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    1. ORIGÈNE##


ORIGÈNE. L’INCARNATION

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près d'être suffisante. Pourquoi faut-il qu’Origène ajoute aussitôt, en revenant sur la théorie de la préexistence : « Cherche, puisque le péché et la mort sont entrés dans le monde par un seul homme, et que certainement par ce monde l’Apôtre entend le monde terrestre où nous vivons, si le péché n’avait pas déjà pénétré ailleurs, et ne se trouvait pas, par exemple, dans ces lieux du ciel où habitent les esprits de malice. Cherche, de plus, d’où le péché est entré dans ce mondeci, et où il était avant d’y entrer, et, à supposer qu’il existât déjà, s’il existait avant celui à qui il a été dit : Des iniquités ont été trouvées en toi, et c’est pourquoi je t’ai précipité sur la terre. » In Rom., v, 1. Et plus loin, avec une insistance renouvelée : « Tous les hommes ont été mis dans ce lieu d’humiliation, dans cette vallée de larmes, soit que tous aient été dans les reins d’Adam et se soient vus expulsés avec lui du Paradis, soit que chacun de nous en ait été banni personnellement et ait reçu sa condamnation d’une manière inénarrable et connue de Dieu seul. » In Rom., v, 4.

Il est difficile, semble-t-il, de voir plus clairement qu’en des textes tels que ceux-ci, les complications au milieu desquelles se débat Origène pour concilier ses opinions philosophiques avec la croyance de l'Église. L'Église ne s’intéresse qu'à la terre et aux hommes et rapporte à Adam l’origine du péché. Origène embrasse d’un seul coup d'œil tout l’univers et son histoire : comment un tel système s’accommoderat-il avec la règle de foi ?

En toute hypothèse, il reste que toute l’humanité est soumise à la loi du péché. Origène connaît cette loi par sa propre expérience, il a vu les fidèles euxmêmes, les chrétiens baptisés retomber fréquemment dans les fautes auxquelles ils avaient promis de renoncer ; ses homélies, qui décrivent l'état moral des communautés du iiie siècle, nous laissent entrevoir, à côté de nobles exemples, bien des faiblesses, et le clergé lui-même n’est pas exempt de reproche. La concupiscence, les mauvais exemples, les démons, voilà quelques-unes des influences qui favorisent le développement du mal : peut-on ignorer que, si l’on ne résiste pas aux premiers attraits du plaisir défendu, on devient incapable de lutter contre des sollicitations qui ont été fortifiées par l’habitude ? que, si l’on se laisse aller à l’amour de l’argent, on est la proie de l’avarice ? L’aveuglement de l’esprit succède à la passion ; et finalement la liberté n’est presque plus autre chose qu’un vain mot. De princ, III, v, 2.

Même les justes ne sont pas à l’abri du péché. Origène se plaît à rappeler les fautes ou les imperfections des saints de l’Ancienne Loi. « Pourquoi Abel n’a-t-il ollert ses sacrifices que plus tard, après Gain, et non immédiatement ? Pourquoi Énos a-t-il attendu pour invoquer le nom du Seigneur ? Pourquoi d’Enoch est-il écrit qu’il n’a plu au Seigneur qu’après avoir engendré Mathusalem ? De Noé, l'Écriture, dit en parlant de la cinq-centième année de son âge, qu’il trouva grâce devant le Seigneur : s’il l’avait mérité plus tôt, je pense que l'Écriture divine ne l’aurait pas passé sous silence… D’ailleurs il a bu du viii, il s’est enivré, il s’est mis à nu. A Abraham, il est dit : Sors de ton pays, et cet ordre ne lui aurait pas été donné s’il avait pu plaire à Dieu dans la maison de son père. » In Rom., v, 1. Il est nécessaire que les justes s'écartent en quelque point de la voie droite, qu’il est à peu près impossible à la nature humaine de suivre partout et toujours. In Rom., ii, 14.

