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ORDRE. CHEZ LES LUTHERIENS

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austères, de ses deux chaires de cure et de professeur pour déclamer contre les ordres mendiants, le clergé et la hiérarchie et surtout contre le pape. On étudiera ailleurs les idées du novateur ; il nous suffira de rappeler par où elles s’attaquent à la notion catholique de l’ordre.

Le système de Wiclef est un grossier réalisme panthéiste, qui s’origine au prédestinatianisme et au fatalisme. Il n’est pas facile de déterminer si et jusqu'à quel point il a subi l’influence de Bradwardin. Mais le système prédestinatianiste de Wiclef aboutit, en fin de compte, à rendre inutile toute intervention temporelle de salut par l'Église : Dieu a tout déterminé d’avance et il n’y a de vrai membre de l'Église que le prédestiné. C’est, par anticipation, l’erreur fondamentale de Calvin. Tous les autres, fussent-ils évêques et prêtres, ne sont que des membres apparents sans autorité, sans pouvoir. Dans le Trialogus, iv, 15, il professe qu’il n’y avait que deux fonctions dans l'Église primitive, la prêtrise et le diaconat. Tous les autres degrés de la hiérarchie, le pape, les patriarches, les évêques, etc., n’ont été introduits que par orgueil, superbia cœsarea. Nous retrouvons ici une idée chère à Marsile de Padoue : l'épiscopat est, dans l'Église, d’origine purement humaine ; mais, de plus, tout prêtre prsescitus, c’està-dire connu d’avance par Dieu comme réprouvé, ne fait plus partie de l'Église et, par conséquent, ne saurait y exercer aucun pouvoir. Voici deux propositions relatives au sacrement de l’ordre, qui ont été condamnées au concile de Constance :

Prop. 4 : Un évêque, un prêtre en état de péché mortel n’ordonne pas, ne consacre pas, ne confère pas les sacrements, ne baptise pas. — Prop. 28 : La confirmation des jeunes gens, l’ordination des clercs, la consécration des églises n’ont été réservées au pape et aux évêques que par cupidité et vanité. — Cf. aussi propr. 8 et 42.

On le voit, sans nier absolument l’institution divine du sacerdoce, Wiclef, comme Marsile de Padoue, niait le pouvoir épiscopal et, grâce au concept d’une Église formée des seuls prédestinés, arrivait à supprimer en fait le pouvoir d’ordre. Ou, s’il maintenait un sacerdoce, c'était un sacerdoce invisible, connu de Dieu seul et par Dieu conféré. Cf. Thomas Netter (Waldensis), Doctrinale antiquitalum fidei… Paris, 1521, t. II, c. xxxix. Ce n'était pas d’ailleurs une nouveauté : Jean XXII avait, cent cinquante ans plus tôt, condamné semblable erreur chez les fraticelles. Denz.-Bannw., n. 486, 488. C'était, en somme, une déviation outrée de l’erreur qui, depuis quatre siècles, se retrouvait constamment à la base des réordinations.

Sur les disciples de Wiclef, voir Lollards, t. ix, col. 913 sq. D’ailleurs, le lollardisme anglais, quelles que soient ses affinités de doctrine avec le protestantisme des réformateurs du xvie siècle, n’en est qu’un lointain précurseur, sans influence réelle : entre les Lollards et la Réforme, il y a solution de continuité. Voir t. ix, col. 921-922.

