Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/198

Cette page n’a pas encore été corrigée

1529

    1. ORIGÈNE##


ORIGÈNE. COSMOLOGIE

1530

tière qui n’avait pas d'être par elle-même, qu’est-ce que la sagesse et la divinité auraient fait de plus que ce qu’elles auraient fait d’une matière préexistante ? Si. par hasard, la Providence n’avait fait que ce qui serait sans la Providence, pourquoi ne pas supprimer le démiurge et l’artisan de l’univers ? II serait absurde sans doute de dire que ce monde, si artistement construit, est devenu tel par lui-même sans la main d’un sage ouvrier. Il ne l’est pas moins de dire que la matière, avec sa quantité réglée, avec ses qualités, avec sa souple obéissance à l’art du Verbe divin, existe sans avoir été créée. » In Gènes, comment., cité par Eusèbe, Præparatio evang., VII, 20, P. G., t.xii, col. 48-49. Cf. De princ., II, i, 5.

Ce texte est long, mais il convenait de le citer en entier à cause de son importance. Car la création du monde matériel n’y est pas seulement affirmée ; elle est encore démontrée par des arguments de l’ordre rationnel. Aux partisans de la matière incréée, Origène oppose deux objections : comment comprendre une matière indépendante de Dieu quant à son être, et dépendant de lui dans sa forme et dans ses attributs ? comment concevoir une matière qui existerait par elle-même et posséderait la faculté de recevoir certaines déterminations ou certains mouvements, sans avoir déjà ces déterminations et ces mouvements ? Objections qui semblent décisives à Origène, et qui le sont en effet, si l’on se représente la matière comme un pur principe de passivité.

Ajoutons d’ailleurs qu’il s’agit d’une véritable création. Dieu a fait ce qui est de ce qui n'était pas, InJoan., 1, 18, P. G., t. xiv, col.53. Le monde n’est pas une émanation de Dieu, et Dieu n’est pas, ainsi que le pensaient les stoïciens, l'âme du monde. A l’objection de Celse qui voyait dans l’Esprit-Saint un corps, un souffle pénétrant tout et comprenant tout en soi, Origène répond avec assurance : Dieu et le monde sont distincts l’un de l’autre, comme le créateur et la créature. Contra Cels., VI, 7.

Toutefois cette création est éternelle. Origène se refuse à admettre que Dieu ait pu et puisse rester oisif. « On nous objecte, écrit-il, cette difficulté : Si le monde a commencé dans le temps, que faisait Dieu avant que le monde commençât ? C’est une impiété à la fois et une absurdité de dire que la nature de Dieu reste oisive et inerte ou de penser que sa bonté n’a pas toujours fait le bien, que sa toute-puissance n’a pas toujours exercé le pouvoir. « De princ., III, v, 3. Cf. De princ, I, iv, 3 ; S. Jérôme, In Epist. ad Ephes., 1, P. L., t. xxvi, col. 548 ; Méthode, cité par Photius, Bibliolh., cod. 235. « Dieu, dit encore Origène, ne saurait être appelé tout-puissant, à moins d’avoir des sujets sur lesquels il exerce sa puissance et, par conséquent, pour qu’il manifeste son pouvoir suprême, il faut que toutes choses subsistent. Car, si l’on voulait prétendre, qu’il y ait eu, soit des espaces, soit des siècles, où ce qui a été fait n'était pas encore fait, on montrerait évidemment par là que Dieu n'était pas tout-puissant dans ces espaces ou dans ces siècles, qu’il ne l’est devenu que plus tard, à partir du moment qu’il y a eu des êtres, sur lesquels s’est déployée sa puissance. Il y aurait donc eu du progrès en Dieu ; il serait devenu meilleur, puisqu’on ne saurait douter qu’il vaille mieux être tout-puissant que de ne l'être pas. Or, n’est-il pas absurde de supposer que Dieu ne soit arrivé que plus tard et par voie de progrès, à posséder ce qui convient à sa nature ? Que s’il n’y a jamais eu de moment où Dieu n’ait été tout-puissant, nous devons nécessairement admettre qu’il y a toujours eu des êtres par lesquels cette puissance s’est manifestée, des sujets soumis à ce monarque suprême. » De princ, I, ri, 10.

