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    1. ORIGÈNE##


ORIGÈNE. DIEU, LA TRINITÉ

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saint Jérôme explique ainsi la pensée d’Origène : Filium qui sil imago invisibilis Palris comparalum Palri non esse veriiatem ; apud nos autem, qui Dei omnipotentis non possumus recipere verilalem, imaginariam verilalem videri, ut majestas ac magniludo majoris quodammodo circumscripla sentiatur in Filio. Il est probable que telle est la vraie formule : le Fils n’est vérité que par rapport à nous ; car par rapport à son Père, la vérité en soi, il ne saurait mériter ce titre d’une manière absolue. Théophile d’Alexandrie exagère du reste lorsqu’il prétend que pour Origène : Filius nobis comparatus sit veritas, Palri collatus mendacium. S. Jérôme, Epist., xcn. P. L., t. xxii, col. 762. Le terme de mensonge est assurément inexact et nous avons affaire ici à de basse polémique. Mais pourquoi ne reconnaîtrait-on pas qu’Origène ofîre de lui-même prise à ce reproche en déclarant que le Fils n’est pas la vérité vraie, la vérité en soi ?

De même, à propos de la lumière, saint Jérôme rapporte qu’Origène déclare : Deum Pal rem esse lumen incomprehensibile, Christum collalione Palris splendorem esse perparvum qui apud nos pro imbecillitate nostra magnus esse videatur. Epist., cxxiv, 2, P. L., t. xxii, col. 1060. Ici le passage correspondant de Rufin semble manquer dans la traduction du De principiis ; mais l’idée est bien origénienne, et la formule a de nouveau plus de chances d'être authentique que celle qui est rapportée par Théophile d’Alexandrie : Quantum difjerl Paulus et Petrus a Salvatore, lanlo Salvalor minor est Paire. Epist., xcii, P. L.. t. xxii, col. 762.

Il est vrai qu’Origène dit quelque part : revôfzevoi toîvjv T)ti.£Ïç xar' sbcôva, tov Ttôv ttpcût6tu7îov ùtç àXr)6si.av ë^ofxsv tùv èv "JjpLÏv xaXcôv tûttwv, aùxôç 8k ô ïlôç ÔTrep yj[i.£tç èafzev upôç ocÙtov, toioùtoç èazi 7rpôç tov IlaTspa, àXTJÔsiav Tuy^ivovra. Justinien, Epist. ad Men., Mansi, Concil., t. ix, col. 525. Il semble qu’il insiste surtout ici sur le rôle de médiateur que remplit le Fils entre le monde et Dieu. Entre le Père, qui seul vraiment est bon, et les créatures qui en quelque façon sont bonnes, le Sauveur est intermédiaire : comparé au Père, il est l’image de sa bonté ; comparé aux autres êtres, il est un exemplaire, un idéal. « Il l’emporte sur les trônes, sur les seigneuries sur les principautés, sur les puissances… sur les saints anges, sur les esprits et les âmes justes, et pourtant il n’est pas comparable au Père. » « Sur toutes les créatures, même les plus grandes, le Sauveur et TEsprit-Saint l’emportent sans comparaison et de beaucoup, mais le Père l’emporte autant et plus encore sur eux qu’eux-mêmes sur les créatures, a Jn Joan., xiii, 25, 151-153. Cf. De princ, I, ri, 12.