3. Jean Hus.

On a vii, t. vii, col. 338, comment Jean Hus s'était engagé à fond dans la crise wicléfiste. Sans adopter la spéculation panthéiste de Wiclef, Hus fit de la doctrine de la prédestination le centre de sa propre dogmatique. Comme Wiclef, il enseigna que la véritable Église est un corps mystique qui se compose uniquement des prédestinés. Et, puisqu’il est impossible qu’un prédestiné périsse, que nulle puissance ne peut le retrancher de l'Église, qu’un præscitus n’a aucun pouvoir dans l'Église, n’en étant pas membre, il s’en suit qu’aucune autorité religieuse ne saurait être effectivement reconnue dans cette Église, puisque, d’une part, sans la pré destination divine, celui qui en est revêtu n’appartient pas à l'Église et que, d’autre part, sans une révélation spéciale, on ne peut savoir qui est membre de l'Église. De ce chef, Hus s’attaque spécialement au pape, dont la dignité, selon lui, n’a qu’une origine tout humaine, et dont le pouvoir cesse lorsque ses mœurs ne sont plus conformes à celles du Christ et de Pierre. Pareillement, si un évêque ou un prélat tombe dans le péché mortel, il n’est plus ni évêque, ni prélat. Voir Hefele-Leclercq, avec les références aux auteurs, Histoire des conciles, t. vii, p. 265 sq., et le texte des propositions hussites, dans Denz.-Bannw., n. 627656. On remarquera cependant qu’en ce qui concerne la négation du pouvoir d’ordre, Hus est beaucoup plus circonspect que Wiclef ne l’avait été dans sa proposition 4. A la xve session générale du concile de Constance, Hus se défendit avec acharnement d’avoir enseigné qu’un prêtre coupable de péché mortel ne peut baptiser, ni consacrer. Hefele-Leclercq, p. 314. Et pourtant cette erreur lui avait été imputée. Voir, insinuant cette erreur, la prop. 8, Denz.-Bannw., n. 634, et la préparant de plus loin, prop. 22 et 26. Pareille protestation devait être faite également, à la xxie session, par Jérôme de Prague. Id., p. 396. Cependant, parmi les interrogations qu’en exécution de la bulle Inter cunctas, 22 février 1418, on dut proposer aux sectateurs de Wiclef, Hus et Jérôme de Prague, se lit la question suivante : Utrum credal, quod malus sacerdos cum débita materia et forma et cum intentione faciendi quod facit Ecclesia, vere conficiat, vere absolvat, vere baptizet, vere conférât alia sacramenta ? Denz.Bannw., n. 672.

4. Les hussites au début du XVe siècle. — L’erreur ne fut pas abattue par la mort de Jean Hus. A la fin du xve siècle, sa doctrine était plus vivace que jamais en Bohême. Le dominicain Henri Institoris relevait à cette époque chez les picards en Bohême et en Moravie un certain nombre d’erreurs, parmi lesquelles nous signalons celles qui visent directement le sacrement de l’ordre : « Puisque JésusChrist a dit : « Vous êtes tous frères », et « parmi vous, l’un n’est pas plus grand que l’autre », Matth., xxiii, 8, 11, l'Église romaine, qui tient différents honneurs et dignités, tant de l’ordre spirituel que de l’ordre temporel, n’est rien devant Dieu, nulla est apud IJeum. » Cf. prop. 28 de Wiclef. — « L’n bon laïque vaut mieux qu’un mauvais prêtre ; par conséquent ce laïque peut consacrer, tandis qu’un prêtre en état de péché mortel ne le peut pas. » Cf. prop. 4 de Wiclef. — « Tout homme peut consacrer, pourvu qu’il ait eu l’imposition des mains des anciens. » — « Toute personne peut absoudre. » Et cependant, ils admettaient encore que « par l’imposition des mains, les prêtres sont consacrés », corrigeant immédiatement cette concession faite à la vraie doctrine, en affirmant qu' « il vaut mieux se confesser à un bon laïque, qu'à un mauvais prêtre ». LIefele-Leclercq, op. cit., p. 929 ; cf. Raynaldi, Annal, an. 1498, n. 33 sq.

Le luthéranisme.

1. Négations de Luther. —

Si l’on voulait reconstituer la genèse de l'évolution luthérienne au sujet du sacrement de l’ordre, il faudrait sans doute prendre comme point de départ la sixième des quatre-vingt-quinze thèses, que Luther affichait dans l'église de Tous-les-Saints, le 31 octobre 1517, se faisant fort de les défendre publiquement : « Le pape ne peut remettre aucune peine autrement qu’en déclarant et approuvant la remise déjet faite par Dieu, à moins qu’il ne s’agisse des cas réservés au pape ; si l’on méprise cette réserve, la faute demeure assurément. » Opéra, édit. de Weimar, t. i, p. 233. L’adversaire de Luther, Tetzel, vit bien le venin de cette assertion, à laquelle il opposa la thèse