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ORDALIES


pendant, les termes dont se servent les pontifes marquent bien que la condamnation, dans leur esprit, tombe sur l’institution elle-même. Ils l’appellent une invention superstitieuse, le produit d’une odieuse malveillance, un moyen de défense contraire aux lois ecclésiastiques. P. L., t. cxlvi, col. 1406 ; clxxix, col. 119.

Si, en 967, une constitution d’Othon I er et d’Othon II a été portée à l’assemblée de Vérone, prescrivant le duel dans un certain nombre de cas, il faut dire que le pape Jean XIII n’y était pas présent et que l’autorité de l’Église n’est pas engagée. Si, en 998, Hugues, abbé de Farfa, dans un plaid tenu à Saint-Pierre, obtint que son procès contre les prêtres de Saint-Eustache de Home fût jugé selon les lois lombardes et par conséquent tranché par le duel, il faut dire que le pape n’était pas présent et que le cas fut tranché par l’empereur Othon III. L’année suivante, l’abbé ayant osé demander au pape un nouveau duel, Grégoire V se leva indigné et condamna sur le champ Hugues à signer sa renonciation à la propriété en litige.

Les dispenses et absolutions accordées par les papes après des duels, ne prouvent pas que ces papes aient approuvé l’institution même du duel. Ou plutôt, il faut dire que ces dispenses, ces absolutions prouvent « lue le duel était interdit. Ainsi doivent être jugées les dispenses accordées par Alexandre II et Alexandre III. D’ailleurs, ces dispenses, insérées dans les Décrétales de Grégoire IX, déclarent en même temps que les clercs qui ont offert ou accepté le duel se sont rendus coupables d’une faute très grave ; cf. Décret. Gregorii IX, I. I, tit. xx, c. 1 ; t. V, tit. xiv, c. 1. En fait d’approbation positive, on ne peut guère citer que l’approbation des statuts de la ville de Bénévent par Innocent III († 1216). N’est-il pas permis de dire que, comme prince temporel, il n’a pas cru pouvoir interdire dans tous les cas le duel judiciaire. Cette solution cadre bien avec l’esprit qui anime toutes les décisions pontificales en matière d’ordalies.

Chaque fois que les papes ont jugé le duel en leur qualité de chefs de l’Église, ils l’ont réprouvé positivement et dans les termes les plus énergiques. Voir ci-dessus les textes de Nicolas I er, d’Etienne V, d’Alexandre II relatifs aux ordalies en général et au duel judiciaire en particulier. Alexandre III réprouve le duel, ce jugement exécrable, prohibé par les saints canons. P. L., t. ce, col. 855. Célestin III le qualifie de véritable homicide. Décret. Greg. IX, t. V, tit. xiv, c. 2, taies pugiles homicidæ veri existunt. Honorius III l’appelle une procédure détestable, aussi contraire à l’équité qu’au droit écrit. Au duel, on peut vraisemblablement appliquer ce qu’il proclame des ordalies en général : « Cette sorte de jugements est absolument interdite par les lois et les saints canons, parce qu’on ne fait ainsi que tenter Dieu, » Honorii III Qninla compilatio, t. V, tit. xiv, cf. tit. vu. Aussi, quand Grégoire IX couvre de son autorité apostolique les Décrétales de 1234, la condamnation du Saint-Siège apparaît définitive et absolue. La rubrique sous laquelle sont réunis les documents de Célestin III, d’Innocent III et d’Honorius III l’indique clairement : Duella et aliæ purgationes vulgares prohibila sunt, quia per eos (sic) multoties condemnatur absolvendus et Deus tentari videtur ; cf. Dict. apol., art. cité, col. 1202-1203.

