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ORESME


de la quantité à la qualité. Cette importante acquisition est fournie par le traité De difjormilale qualilatiim (appelé aussi De uniformilate et difjormitate inlentionum), contenu dans les mss. lat. 7371, 14 579, 14 580 de la Bibliothèque nationale de Paris. Ce même traité établit la « loi des espaces » dans les mouvements uniformément variés que retrouvera Galilée. Sur toutes ces questions, voir P. Duhem, Études sur Léonard de Vinci, t. iii, 1913, p. 346-405. On remarquera^d’ai Heurs que c’est en français que Nicole Oresme traite une partie de ces questions ; son Traité de la Sphère (de l’Espère, comme il dit) et son commen taire sur le Traité du ciel et du monde d’Arislote lui apparaissent à lui-même comme un véritable cours « de philosophie naturelle », fort propre à élever l’intelligence de ses contemporains. Contenus l’un et l’autre dans le ms. 1083 du fonds français de la Bibliothèque nationale. Le Traité du ciel fait allusion à un commentaire sur la Physique d’Aristote, qui est malheureusement perdu.

Aux écrits de pure mathématique et de physique se rattachent les traités relatifs à l’astrologie judiciaire, contre laquelle Oresme prend vivement parti. D’après Ch. Jourdain, le premier en date de ces traités est celui qui a pour titre : Contra astronomos judiciarios, contenu dans le Paris, lat. 14 580, fol. 100 v°, col. 2-104 v°, col. 1. Incip. : Multi principes et magnâtes noxia curiositate solliciti vanis niluntiir artibus occulta perquirere et investi gatione futura, ad cujus erroris impugnationem ordinavi tractatum qui sequitur. Pour atteindre davantage son but, Oresme fit une adaptation française fort libre de son premier traité, c’est le Liber de divinacionibus, contenu dans les mss. de la Bibl. nat., fonds français 19 951 et 1350. Voici Vincipit du premier de ces mss. : « Mon intention à l’aide de Dieu est de montrer en ce livret par expérience, par auttorité, par raison humaine que foie chose mauvaise et périlleuse temporelment est mettre son contente a vouloir savoir ou deviner les aventures et les fortunes à venir ou les choses occultes par astrologie, par nigromance, par geomance ou par quelconques telz ars, se on les doit appeler ars. » L’ensemble déborde de beaucoup la question de l’astrologie, et il s’agit bien, comme le titre l’indique de toutes sortes de divinations. Oresme les condamne toutes, soit au nom du bon sens et de la raison « onques homme qui sceust la nature des choses, ou qui eut discrétion en lui n’y adjousta foi », soit au nom de la morale. C’est le cas pour la sorcellerie, à la réalité de laquelle l’auteur ne voudrait pas faire objection, mais qui se révèle souverainement dangereuse. — En 1370, Nicolas revient sur la question avec beaucoup plus d’ampleur. Dans le ms. Paris, lat. 15 126 se lit une série de dissertations relatives à la divination, et d’abord : Utrum res futuræ per astrologiam possint præsciri, fol. 1 r°-39 r° ; cette dissertation se termine par les mots suivants : Et sic finitur questio contra divinatorcs facta anno 1370 quam non feci causa alieufus invidiæ nec causa apparentiæ sed ut se corriganl et adverlanl quos delinuit error de unis(?) quia sœpe in astrologis sludui et codices eorum revolvi et cum actoribus contuli et ad experiendum musavi sed ultra quam posucrim veriiatem non inveni, igitur viqilate. Aussitôt après commence, fol. 39 r°-80 r°, une nouvelle dissertation dont voici Vincipit : Ut autem aliqualitcr pacificcntur animi hominum, quamvis sit extra proposilum, aliquorum quæ mirabilia videntur causas proposai hic declarare. Oresme entreprend de montrer que les faits les plus merveilleux s’expliquent naturellement, sans qu’il soit nécessaire de recourir ni à l’influence des astres, ni à celle du démon, ni même à la volonté spéciale de' Dieu ; on trouve en cette dissertation toute la théorie de la perception

