Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/144

Cette page n’a pas encore été corrigée
1421
1422
ORGUEIL. ESPÈCES


mode où on le possède. Les espèces de l’orgueil se fondent sur cette division du bien conférant l’excellence.

Plus grand est le bien que l’on possède, plus grande est l’excellence qu’on en reçoit. Dès lors, quand un homme s’attache à un bien plus grand que son bien véritable, son appétit, flatté de cette pensée, tend Mrs une excellence plus grande que celle qui convient. Ainsi exprime-t-on la troisième des e*pèces énumérées par saint Grégoire : Cum aliquis jactat se habere quod non habet. la jactance en ce cas devant s’entendre de la convoitise intérieure de l’excellence. A cette espèce, saint Thomas attribue l’orgueil de ceux qui s’excusent de leurs péchés, dont parle saint Augustin, De civ. Dei, !. XIV, c. xiv, P. L., t. xli, col. 422, et qui par là s’attribuent le bien de l’innocence qu’en efîet ils n’ont plus ; n’entendons point non plus ici les excuses verbales, mais la méconnaissance intérieure de la faute commise où l’on refuse de s’avouer à soimême que l’on a péché.

Quelque bien que l’on possède, il est plus excellent de le tenir de soi-même que d’un autre. Cette excellence diffère formellement de la précédente et y tendre constitue une autre espèce d’orgueil. Mais l’on peut être cause de son propre bien de deux façons, soit qu’on l’ait effectivement produit, soit qu’on l’ait mérité. Selon qu’un homme considère son bien comme son propre ouvrage pu comme le prix de ses mérites, il verse dans l’une ou dans l’autre de ces deux espèces d’orgueil ainsi décrites par saint Grégoire : Cum qui< a semetipso habere œstimat quod a Deo habet, qui est la première en son énumération ; Cum propriis meritis sibi datum desuper crédit, qui est la seconde. A ces deux espèces, saint Thomas réduit l’orgueil de l’ingratitude signalé, pense-t-il, par saint Jérôme en ces paroles : Nihil est tam superbum quam ingratum videri ; car l’ingrat s’attribue, en l’une ou l’autre des deux manières dites, ce qu’en effet il tient des autres.

Il est plus excellent de posséder quelque bien de manière singulière. Penser qu’aucun autre ne possède ce bien, ou du moins au degié éminent où on le détient soi-même, c’est préparer à l’appétit la pâture d’une excellence démesurée. Saint Grégoire a signifié cet orgueil en sa quatrième espèce : Cum aliquis despectis ceteris singulariter vult videri. Ce dernier verbe serait du reste avantageusement remplacé par excellere : car ce n’est point paraître que convoite formellement l’orgueilleux, mais exceller. Le jugement dont on parle favorise l’excellence de la singularité. Ce que dit saint Thomas, que la présomption semble se rapporter principalement à cette espèce, doit s’entendre sans préjudice de la distinction formelle des deux péchés ni de l’indépendance essentielle de la présomption à l’endroit de l’orgueil ; mais en ce sens que, dans le cas où elle procède de l’orgueil, c’est de cette espèce-là qu’elle dérive de préférence.

En ces quatre manières de pécher par orgueil, on enfreint la règle divine, selon qu’il a été défini plus haut, au mépris de Dieu. Faute de quoi, l’on ne pèche pas formellement par orgueil.

Cajétan observe que les quatre espèces décrites concernent l’orgueil désordonné ex parte actus, c’est-à-Qire selon l’objet même où l’acte se porte. Il s’est agi en effet du désordre de l’excellence ellemême. Mais il se pourrait que l’excellente aimée fût en elle-même irréprochable et que cependant l’on péchât par orgueil ; car l’appétit excessif de la propre excellence véritable, reconnue comme due à la grâce de Dieu, à l’exclusion de toute singularité dans la possession — par quoi l’on élimine tous les désordres cités — un tel appétit est orgueil. Le désordre

en ce cas concerne le mode même de l’appétit qui est excessif ; et cet orgueil est considéré ex parle appetentis. On voit comme cette remarque rencontre la définition de l’orgueil, qui n’est point seulement : appetitus propria : excellentiæ inordinatæ, mais, appetitus inordinatus proprix excellentiæ. In I am -II æ, q. ci.xii, a. 4, n. v.

