 1841, Ward est destitué de sa chaire à Balliol ; Is. Williams est écartédela chaire de poésie, abandonnée par Keble. à cause de ses relations avec Keble et avec Newman : Church doit se démettre de ses fonctions de tulor à.