La création éternelle est cependant finie, car Dieu, dit l'Écriture, a tout fait avec ordre et avec mesure : qu’il s’agisse du nombre des êtres raisonnables ou de l'étendue de la matière corporelle, tout ce qui est créé se renferme dans un nom lire et une mesure déterminés. De princip., IV, iv, 35. Origène, ici, se montre pleinement grec : il lui répugne d’admettre que Dieu soit infini : « Dans ce commencement, écrit-il, que notre esprit se représente, Dieu a produit par sa volonté autant de substances intellectuelles qu’il fallait et qu’il était suffisant. Car il ne faut pas, sous prétexte de le glorifier, ôter à la puissance divine sa limite. Nous devons affirmer au contraire qu’elle est finie. Si en effet elle était infinie, elle ne pourrait se penser. Car il est de la nature de l’infini de ne pouvoir être embrassé. Dieu a donc fait autant d'êtres qu’il pouvait en comprendre, en tenir sous sa main, en ramasser sous sa Providence. De même, il n’a préparé qu’autant de matière qu’il en pouvait ordonner. » De princ, II, ix, 1. Rufin a abrégé ce passage dans sa traduction, et nous le comprenons sans peine, car l’idée qui est ici exprimée a quelque chose d'étrange pour nos esprits latins ; mais nous avons encore le texte grec, et Théophile d’Alexandrie en confirme l’exactitude, S. Jérôme, Epist., cxviii, P. L., t. xxii, col. 805, de sorte que nous sommes assurés de son authenticité. Il ne s’agit pas, pour Origène, de limiter la toute-puissance de Dieu, mais de l’expliquer : c’est parce qu’il est toutpuissant que Dieu a fait tout ce qu’il a pu.

Faut-il ajouter que, - pour Origène, l'éternité du monde créé ne saurait en rien lui confier une sorte de nécessité qui ferait de lui un être divin ? Du Fils de Dieu aussi, Origène déclare qu’il est éternellement engendré par le Père, et il va jusqu'à écrire : « NotreSeigneur est la splendeur de la gloire de Dieu, or la splendeur ne naît pas une fois pour cesser ensuite de naître. Autant de fois se lève la lumière productrice de la splendeur, autant de fois est engendrée la splendeur de la gloire. Notre Sauveur est la sagesse de Dieu. Notre Sauveur est la splendeur de la lumière éternelle. Si donc le Sauveur est toujours enfanté, et c’est pour cela qu’il est écrit : « Avant les collines il m’enfante », et non : « il m’a enfanté », comme quelques-uns lisent à tort, de même toi, si tu as l’esprit d’adoption, Dieu t’enfante continuellement dans le Christ. » In Jerem., hom. ix, 4. Seulement cette éternelle génération du Verbe ne ressemble en rien à une création ; elle ne fait pas sortir le Verbe du néant ; elle est l’acte nécessaire par lequel Dieu s’affirme lui-même comme raison ; et, dans l’image scripturaire de la splendeur, on reconnaît l’origine des expressions que sanctionnera le concile de Nicée : « Lumière de lumière. »

A la doctrine de l'éternité de la création, qui est une théorie philosophique, semble s’opposer le récit de la Genèse, qui rapporte l’origine des choses. Origène ne l’ignore pas, mais il explique que les mots : « Au commencement » ne doivent pas être interprétés dans un sens temporel, car il n’y avait pas encore de temps avant que le monde fût, et ce n’est qu’après le premier jour du récit mosaïque que l’on peut parler du temps ; le principe dont il est ici question ne saurait donc être que le Verbe lui-même. In Gènes., hom. i, 1.

D’ailleurs, ce monde-ci a eu un commencement et il aura une fin ; mais il n’est pas le seul ; il doit au contraire être envisagé comme un des ternies d’une série illimitée. « Fidèles aux règles de la piété, écrit Origène, nous déclarons que Dieu n’a pas commencé d’opérer lorsqu’il a fait ce monde visible, mais, de même qu’il y aura un autre monde après la destruction de celui-ci, ainsi pensons-nous qu’il y en avait d’autres avant le commencement du monde actuel. » De. princ,