sensible et de l’hallucination présentée avec beaucoup de finesse. Au fol. 80 r°, après une brève récapitulation de ce qui précède, les mêmes problèmes sont repris sous forme de questions qui vont jusqu’au fol. 93 v ». A partir du fol. 95 v° (les fol. 93 v°-94 sont restés en blanc), commence la solution des dits problèmes jusqu’au fol. 156 v°. Suit une table du contenu du ms. qui présente chacune des dissertations susdites comme un traité particulier ; elle donne les titres suivants : 1. Quæstio delerminata utrum res futuræ per astrologiam possint præsciri ; 2. Rationes et causæ plurium mirabilium in natura ; 3. Plura quodlibela et diversæ quxsliones ; 4. Solutiones prædictorum problematum.

En combattant l’astrologie, c'était l’assainissement de l’opinion publique à la cour de P’rance que se proposait Oresme. De même, c’est pour remédier à l’un des abus économiques les plus graves de son époque qu’il compose son traité : De origine, natura, jure et mulalionibus monetarum, d’abord publié en latin et traduit plus tard en français par l’auteur lui-même sous le titre : Traictie de l’origine, nature, droits et mutations des monnaies. Texte et traduction ont été publiés dès le xvie siècle ; latin par Thomas Keet, Paris, s. d., reproduit dans les diverses éditions de la Bibliotheca vet. Patrum, Paris, t. ix, p. 129 ; Cologne, t. xiv ; Lyon. t. xxvi, p. 226 ; reproduit aussi en appendice au De re monetaria de Marquard Freher, Lyon, 1005 ; sur l'édition française, voir Brunet, Manuel du libraire, t. v. 5e édit., col. 923-924. et Copinger, Suppl. to Ilain’s Repertorium, n. 4534.

Jamais autant qu’au xive siècle la monnaie n’avait été soumise, du fait des princes, à de brusques changements de valeur. Cela avait commencé sous Philippe le Bel, mais, sous Jean le Bon, les oscillations de la monnaie étaient devenues d’une fréquence et d’une amplitude absolument déconcertantes. De 1351 à 1360, la livre tournois changea soixante et onze fois de valeur, les cours extrêmes étant représentés par les valeurs respectives de 13 fr. 59 et de 3 fr. 22. L’administration royale cherchait en ces continuelles mutations des sources de bénéfice, sans s’apercevoir qu’elle ruinait par là toute l'économie du royaume. Des plaintes fréquentes s'étaient déjà fait entendre. Elles avaient été particulièrement vives lors des troubles qui suivirent la captivité de Jean le Bon, alors que Charles V était régent. C’est pour détourner le nouveau roi des errements funestes suivis par tous ses prédécesseurs, que Nicole Oresme composa ce remarquable traité, où, pour la première fois est étudié, en lui-même, le problème monétaire. Les économistes d’aujourd’hui ont été frappés de la netteté et de la force avec laquelle le futur évêque de Lisieux a précisé le rôle et le caractère de la monnaie. Après avoir fait la théorie générale de cet instrument économique, Oresme aborde résolument le point capital du débat : voir les c. xiv sq. de la traduction française : « La mutation composée de la monnaie. — Comment le gain qui vient à un prince par la mutation de la monnaie est injuste. — Comment il est contre nature. — Et pire encore qu’usure. - Que telles mutations de monnaie ne sont à permettre. — Les inconvénients touchant le prince lesquels s’ensuivent. — Aucuns autres touchant toute la communauté. — Ou seulement une partie. — Si la communauté peut faire telles mutations de monnaies. » Et cette dernière question amène Nicole Oresme à élargir encore le débat. « La communauté, dit-il, à laquelle appartient la monnaie, peut-elle se dépouiller de son droit et l’abandonner totalement au prince ? » Et Oresme de repousser cette pensée avec indignation : « La communauté, qui naturellement est franche et tend à la liberté, jamais sciem-