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ORATOIRE. SPIRITUALITÉ, BÉRULLE


concentra entre les mains d’un supérieur général le gouvernement de toutes les maisons.

3. Mais « la puissance et autorité suprême et entière rie la congrégation réside, dans le corps de la congrégation dûment assemblée, à laquelle le général même demeure soumis… Le général peut, pour un temps, donner des ordres et mandements qui seront suivis jusqu’à la prochaine assemblée en laquelle, les dits ordres et mandements étant proposés, il sera au pouvoir de ladite assemblée de les faire passer en lois et constitutions stables, ou en ordonner autrement. »

I’assemblée, sess. v et ix. Une autorité très grande est donc dévolue à l’assemblée générale qui doit se réunir tous les trois ans. Le fait est à considérer lorsque, dans le premier tiers du xvii c siècle, le pouvoir royal devient plus absolu. On dirait que, par leur haute intelligence, les fondateurs ont devancé l’esprit des temps et la marche des iriées.

II. Doctrine spirituelle.

Pour un but aussi noble que la sanctification du clergé, il fallait une doctrine o’autant plus élevée et prenante que chacun gardait une plus grande liberté. Le P. de Bertille « à la dignité duquel, j’ose dire (c’est Bossuet qui parle) que même la pourpre romaine n’a pas ajouté, tant il était déjà relevé par le mérite de sa vertu et de sa science, » saura la composer ; ses disciples immédiats, comme le P. de Condren, le P. Bourgoing, la préciseront ; d’autres, comme M. (Hier, lui donneront sa parfaite expression, ou, comme saint Jean Eudes, dont la canonisation est la plus parfaite glorification de cette doctrine même, y puiseront ce qu’ils écriront de meilleur. École de haute spiritualité qui, sans différer en son fond de la spiritualité chrétienne tout court, en a organisé les matériaux en un corps de doctrine original. Malgré cela, elle est à la portée des plus humbles, comme Madeleine de Saint Joseph, Catherine de Jésus, Marguerite de Beaune, Agnès de Langeac, Marie Bousseau qui ont exercé leur influence sur le P. de Bérulle lui même, sur M. Olier, et d’autres.

1° Chez le P. de Bérulle. ~- H. Bremond, dans son Histoire littéraire du sentiment religieux, distingue trois périodes dans le mouvement religieux riont il a entrepris de raconter l’histoire : celle où domine saint François de Sales, le docteur de la mystique, avec Mme Acarie, la grande inspiratrice et le modèle achevé ; celle du P. de Bérulle, pendant laquelle « le mouvement ne va pas cesser de s’étendre, de s’enrichir. » T. ii, p. 261.

II y tient la place, non seulement principale, mais prépondérante. La troisième sera plutôt en décadence et pourra s’intituler la Retraite des mystiques.

1. Sources.

Il est bien difficile de savoir comment s’est formée cette doctrine chez le jeune Pierre de Bérulle ; il faudrait pour cela connaître son expérience religieuse : toujours très réfléchi, il fut entouré de saints comme Mme Acarie. Élevé par les jésuites, à qui il resta toujours fidèle, il connaissait la spiritualité ignatienne ; il faudrait le suivre chez les franciscains et chercher ce qu’il doit à saint Bonavenlure, étudier aussi l’action des mystiques espagnols sur lui, plus encore peut être chercher comment un perpétuel échange d’idées spirituelles avec les carmélites, à qui il n donné beaucoup plus qu’il n’en a reçu, a pu cependant l’aider à préciser sa pensée lui « le maître de tant de saints, le docteur de tant de docteurs ». Bremond, t. iii, p. I.

Au milieu de tout cela, malgré bien des apparences contraires, il reste fidèle aux principes essentiels rie l’humanisme dévot : « Parce que la nature est rie Dieu, riira-t-il, nous la laisserons sans la ruiner. » Œiwrcs. p. 1292. « Les anciens ont employé et déployé leur éloquence à célébrer les grandeurs et perfections rie l’homme et avec raison, puisque l’homme est vraiment un grand miracle… (’/est le mélange le plus j

parfait et le plus admirable qui soit en la nature, auquel il semble que Dieu ait voulu faire un abrégé de ses œuvres. » Grandeurs de Jésus, xie discours, éd. Piquand, p. 199. Il met du lyrisme à développer cette pensée : on ne peut donc pas de ce fait l’accuser de jansénisme. Bien que née au confluent de plusieurs cultures religieuses, la spiritualité oratorienne n’en demeure pas moins originale.

