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ORDRE. CHEZ LES LUTHERIENS


cité, le titre de « sénateurs » est décerné aux plus âgés. L'évêque est un simple surveillant (Wàchter auf der Warte), et ains% tout curé ou supérieur ecclésiastique doit être dit « surveillant », parce qu’il est un gardien qui veille à ce que, dans son peuple, l'Évangile et la foi du Christ soient constamment édifiés. Et, pour prouver qu’il n’y a pas de réelle différence entre l'évêque et le simple prêtre, Luther fait appel à l’autorité de saint Jérôme. Ceux qu’on appelle actuellement évêques, Dieu ne les connaît pas.

L’institution de l’autorité ecclésiastique devrait se faire comme dans les temps primitifs. Tous les fidèles étant de la même façon prêtres spirituels, l’assemblée devrait choisir dans son sein le plus savant, le plus pieux, pour en faire son serviteur, son ministre, son curateur, son gardien pour tout ce qui touche la prédication de l'évangile et l’administration des sacrements. Mais l’institution présente des évêques dérive d’ordonnances purement humaines.

On peut concéder au sacerdoce ainsi dérivé de l’institution ecclésiastique, qu’il soit appelé luimême ecclésiastique, sans lui attribuer toutefois le moindre fondement dans l'Écriture. Il est regrettable cependant qu’en vertu de l’autorité damnée du pape, le nom si suave de prêtre ait été enlevé à la communauté pour être attribué au petit nombre. Pour justifier cet état de choses, Emser fait appel à la coutume. De fait, c’est une ancienne, très ancienne coutume qui a fait transférer sans aucune raison au Nouveau Testament ce qui ne convenait qu'à l’Ancien. Mais ce que la coutume a fait, la coutume peut aussi l’abroger, et le sacerdoce « ecclésiastique » ne saurait être considéré comme une institution divine : « L’institution divine ne dépend pas d’une coutume branlante et ne peut être changée par les hommes. » Luther veut aussi concéder que la coutume humaine permette d’appeler « prêtres » la masse des « tondus » (tonsurés) et des « barbouillés » (oints). Mais il faut s’opposer à la prétention des adversaires qui veulent trouver, pour leur coutume, un appui dans l'Évangile ; cf. J. Kœstlin, op. cit., p. 376-378.

On ne s'étonnera pas des injures adressées par Luther aux évêques : l’archevêque de Grenade y fit de nombreuses allusions, avec citations à l’appui, dans les discussions préliminaires à la session xx ! ^ du concile de Trente ; cf. Concilium Tridentinum, éd. Ehses, t. ix, Fribourg-en-B., 1924, p. 50-51.

On retrouvera les négations de Luther chez Thomas Illyricus, dans la Confession d’Anvers, c. xi, et plus tard, chez Chemnitz, Examen concilii Tridenlini, Francfort, 1578, part. II, p. 1162 sq.

2. Mélanchthon.

La doctrine luthérienne se retrouve chez Mélanchthon, avec les termes injurieux en moins.

Parmi les lettres où Mélanchthon rejette le sacrement de l’ordre, tel qu’il est conféré par les évêques catholiques, il faut citer, dans l'édition de Halle, 1836 (Corpus reformatorum), la lettre n. 1482, t. iii, p. 182 ; n. 4409, t. vii, p. 219, et surtout la lettre n. 2786, t. v, p. 210. D’après Mélanchthon, pour être constitué ministre, il faut la vocation et l'élection. C'était l’ancienne discipline de l'Église, où l’on voit les évêques nommés par le peuple, discipline dont il reste encore un vestige dans les nominations épiscopales faites par les collèges ecclésiastiques. Après cette vocation ou élection, avait autrefois lieu la comprobalio, c’est-à-dire la consécration de l'élection, faite par deux ou trois évêques voisins, qui venaient imposer les mains à l'élu. « Nous avons, ajoute Mélanchthon, gardé cette coutume et je me complais en ce rite. » Mais il considère que celui qui est appelé ou élu par ceux en qui se trouve le droit de vocation, est véritablement déjà ministre de

