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OSÉE. LE PROPHÈTE


l'épouse du prophète. De la réponse nous ne retiendrons ici que ce qui importe à la connaissance de la vie d’Osée, de son mode d’action et de l’interprétation de ses oracles. « Lorsque Jahvé commença à parler à Osée, Jahvé dit à Osée : Va, prends une femme de prostitution et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prostituer en abandonnant Jahvé. » Os., i, 2. Sur cet ordre divin, le prophète épouse Gomer, fille de Dibelaïm ; trois enfants naquirent auxquels Osée donna des noms symboliques : un fils qu’il appela Jezrahel pour signifier le châtiment prochain de la maison de Jéhu et la ruine du royaume d’Israël ; une fille qui reçut le nom de Lô-Ruhâmâh pour faire entendre que Jahvé n’aura nulle compassion d’Israël ; un autre fils enfin du nom de Lô-'Ammî pour annoncer que désormais Israël n’est plus le peuple choisi, i, 3-6. De nouveau, ordre est donné au prophète de la part de Jahvé d’aimer une femme adultère, — s’agit-il encore de Gomer ? — de l’acheter, de la relever par une longue épreuve jusqu'à la réconciliation ; tout cela pour figurer l’amour de Jahvé pour son peuple infidèle, l'épreuve à laquelle il le soumettra avant de contracter avec lui une nouvelle alliance et le bonheur enfin qui désormais récompensera une conversion sincère. Os., ni.

Ce récit, dont l’importance est capitale dans la prophétie d’Osée, rapporte-t-il l’histoire vécue du mariage du prophète ou n’est-il qu’une allégorie symbolisant les relations d’Israël et de Jahvé? Depuis saint Jérôme jusqu’aux modernes, en passant par les rabbins, Calvin, Reuss… l’hypothèse de la fiction a trouvé des partisans, tandis que celle de l’historicité avait également les siens et plus nombreux, surtout parmi les modernes. Déjà Théodoret, saint Augustin, Corneille de la Pierre, Calmet la soutenaient et des critiques tels que Nowack, Marti, Harper, Gautier, Sellin se rencontrent, dans l’affirmation de la réalité du mariage, avec les catholiques Knabenbauer, Vigouroux, Buzy.

Les raisons qu’ils invoquent à l’appui de leur thèse la rendent fort vraisemblable. C’est d’abord le sens obvie du texte, que l’on n’est pas en droit de rejeter sans motif vraiment sérieux ; celui, par exemple, qu’invoquait saint Jérôme, de l’immoralité qu’aurait impliquée l’ordre divin s’il avait été réellement exécuté, ne saurait être retenu et en fait ne l’est plus guère, puisque, si l’exécution d’un tel ordre n’allait pas certes sans de vives répugnances pour la nature, elle ne pouvait être que méritoire, car, selon la remarque de saint Jérôme lui-même, elle aboutissait à ramener une courtisane à la pudeur et la faisait passer du mal au bien. P. L., t. xxv, col. 823. C’est ensuite la comparaison avec les autres symboles de l’Ancien Testament, dans Isaïe, Jérémie ou Ézéchiel, qui est favorable à l’interprétation historique. De plus en plus, en effet, on voit dans ces symboles des actions réellement accomplies par ordre divin pour signifier, avec plus de force et d’autorité, tel ou tel événement ; lorsqu’il s’agit, par contre, non de réalités, mais de simples paraboles, de pures allégories, le prophète emploie des formules telles que : « Jahvé me fit voir, je vis en esprit, je vis », qui ne permettent pas de se méprendre sur la dortée de ses paroles. « Lorsque le symbole est réel, remarque un des tenants de l’historicité, les prophètes nous en avertissent ; lorsqu’il ne doit pas l'être, ils nous en préviennent encore. La présomption demeure en faveur de leurs indications, et, après examen, la critique se voit obligée de ratifier le sens naturel des textes. » Buzy, Les symboles d’Osée, dans Revue biblique, 1917, p. 388.