III. Conclusions.

Nos conclusions seront très brèves, car elles ressortent avec évidence de l’exposé qui vient d’être fait. Trois conclusions nous paraissent

résumer l’attitude de l’Église en farc des ordalies et du duel judiciaire :

1° Tout d’abord, les ordalies furent en général bien acceptées de beaucoup d’Églises particulières et de la plupart des évêques. A cause de son caractère de jugement de sang, le duel judiciaire rencontra plus d’opposition, mais finit par s’implanter dans les mœurs. De cet état de choses, il ne faut pas rendre l’Église responsable : il est le résultat de l’introduction, dans les lois civiles, des coutumes importées par les peuples d’origine germanique.

2° Consultés, les papes et l’Église universelle (au IVe concile du Latran) se placent, sous l’influence des canonistes, sur un terrain où les considérations juridiques apparaissent au premier plan. Les ordalies sont réprouvées en tant que moyen canonique de démontrer l’innocence ou la culpabilité d’un inculpé. Elles sont donc, à ce titre, interdites aux clercs et les tribunaux ecclésiastiques sont formellement invités à n’en point tenir compte : l’Église, toutefois, les tolère, comme purgalio vulgaris, devant les juridictions civiles. Néanmoins, les raisons morales qui, assez fréquemment, sont apportées à l’appui de cette attitude juridique, indiquent bien que l’Église considère les ordalies comme condamnables en soi.

3° Une condamnation absolue et sans restriction est la conséquence logique des décisions du IVe concile du Latran et de l’insertion des lettres pontificales dans la collection des Décrétales.

En bref, après avoir toléré, l’Église a rejeté pour elle-même et les siens, puis condamné sans réserve les ordalies. Il ne restera plus, après le xme siècle, qu’à faire pénétrer cette doctrine dans les lois civiles et dans les mœurs.

1° J. P. Leitersberger, Disserlatio de Ordaliit seu purgatione vulgari, Strasbourg, 1716 ; F. Maier, Geschichte der Ordalien, insbesondere der gerichllichen Zweikiimpfe in Deutschland, Iéna, 1795 ; Zwicker, Ueber die Ordalien, Gœttingue, 1818 ; V. Galtet, Élude historique sur les ordalies ou épreuves judiciaires, vulgairement appelées jugements de Dieu, dans le Bulletin de la société académique de Brest, II » série, t. ii, 1874-1875, p. 44-121 ; F. Patetta, Le Ordalie, studio di storia del diretloe scienza del diritto comparato, Turin, 1890 (où l’on trouvera d’innombrables références aux auteurs ayant traité la question des ordalies), ouvrage dont Vacandard a fait un court résumé, avec quelques conclusions divergentes, L’Église et les ordalies, dans Études de critique et d’histoire religieuse, 1° série, Paris, 1905, p. 189214.

2° E. Gerhardi, De judicio bellico, vulgo von Kampfund Kolbengerichte, Iéna, 1711 ; J.-J. Mader, De duello et ordalei quondam specie disserlatio, Helmstadt, 1662 ; E. R. Roth, Dissertatio historico-politica de antiquissimo illo more, quo veleres innocentiam suarn in duellis probare nitebantur, Clm, 1678 ; J.-D. Schœpflin, Prælectio de duellis et ordaliis veleris Francia : Rhenensis, . dans Commentarii acad. Thcod. Palat., t. iii, 1773, p. 281-284 ; Coulin, Der gerichtliche Zweikamp/ im altfranzosischen Prozess, Rerlin, 1906 ; du même, Ver/ail des gerichllichen und Entstehung des privaten Zuieikampfs in Frankreich, Berlin, 1908 ; Marchegay, Duel judiciaire entre les communautés religieuses, dans Bibliolh. de l’École des chartes, 1. 1, 1 839-1840, p. 552-564 ; de Smedt, Le duel judiciaire et l’Église, dans Études religieuses, t. lxiii (1894), p. 337 sq., et t. lxiv (1895), p. 35 sq. Voir aussi Patetta, op. cit.

Consulter U. Chevalier, Répertoire, … Topobibliographie, aux mots Duel, col. 931, Ordalies, col. 2183 ; Dict. apol. de la foi catholique, art. Duel, t. i, col. 1196 ; et ici Duel, t. IV, col. 1845.

A. Michel.