l'Évangile, même avant d’avoir reçu l’imposition des mains. Il pourrait déjà enseigner et administrer les sacrements. L’imposition des mains, en effet, n’ajoute aucun pouvoir : elle constitue une simple déclaration, une approbation de la vocation, ou mieux une constatation. Il est interdit d’aller demander l’imposition des mains aux évêques catholiques, qui déclarent désapprouver la doctrine des Églises réformées. Être ordonné par eux, c’est se charger de liens impies. Et, tout en rejetant leur ordination, l'Église universelle ne périra pas ; l'Église demeure avec nous. Là où résonne la voix de l'Évangile, là se trouve le vrai ministère ; là demeure le droit d'élection et d’approbation. L'Église doit être perpétuelle, certes ; mais elle ne dépend pas des titres épiscopaux. Là où résonne la voix de l'Évangile, là est la vraie Église.

Cette cérémonie de l’ordination, telle qu’elle se fit aux ministres ordonnés à Wittenberg, Mélanchthon nous en a conservé le rite dans la lettre n. 4409. Cette cérémonie se composait de huit actes : 1° examen de probation des candidats, pour constater s’ils sont vraiment aptes à défendre la vraie doctrine contre les portes de l’enfer ; 2° à genoux devant l’autel, celui qui fait l’ordination et ses ministres chantent Veni Creator, tandis que les ordinands sont rangés dans le chœur ; 3° l’officiant monte à l’autel et se retournant vers les ordinands, récite sur eux I Tim., m, et Eph., i, 15 sq. ; 4° allocution pour leur demander s’ils veulent se consacrer au service divin ; 5° imposition des mains, avec récitation du Pater et d’une autre prière ; 6° allocution sur I Pet., v ; 7° bénédiction avec le signe de la croix sur leur tête, accompagné d’une formule ; 8° chant du Pater et communion.

Dans les l.oci communes, Mélanchthon veut situer l’opposition de la conception luthérienne et du dogme catholique. En parlant du nombre des sacrements, il déclare accepter volontiers qu’on place l’ordre parmi les sacrements, à condition toutefois de l’entendre comme un simple ministère de la prédication de l'Évangile et de l’administration des sacrements. En ce sens, c’est un sacrement fort utile. Édit. citée, t. xxi, p. 470. Mais les catholiques ne l’entendent pas ainsi. Omettant de faire mention du ministère évangélique, ils pensent que l’ordre est avant tout le pouvoir de sacrifier pour les vivants et pour les morts ; ils ajoutent qu’aucune rémission des péchés ne saurait exister si, même en dehors du sacrifice de Jésus-Christ, il n’existait pas dans l'Église un autre sacrifice.

Plus loin, De potestate ecclesiastica seu de clavibus, Mélanchthon déclare que dans l'Église, il faut distinguer officia et potestates. En tant qu’ils remplissent leurs offices, les ministres ont droit à notre obéissance, surtout lorsqu’ils enseignent la parole de Dieu. Et il fait ici appel à Luc, x, 16 ; xxiii, 3 ; I Pet., ii, 13, 18 ; ibid., p. 502. Il revient ensuite sur les idées que nous connaissons déjà : vocation, élection, ordination, exemples de la primitive Église ; droit de la vraie Église — laquelle existe là où se fait la prédication de la parole de Dieu — de se choisir des ministres. Ibid., p. 503-505.

3. Confession d’Augsbourg.

La confession d’Augsbourg n’a qu’un petit article, d’un laconisme évidemment voulu, au sujet de Vordre ecclésiastique : art. 14 : « Personne ne doit publiquement enseigner dans l'Église, ni administrer les sacrements, s’il n’est appelé officiellement (rite vocalus). » On y retrouve néanmoins les traits essentiels de la pensée luthérienne, avec la forme de Mélanchthon. Elle s'étend davantage sur le pouvoir épiscopal, art. 28. Le pouvoir épiscopal est ici identifié avec le pouvoir des clefs, qui consiste, selon le précepte du Seigneur,