On fait encore remarquer que, malgré toutes les tentatives, les noms de Gomer et de son père Dibelaim sont demeurés réfractaires à toute signification allégorique sérieuse, ce qui ne serait sans doute pas le

DICT. DE THÉOI. CATHOL.

cas, si tout le récit était à entendre comme une allégorie ; le fait que les noms des enfants ont une signification symbolique ne crée pas une difficulté contre la réalité de ces enfants, témoin l’histoire des fils d’Isaïe.

On a noté enfin que l’action du prophète sur ses contemporains aurait été singulièrement diminuée, si, au lieu de s’appuyer sur la douloureuse réalité de son mariage avec Gomer, il ne leur avait parlé que de rêve ou de vision.

Le problème de l’interprétation historique ou allégorique du mariage d’Osée n’est pas le seul que soulève l’examen des premiers chapitres du livre. On s’est demandé, en effet, si Gomer n’aurait été « femme de prostitution » qu’avant son mariage qui l’aurait réhabilitée ou si, au contraire, ses infidélités conjugales seules lui auraient valu ce qualificatif que sa vie antérieure ne méritait pas ? De la réponse à la question dépendra la légitimité ou l’illégitimité des enfants. On s’est encore demandé si la femme, mentionnée au c. ni, était à identifier avec Gomer ou si elle lui était tout à fait étrangère. N’y aurait-il pas lieu enfin pour aboutira une solution satisfaisante de remanier la succession chronologique des récits, apparemment bouleversée dans la distribution actuelle, soit en rétablissant le c. ni à sa vraie place, c’est-à-dire avant le c. i (Gautier) ou avant le c. n (Harper), soit en le supprimant comme une interpolation (Volz, Marti)? Autant de questions longuement discutées et différemment résolues. Le sens des leçons symboliques à dégager des particularités du récit variera évidemment selon les réponses qui y seront faites. — Cf. Buzy, Les symboles d’Osée, dans Revue biblique, 1917, p. 376423 ; Cruveilhier, De l’interprétation historique des événements de la vie familiale du prophète Osée (i-m), même revue, 1916, p. 342-362 ; Régnier, Le réalisme dans les symboles des prophètes, même revue, 1923, p. 390-397. Pour la thèse de l’allégorie : Van Hoonacker, Les petits prophètes, p. 13-39 ; Tobac, Les prophètes d’Israël t. i, p. 197-213.

Quant au rapport du mariage d’Osée avec sa vocation et sa mission prophétique, il est affirmé dans le récit même du prophète, entendu surtout au sens historique : c’est par une révélation de Jahvé qu’Osée, en se résignant à l'épreuve imposée, en a prévu et dégagé la signification. Était-ce le début de son activité prophétique ? c’est possible ; c’en est en tout cas un des moments les plus importants qui la marquera d’une de ses caractéristiques essentielles. Prétendre que ce n’est qu’après coup que le prophète aurait eu l’idée de faire l’application de sa propre expérience à la situation respective d’Israël et de Jahvé (Nowack, Marti, Gautier), n’est-ce pas, non seulement contredire l’affirmation même du texte, mais prêter à Osée une singulière aberration par laquelle il se serait imaginé avoir reçu une mission à laquelle en fait il n’aurait jamais été appelé? Ne pourrait-on reconnaître toutefois « qu’il n’est pas vraisemblable qu’Osée, ayant épousé une femme qui le rendit malheureux, reconnut dans cet accident même une intervention de Yahwé. Il ne se serait pas appliqué à nous raconter l’histoire objective de ses infortunes privées. En ayant beaucoup souffert, y ayant beaucoup réfléchi, en ayant évalué la valeur représentative, il aurait plutôt cherché, sous la poussée de l’inspiration, à communiquer à d’autres les impressions religieuses qu’il en avait ressenties. Par sa mission prophétique, les souffrances qu’il éprouvait, les plaintes, les reproches, les menaces que lui arrachait son malheur devenaient les souffrances, les plaintes, les reproches, les menaces de Yahwé abandonné par son peuple. » Desnoyers, Le prophète Osée, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1917, p. 99-100.

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