On pourrait multiplier les textes. Contentons-nous de remarquer que cette doctrine de la subordination du Fils au Père a sa répercussion dans l’usage liturgique que recommande Origène. Dans son traité Sur la prière, celui-ci explique longuement pourquoi nous devons prier le Père seul : « Il ne faut, dit-il, prier aucun être produit, et pas même le Christ, mais seulement le Dieu de l’univers et le Père que notre Sauveur lui-même priait et qu’il nous enseigne à prier… En effet, si, comme je l’ai montré ailleurs, le Fils est distinct du Père par l’essence et le suppôt, il faut prier ou bien le Fils et non le Père, ou bien tous les deux, ou bien le Père seul. Prier le Fils et non le Père, tout le monde conviendra que ce serait faire une chose absurde et aller contre l'évidence. Si nous prions les deux, il faudra dans nos prières, dire au pluriel : « donnez, faites, accordez, sauvez », et ainsi de suite : ce sont des formules choquantes et que nul ne pourrait trouver dans l'Écriture. Il reste donc qu’il ne faut prier que Dieu, le Père de l’univers, mais sans le séparer toutefois du grand-prêtre qui a été établi avec serment par le Père selon qu’il est écrit : « Il l’a juré et ne s’en repentira pas : Tu es prêtre pour 1 éternité selon l’ordre de Melchisédech. « Aussi lorsque les saints rendent grâces à Dieu dans leurs prières, ils le font par le Christ Jésus. Et de même que, si l’on veut bien prier, on ne doit point prier celui qui prie, mais celui à qui notre Seigneur Jésus nous fait adresser nos prières, c’est-à-dire le Père, de même, il ne faut pas présenter sans lui nos prières au Père… Peut-être quelqu’un persuadé qu’il faut prier le Christ lui-même, mais, troublé par les conséquences qu’entraîne l’adoration, nous objectera ce texte : « que tous les anges de Dieu l’adorent », et nous convenons que ce passage du Deutéronome est dit du Christ. Il faut lui répondre que l'Église, elle aussi, que le prophète appelle Jérusalem, est représentée comme adorée par les rois et les princesses, devenus ses pourvoyeurs et ses nourrices… et ne peut-on pas conformément à la pensée de celui qui a dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? nul n’est bon sinon Dieu seul, le Père », dire aussi : « Pourquoi me pries-tu ? tu dois prier le Père seul, que moi aussi je prie, » et c’est là renseignement que donnent les Saintes Ecritures. » De orat., 15.

Ce texte présente un intérêt particulier, du fait qu’on y voit clairement aux prises les deux aspects opposés de la pensée d’Origène. En tant que philosophe, Origène n'éprouve aucune hésitation : II ne faut pas prier celui qui prie ; tel est le principe. Dès lors, le chrétien adressera à Dieu seul, au Père, ses supplications, ses actions de grâces, ses demandes. Pourtant, l'Église associe le Fils au Père dans ses formules : elle prie par Notre-Seigneur : Origène ne peut encore qu’approuver cette manière de faire, car Jésus est le grand-prêtre, le médiateur et, par suite, il lui appartient de présenter à Dieu nos prières. Quelques fidèles, il faudrait même dire de nombreux fidèles, vont encore plus loin, ils prient le Fils lui-même, soit avec le Père, soit sans le Père. Origène voit ici une marque de simplicité condamnable, et il insiste pour que tous les croyants adoptent la même attitude. Seulement, lorsqu’il se trouve lui-même parmi les simples, lorsqu’il leur porte la parole de Dieu dans une homélie, il lui arrive de prier le Christ ; et c’est ici que le désaccord éclate davantage entre la théorie et la pratique.

Le Contra Celsum met en un particulier relief la difficulté. Adorer Jésus, n’est-ce pas exposer les chrétiens au reproche de polythéisme qu’eux-mêmes adressent si justement aux païens ? Origène multiplie les réponses : tantôt il affirme la préexistence du Fils de Dieu pour montrer qu’il n’y a pas, en son cas, apothéose comparable à celle des héros du paganisme, mais adoration d’une vraie personne divine ; tantôt, il soutient que toute la grandeur du Fils lui vient du Père et que c’est comme telle qu’on la vénère ; tantôt, enfin, il accentue la subordination du Fils à l'égard du Père et le présente comme notre grand-prêtre, chargé spécialement d’intercéder pour nous. Ces réponses ne sont pas très cohérentes. Du moins trahissent-elles un certain embarras.

Et l’on a remarqué que le même embarras se fait jour en des textes où Origène s’adresse à des croyants déjà avancés dans la science des Écritures, capables par conséquent de recevoir, sans atténuation, une doctrine philosophique. Tel est le caractère du commentaire sur saint Jean auquel nous avons fait souvent appel dans les pages qui précèdent. Même là, le docteur alexandrin n’est pas pleinement cohérent avec lui-même. Citons par exemple ce passage relatif à la science du Fils : « Le Fils unique est la vérité, écrit Origène, car il comprend en soi avec pleine clarté la raison de tout ce qui est selon la volonté du Père… Si quelqu’un demande si le Fils sait tout ce que le