Le sujet de l’orgueil.

1. L’intelligence a sa part

dans l’orgueil : nous l’avons dit en la description des espèces, ayant invoqué à chaque fois, comme la condition du mouvement désordonné de l’appétit, un jugement faux de l’intelligence. Ce jugement faux fournit à l’orgueil son objet : et c’est en quoi il se distingue de l’erreur commune à tout péché, qui concerne l'élection. Quand le fornicateur estime la fornication délectable, il ne se trompe pas ; son erreur est de tenir ce plaisir pour digne d'être choisi. Au lieu que l’orgueilleux ne se trompe point seulement en jugeant digne de son choix sa propre excellence, mais bien déjà en s’attribuant une telle excellence. Néanmoins, dans le cas signalé par Cajétan d’une excellence de tout point réglée, l’erreur se situe seulement dans le rapport de cette excellence avec l’appétit et permet une adhésion déréglée de l’appétit à un objet qu’elle n’a pas créé ; dans les autres, l’erreur a formé l’objet même que l’appétit se propose.

Le jugement faux dont nous parlons est ceru. que suppose le mouvement orgueilleux de l’appétit. Il ne concerne que la direction même de ce mouvement. Dès lors, il peut ne point procéder d’un jugement faux universel. Cette remarque excuse du péché d’infidélité les orgueilleux plus haut classés dans la première et la seconde espèce. Car il est de foi que tout bien vient de Dieu et que la grâce n’est pas causée par les mérites ; et si l’orgueilleux devait nier ces propositions, il aurait refusé la foi avant de verser dans l’orgueil. Mais on sait que les propositions universelles peuvent de quelque façon demeurer dans un esprit qui professe d’ailleurs, en vue de l’action, quelque opinion particulière contraire. Cf. Ia-IIæ, q. Lxxvii, a. 2, spécialement ad 3um. On peut penser juste, universellement, et, d’autre part, mal agir, concrètement. L’appétit est éminemment propre à faire ainsi dévier la rectitude ; et, dans le cas présent, l’orgueil lui-même suggère les pensées pernicieuses aptes à servir ses fins. Le jugement faux présupposé à l’orgueil n’eût pas été prononcé sans l’orgueil même. Comment avec cela nous sortons du cercle et expliquons le premier péché d’orgueil : cf. infra, 5° La primauté de l’orgueil, col. 1427.

2. Part faite à l’intelligence. Il demeure assuré que l’orgueil consiste très proprement dans un acte de l’appétit. Les considérations plus haut proposées le persuadent certainement. Il en va de l’orgueil comme de l’humilité ; la connaissance y dirige l’appétit, mais en l’appétit seulement s’accomplit soit la vertu soit le péché. Il ne reste qu'à préciser cette proposition.

L’excellence, estime saint Thomas, est un certain bien ardu. Dès lors, à l’intérieur même de l’appétit, c’est à l’irascible qu’il importe d’attribuer l’orgueil. Pour le faire, on propose une double acception de l’irascible. Il signifie premièrement une partie de l’appétit sensible ; plus largement, on peut l’entendre de l’appétit intellectuel : ainsi attribue-t-on la colère à Dieu et aux anges, en qui il n’y a pas de passion, mais un acte de la volonté ressemblant à quelque passion. L’irascible ainsi entendu ne s’oppose pas réellement au concupiscible, cette division n’ayant pas lieu dans l’appétit intellectuel. Or, l’ardu que regarde l’orgueil n’est pas seulement une excellence sensible, celle d'être plus robuste, par exemple,