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ORATOIRE. SPIRITUALITE, BERULLE


notre piété plutôt que vers nous-mêmes. Copernic,

dit-il, « a voulu maintenir que le soleil est au centre du monde et non la terre. » Grandeurs de Jésus, p. 26. Lui. Bérulle, veut rendre à Dieu sa place au centre de la dévotion ; trop souvent, les chrétiens semblent faire de Dieu, non plus l’objet de leurs adorations, mais le serviteur de leur vie. Il faut au contraire instituer le théocentrisme ou du moins le rétablir ou le perfectionner. Bérulle n’avait certes pas la prétention de tout inventer en cela, nuis on doit reconnaître que la pensée chrétienne s’est de préférence placée au point de vue anthropocentrique. Habituellement, saint Augustin est franchement eudémoniste, saint Bernard oriente la conscience chrétienne vers un théocentrisme de plus en plus décidé, de menu : saint François d’Assise, saint Bonaventure ; l’Imitation serait plutôt en recul, mais les Frères de la Vie commune, un grand nombre de mystiques soumettent leur vie au divin précepte de la charité parfaite. Les Exercices de saint Ignace y contribuent grandement. Saint François de Sales développera admirablement la formule dans le Traité de l’amour de Dieu ; malgré cela, le théocentrisme conservera quelque chose de rare, de compliqué ; avec Bérulle il se simplifie, se montre au grand jour et s’impose à la prière de tous. Pour les contemporains, écrit son premier historien, tout s’est passé comme s’il y avait eu révolution bérullienne. Bourgoing, Amelote nous sont témoins que les membres de la compagnie l’ont compris ainsi. Tel évêque nous dit que Bérulle fut comme le libérateur de Dieu même. Et les adversaires lui reprochent précisément d’avoir introduit un langage de spiritualité nouveau, une dévotion nouvelle, d’avoir voulu se distinguer du reste du clergé. Habert, La vie du cardinal de Bérulle, p. 186-187.

Il ne veut pas cependant que nous ayons peur de I lieu comme d’un tyran, nous devons aller à lui avec une simplicité toute filiale, du pas confiant d’enfants, assurés d’être bien accueillis par leur père.

4. Le Verbe incarné.

Le P. de Bérulle dirige nos

regards vers Dieu pour nous faire contempler Jésus-Christ le Verbe incarné. Son théocentrisme est plutôt un christocentrisme ; il veut que l’on considère le Christ plus en lui-même que dans ses opérations et ses bienfaits. Continuant sa comparaison du système du monde d’après Copernic, il dit : « Jésus est le vrai centre du monde et le monde doit être en un mouvement continuel vers lui. Jésus est le soleil de nos âmes, duquel elles reçoivent toutes les grâces, les lumières et les influences. Et la terre de nos coeurs doit être en mouvement continuel vers lui. » Grandeurs de Jésus, dise, ii, p. 26. Sur le point de partir en Angleterre pour accompagner la future épouse de Charles I er : « Nous devons en tout adorer Dieu en lui-même et en ses œuvres, écrit-il, et surtout au plus grand de ses œuvres qui est l’incarnation de son Fils. » Houssaye, Le P. de Bérulle, t. iii, p. 12-13.

Saint François de Sales avait admis que l’incarnation était dans le plan primitif de la création ; Bérulle ne le suit point en cela : « S’il n’y avait des pécheurs en la terre, il n’y aurait point un Homme-Dieu sur les cieux et sur la terre. » Grandeurs, p. 405.

Mais il parle habituellement comme si le Verbe se serait incarné indépendamment du péché : « En lui, Dieu a voulu comprendre et terminer sa grandeur, sa puissance, sa bonté et l’ineffable communication de soi-même… Trinité sainte, divine et adorable en l’unité de votre essence, la pluralité de vos personnes… je vous loue et vous bénis, je vous adore et vous rends grâce, de ce « conseil très haut… et très sacré… que vous avez tenu de toute éternité, d’unir un jour et pour jamais la nature humaine à votre divine essence. .. Étant source de vie en la divinité, vous l’avez

voulu être en notre humanité. » Grandeurs de Jésus, p. 19, 27, 29.

