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ORIGÉNISME. LE CONCILE DE MENAS


blasphèmes ; il rappelle la condamnation d’Origène dans le passé et lui reproche d’avoir inséré dans ses écrits un certain nombre de vérités pour pouvoir plus facilement induire les âmes simples en erreur. Platon était son maître, Arius a été son disciple et il est aussi impie que les manichéens.

Justinien passe ensuite à la réfutation des erreurs d’Origène. Il allègue de nombreux textes scripturaires et patiïstiques contre la doctrine de la préexistence. Plus brève est la réfutation de la doctrine qui tient le soleil, la lune, les étoiles et les eaux au-dessus du firmament pour des êtres animés ; celle de la sphéricité des corps ressuscites est taxée de folie. Il n’est pas étonnant, s'écrie Justinien, qu’Origène, qui a vomi tant de blasphèmes, ait fini par apostasier. Dans sa bonté, Dieu a permis cette apostasie, car, si Origène avait eu l’auréole des martyrs, il aurait séduit un plus grand nombre d'âmes. Enfin, l’empereur combat la négation origéniste de l'éternité des peines de l’enfer. Ensuite, vient l’exposé des mesures qui semblent nécessaires pour enrayer le mal.

Justinien ordonne au patriarche Menas de rassembler tous les évêques présents à Constantinople, ainsi que tous les higoumènes, pour les faire souscrire à l’anathème fulminé contre Origène, ses doctrines blasphématoires et surtout contre les thèses origénistes données en appendice à la lettre impériale. Le procèsverbal de cette assemblée devra être envoyé à tous les autres évêques et higoumènes, afin qu’ils donnent, eux aussi, leur signature à l’anathème contre Origène et les autres hérésiarques nommés avec lui. Pour l’avenir, l’empereur prescrit que nul ne pourra recevoir la consécration épiscopale ou la bénédiction abbatiale, s’il n’a préalablement souscrit l’anathème contre Sabellius, Arius, Apollinaire, Nestorius, Eutychès, Dioscore, Timothée JFlure, Pierre Monge, Anthime de Trébizonde, Théodose d’Alexandrie, Pierre le Foulon, Pierre d’Apamée, Sévère d’Antioche, et enfin contre Origène et ses hérésies. Enfin, Justinien annonce que la présente lettre a été envoyée à l'évêque de l’ancienne Rome, à ceux d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, afin qu’ils prennent les mesusures nécessaires contre Origène et ses sectateurs.

Pour démontrer que les griefs allégués contre Origène ne sont pas sans fondement, dans ses œuvres, Justinien cite ensuite vingt-quatre passages du Péri Archôn. Seul, celui qui vise la sphéricité des corps ressuscites n’est basé sur aucun texte d’Origène. Par contre, certaines citations expriment des doctrines dont la première partie de la lettre ne parle pas. Ainsi nous' y lisons des textes qui affirment que le Fils n’est pas le « bien en lui-même » (aÙToayaOôv), comme le Père l’est ; qu’un homme est devenu Christ à cause de ses mérites, mais comme il ne s’est jamais séparé du Fils unique, il convient qu’il ait en commun avec lui l’honneur et le nom ; que le Christ souffrira de nouveau dans les sphères célestes pour les esprits mauvais et qu’il souffrira encore plusieurs fois dans les mondes futurs.

Cette lettre se termine par dix anathématismes contre Origène et sa doctrine. Nous en donnons la traduction française d’après Hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, t. ii, p. 1184 sq., renvoyant pour le texte grec à Denz.-Bannw., n. 203 sq.

1. Si quelqu’un dit ou pense que les âmes humaines existaient antérieurement, c’est-à-dire qu’elles étaient antérieurement des esprits ou des forces sacrées, lesquels, se détournant de la vue de Dieu, s'étaient laissé entraîner au mal, et, pour ce motif, avaient perdu l’amour divin, avaient été appelés des âmes et envoyés par manière de punition dans un corps, qu’il soit anathème.

2. Si quelqu’un dit ou pense que l'âme du Sauveur existait antérieurement et avait été unie au Dieu Logos avant

l’incarnation et la génération du sein d’une vierge, qu’il soit anathème.