2. Idée inspiratrice. Peut-être faut-il chercher la toute première origine de sa doctrine dans le sentiment de profonde humilité qu’inspirait au P. de Bérulle l’idée de son néant en face du grand Dieu dont il se plaît à contempler les merveilles et qu’il appelle : Dieu des Dieux… le Très Saint, Très Haut, le Très Puissant, l’Invisible, l’Ineffable, l’Incompréhensible. » Préambule de la vie de Jésus, 1, 3. Œuvres, p. 416-417. C’est de cette infinie disproportion qui l’écrase, de l’idée de son néant qu’il expose dans son premier ouvrage : Brief discours de l’abnégation intérieure, publié en 1597 sur l’ordre de son directeur spirituel, le chartreux dom Bcaucousin, que naît l’adoration religieuse, l’idée de dépendance absolue à laquelle il revient toujours. Saint François de Sales avait restauré la dévotion ; à Bérulle, il était réservé, disent ses disciples, Amelote, Bourgoing, de remettre en faveur la vertu de religion ; sa spiritualité est une religion, la vie spirituelle ne consiste pas à penser à soi et à son salut, mais à Dieu et à ses droits sur nous. Plusieurs, écrit Bourgoing « se portent à Dieu par le motif de sa bonté, peu par l’adoration profonde de sa grandeur et de si sainteté… Ici (à l’école de Bérulle ) nous sommes enseignés à être de vrais chrétiens, à être religieux de la primitive religion que nous professons au baptême ; nous apprenons à adorer les grandeurs et les perfections divines, les desseins, les volontés, les jugements de Dieu, et les mystères de son Fils. » Préface des Œuvres complètes de Bérulle, p. 103.

Bérulle associe donc intimement la piété au dogme ; lui-même nous fournit l’ordre à suivre dans l’exposé de sa doctrine : « 1° La Trinité sainte qui nous a créés et veut nous béatifier ; 2° L’humanité sainte de Jésus qui nous a rachetés ; 3° La très sainte Vierge, liée à Jésus comme sa mère et à nous comme aux membres de son fils Jésus ; 1° Quelque autre saint ou sainte principal, la Madeleine ou quelque saint à l’esprit duquel il nous faut aspirer ; 5° Nos saints anges. » Œuvres, p. 1189.

3. Dieu un et trine, le théocentrisme. Dès lors que Dieu n’est pas une abstraction, mais un être vivant, qu’il n’est pas simplement créateur, mais Père, Fils et Saint-Esprit, la principale de nos dévotions, la plus continuelle, la plus fervente doit être la dévotion à la très sainte Trinité dont nous portons l’image en nous par le baptême, ayant été sanctifiés par une bénédiction spéciale du Père, étant membres du corps mystique du Fils, unis aux deux par le Saint-Esprit, lien personnel du Père et du Fils.

On parle toujours de la bonté de Dieu ; pour le P. rie Bérulle, avant tout « le Dieu des chrétiens est granri ».

— « Cet être divin, adorable en toutes ses qualités, a des qualités apparemment contraires. Il est infiniment présent et infiniment distant ; il est infiniment élevé et infiniment appliqué à l’être créé ; il est infiniment délicieux et infiniment rigoureux ; il est infiniment désirable et infiniment insupportable. » Œuvres, p. 1417-1418. Le premier devoir est donc de l’adorer : « Il faut premièrement regarder Dieu et non pas soi-Miènie. et ne point opérer par ce regard et recherche de soi-même, mais par le regard pur de Dieu. » Œuvres, p. 1 2 f.">.

Bérulle a le constant souci d’exalter Dieu, de le surélever, de rehausser ^a gloire et d’orienter vers lui