2° L’incarnation. —

C’est avant tout, semble-t-il, pour racheter l’humanité que le Verbe de Dieu s’est incarné. Il est possible que l’incarnation reste en dehors du système philosophique d’Origène ; il faut même dire qu’elle n’est pas exigée par la logique de ce système. Mais c’est ici surtout que, pour comprendre le grand docteur d’Alexandrie, il faut se souvenir que l’on a affaire en lui à un chrétien passionnément attaché à l'Église et à la tradition.

On peut être surpris qu’en certains passages de ses œuvres, Origène, attentif à fortifier la distinction entre la foi et la gnose, entre les simples et les didascales, semble n’attribuer au mystère de Jésus qu’une importance secondaire. N'écrit-il pas par exemple : i II faut que le christianisme soit spirituel et corporel, et quand il faut annoncer l'Évangile corporel et dire que l’on ne sait rien parmi les charnels que JésusChrist, et Jésus-Christ crucifié, on doit le faire. Mais, quand on les trouve perfectionnés par l’Esprit et portant en lui du fruit et épris de la sagesse céleste, on doit leur communiquer le discours qui s'élève de l’incarnation jusqu'à ce qui était auprès de Dieu.. In Joan., i, 7, 43. Parmi les croyants, ne met-il pas au premier rang ceux qui participent au Verbe qui était dans le principe, qui était auprès de Dieu, au Verbe-Dieu ; et au second rang ceux qui ne savent rien que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, estimant que le Verbe fait chair est le tout du Verbe et ne connaissant que le Christ selon la chair. » In Joan., ii, 3, 27-31.

De telles formules sont dures à la vérité, bien qu’elles puissent être entendues en un sens acceptable. Le Verbe est devenu par son incarnation le médiateur entre Dieu et l’homme : personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui il a plu au Fils de le manifester. Il s’est incarné afin de nous diviniser ; et dès lors les mystères de la croix eux-mêmes sont surtout des moyens, grâce auxquels l’humanité rachetée peut enfin connaître Dieu. Mais il faut ajouter qu’Origène ne s’y arrête pas. Sans doute les récits historiques de l'Évangile lui-même sont à ses yeux le symbole des vérités intelligibles. « Il ne faut pas penser que les choses historiques soient des figures des choses historiques, les choses corporelles, des figures des choses corporelles ; mais les choses corporelles sont les figures des choses spirituelles et les choses historiques le sont des choses intelligibles. » In Joan., *., 18, 111, P. G., t. xiv, col. 340. Sans doute encore, la foi aux miracles demeure insuffisante si elle ne prépare pas le chemin à la foi, à l’invisible : « Il est vraisemblable que les Juifs croyaient en Jésus quant aux choses visibles, à cause des miracles, mais ne croyaient pas aux choses profondes qu’il disait… et on retrouverait les mêmes dispositions chez beaucoup de gens : ils admirent Jésus quand ils considèrent son histoire, mais ils ne croient plus quand on leur présente un discours qui est trop profond et trop haut pour leur portée ; ils le tiennent pour mensonge. » In Joan., xx, 30, 274-275, P. G., t. xiv, col. 644.

Et après cela, il parle de Jésus comme d’un maître et d’un ami. Jésus, à ses yeux, est le maître compatissant, dont la tendresse l’amène à ne laisser de côté aucun village ; il n’est pas venu juger, mais enseigner. Contra Cels., 11, 38 ; IV, 9. Il est le prince de toute paix, le fondateur d’une paix établie sur l’amour. Contra Cels., VIII, 14. Il est impossible que ses disciples, s’ils restent fidèles à ses leçons, fassent la moindre tentative de révolution. Contra Cels., III, 28. Les païens eux-mêmes ne sont pas exclus de sa tendresse. Contra Cels., VII, 46 ; VIII, 66. II serait facile de multiplier ici les témoignages. Les homélies sur l'évangile de saint Luc en particulier contiennent des pages admirables sur le Sauveur, sur sa bonté, sa patience, sa douceur. Et lorsqu’on les lit, on se rend compte qu’Origène laisse passer ici le meilleur de son âme.

Qu’est donc au juste pour lui ce Jésus dont il parle avec des accents si profondément émus ? Il faut, pour