3. Si quelqu’un dit ou pense que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ a été d’abord formé dans le sein de la sainte Vierge, et que le Dieu Logos, de même que l'âme préexistante, se sont ensuite unis à lui, qu’il soit anathème,

4. Quiconque dit ou pense que le Logos de Dieu s’est lait semblable à tous les ordres célestes, et qu’il est chérubin pour les chérubins, et séraphin pour les séraphins, en un mot qu’il est devenu semblable à toutes les puissances supérieures, qu’il soit anathème.

5. Quiconque dit ou pense que, lors de la résurrection, les corps humains ressusciteront en forme de sphère et sans ressemblance avec celui que nous avons, qu’il soit anathème.

6. Quiconque dit que le ciel, le soleil, la lune, les étoiles et les eaux qui sont au-dessus des cieux, sont des êtres animés et raisonnables, qu’il soit anathème.

7. Quiconque dit ou pense que le Christ Seigneur sera dans le siècle à venir crucifié pour les démons ainsi qu’il l’a été pour les hommes, qu’il soit anathème.

8. Quiconque dit ou pense que la puissance de Dieu est limitée et qu’il a créé tout ce qu’il pouvait, qu’il soit anathème.

9. Quiconque dit ou pense que la peine des démons et des impies ne sera pas éternelle, qu’elle aura une fin et qu’il se produira alors une apocatastase des démons et des impies qu’il soit anathème.

10. Anathème à Origène, nommé aussi Adamantins, qui a professé ces erreurs, ainsi qu'à tous ses enseignements infects et impies ; anathème à toute personne qui pense de même et qui, en quelque temps que ce soit, aura l’audace de prendre leur défense en tout ou en partie.

Pour le texte grec de ce dernier anathématisme, il faut se reporter à Mansi, t. ix, col. 533 ; Denzinger ne le donne pas.

Dans son édition d’Origène du Corpus de Berlin, Koetschau fait le plus grand cas de cette lettre impériale, non seulement pour la reconstitution de la pensée d’Origène, mais aussi pour la fixation du texte authentique du Péri Archôn. G. Bardy est beaucoup plus réservé. En effet, il est peu probable que Justinien ou son conseiller théologique ait jamais lu le Péri Archôn. A Constantinople, dans la première moitié du vie siècle, Origène était bien oublié. En outre, nous avons vu que le mémoire antiorigéniste qui provoqua la lettre à Menas n’arriva à Constantinople qu'à la fin de l’année 542 ; or, l'édit de Justinien fut promulgué en janvier 543. Il est donc fort probable que Justinien s’est formé son opinion sur Origène d’après le mémoire des moines palestiniens et que les textes du Péri Archôn qu’il cite sont ceux qui étaient contenus dans le susdit mémoire. Cela ne veut pas dire que les textes du Péri Archôn contenus dans la lettre impériale à Menas ne sont pas authentiques, mais, comme le remarque judicieusement Bardy, « il reste que (ces textes) sont des fragments détachés de leur contexte, choisis à dessein pour noircir la mémoire du célèbre docteur ; qu’ils expriment sous une forme affirmative des hypothèses simplement proposées par Origène, peut-être même attribuées par lui à d’autres philosophes ; qu’ils ont pu être quelquefois tronqués ou que des interpolations s’y sont glissées. » Op. cit., p. 73.

Libératus nous apprend que les autres patriarches signèrent l'édit de Justinien comme Menas l’avait fait. Ereviarium, c. xxiii, P.L., t. lxviii, col. 1046. Pour ce qui concerne le pape Vigile, le témoignage de Libératus est confirmé par Cassiodore dans ses Institutions, P. L., t. lxx, col. 1111. En Palestine, tous les évêques signèrent, à l’unique exception d’Alexandre d’Abila. Les deux origénistes notoires, Théodore Askidas et Domitien d’Ancyre, se soumirent eux aussi ! ù l’injonction impériale. Vita Subie, p. 366. Mais la suite des événements ne devait pas tarder à démontrer que le parti origéniste était encore bien vivant.