Ses contemporains lui attribuent comme gloire insigne d’avoir rappelé aux fidèles, instauré en quelque sorte, la dévotion à Notre-Seigneur. Le pape Urbain VIII l’appelle l’apôtre du Verbe incarné. « Le Fils de Dieu, écrit Bourgoing. l’a envoyé… « omivte un nouveau saint Jean, pour montrer Jésus-Christ au doigt, pour le faire connaître au monde. » Œuvres, p. 98. « On avait bien pensé à Dieu devant la congrégation de l’Oratoire, dit Amelote, mais c’est elle < ; ui a renouvelé l’application des esprits à Jésus-Christ… Il y avait des Madeleines et des saint Jean avant le Père de Bérulle, mais en vérité le gros du christianisme s’était refroidi dans l’ancienne et nécessaire dévotion envers Jésus-Christ. » Vie du P. de Condren, t. ii, p. 88-89. Le même éloge se retrouve sous la plume de plusieurs écrivains de nos jours, dom Guéranger. le P. Faber, Mgr Gay, le P. Lhoumeau, M. Letourneau.

Pourtant, il est certain que, à la suite de saint Bernard, les mystiques du Moyen Age comme sainte Gertrude, le pseudo-Bonaventure auteur des Méditalions sur la vie du Clirisl. Ludolphe le Chartreux qui a composé La grande vie de Jésus-Christ, etc. ont orienté vers le Christ la piété des fidèles. Mais les docteurs de Sorbonne du xve et du xvie siècle se perdaient souvent en spéculations métaphysiques où le Christ était oublié ; le jeune Bérulle pouvait le constater dans ses études, saint François de Sales s’en plaignait dans sa Lettre à Asseline.

Saint Ignace se plaît à considérer la vie chrétienne dans sa fin dernière qui est la gloire de Dieu et la béatitude de l’homme, il ne semble pas avoir été bien frappé par les enseignements de saint Paul sur le corps mystique du Christ ; saint François de Sales envisage surtout la vie chrétienne dans son principe interne qui est la charité ou plutôt dans son acte essentiel aui est l’amour de Dieu, il ne lait pas de la qualité de membre de Jésus-Christ la base de sa spiritualité.

Les prédicateurs de ce temps parlaient peu de Notre-Seigneur ; la profonde piété de Bérulle en était vivement attristée, car. d’après un de ses confidents les plus intimes : « Son amour s’épandait comme un torrent sur toutes les parties de sa vie (la vie de Jésus)… Il ne voulait que Jésus-Christ, il ne goûtait que Jésus-Christ, il ne s’occupait, il ne s’entretenait que de Jésus-Christ. » Habert, op. cit., p. 623. Cette union si intime avec Jésus lui procurait le don « d’opérer et de produire en ceux qui l’approchaient une liaison amoureuse à la divine personne de Jésus-Christ. » Idem, p. 620.

Il inspire cette dévotion à ses disciples qui, selon le mot du prince de Conti, « respirent le Christ par tous les pores ». Il la chante dans les 1700 pages de l’édition de Migne, où l’on ne sait ce qu’on doit admirer davantage de sa science profonde, de l’exactitude de son langage, de son long commerce avec l’antiquité. Pour essayer de contenir dans une formule, une doctrine qui la déborde de toutes parts, disons que Bérulle voit dans Jésus l’objet, le principe, le modèle c’.u culte d’adoration dû à Dieu.

a) Que Jésus-Christ soit lui-même objet d’adoration, inutile sans doute de s’arrêter à le prouver, puisqu’il est Dieu ; mais Bérulle a une manière à lui de le cire : tous les aspects dogmatiques de l’incarnation, il les médite, en particulier dans son principal ouvrage, Discours de l’étal et des grandeurs de Jésus, publié en 1623 pour répondre à ses ennemis, où l’on s’étonne, tant les considérations sont sublimes, de la part qui y est faite à la polémique.

Il considère d’abord le Verbe pris en lui-même, comme deuxième personne de la Trinité sainte, comme ayant en lui « la plénitude d’être incréé : comme étant