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OPHITES


cohérent ; mais on retrouve encore le serpent, vertu émise par Jaldabaoth pour nuire à l’homme, semblet-il : Jaldabaoth in indignationem conversum ex semetipso edidisse virtutem et similitudinem serpentis ; c’est le serpent qui révèle à Eve la science de bien et du mal. En d’autres termes, le serpent, au lieu d’être défavorable à l’homme, lui est bienfaisant. Pseudo-Tertullien, sans rien dire du rôle du Christ dans la mythologie ophite, ajoute simplement que ce dernier n’a pas eu une chair véritable : non in subslantia cornis fuisse ; et qu’il n’y a pas de résurrection de la chair : salulem carnis sperandam omnino non esse.

On remarquera, dans la description ici donnée, la même incohérence que dans celle d’Irénée par rapport au rôle du serpent : il est à la fois l’agent de Jaldabaoth et son adversaire, le bienfaiteur de l’homme et celui qui doit lui nuire. Tout cela peut tenir à la complexité du rôle attribué au serpent par une mythologie très ancienne et dont l’on ne retrouve plus ici que des débris.

5. Épiphane.

La notice que l’évêque de Salamine consacre aux ophites, Hæres., xxxvii, P. G., t. xli, col. 641-653, se développe très sensiblement de la même manière que celle de Pseudo-Tertullien, elle dérive donc, comme celle-ci, du Synlagma d’Hippolyte. La mythologie ophite est expliquée un peu plus en détail, et le nom de Prounicos que Pseudo-Tertullien ne prononçait pas intervient ici. Mais il n’y a pas de traits nouveaux. Seules les pratiques cultuelles des ophites sont exposées un peu plus au long, et nous trouvons ici l’explication des mots de la notice de Philastre, serpentem introducunt ad benedicenda eucharistia sua. « Ils honorent le serpent, dit Épiphane, à cause de la gnose qu’il a apportée aux hommes et ils lui offrent du pain. Ils ont en effet un vrai serpent qu’ils nourrissent dans une caisse. Au moment de leurs mystères on apporte cette caisse et l’on dispose des pains sur une table ; on ouvre la boîte, le serpent sort, monte sur la table, s’enroule autour des pains. Telle est pour eux l’offrande parfaite. Et, comme je l’ai entendu dir ? par quelqu’un, non seulement ils rompent ces pains, autour desquels s’est enroulé le serpent, et les distribuent aux communiants, mais chacun d’entre eux baise le serpent lequel est rendu inofîensif soit par quelque moyen charlatanesque, soit par l’action du diable qui veut en somme les maintenir dans l’erreur. Ainsi l’embrassent-ils (ou l’adorent-ils, Trpoaxuvoûaijet ils magnifient cette eucharistie ainsi consacrée par les enroulements de la bête. Ils terminent leurs rites par une hymne adressée au Père suprême : tco aveo Ilarpl û|i.vov àva7TS(i.TrovTEç. » Loc. cit., n. 5, col. 648.

A lire cette description étrange, il semblerait, que la première partie en est transcrite du Syntagma. Épiphane n’y ajouterait que le détail du baiser au serpent, qu’il a appris d’un contemporain. Il faut en conclure qu’à son époque, c’est-à-dire à la fin du iv c siècle, certaines loges d’initiés pratiquaient encore le culte du serpent. Quant à la description du système mythologique, il est fort vraisemblable qu’Épiphane l’emprunte tout simplement au Syntagma. Celui-ci, de son côté, peut bien dépendre plus ou moins directement d’Irénée. Il n’y a donc rien d’extraordinaire, à ce que l’on retrouve à deux siècles d’intervalle et sans de grands changements, les mêmes descriptions. Il ne faudrait pas se hâter d’en conclure à une fixité des mythes qui serait bien invraisemblable.

2° Les naasséniens d’Hippolyte. - — La contexture de la notice des Philosophoumena consacrée aux naasséniens, V, vi, 3-xi, éd. Wendland, p. 77-104, P. G., t. xvi c, col. 3123-3159, paraît au premier abord extrêmement enchevêtrée. Mais l’hypothèse faite par R. Reitzenstein, Poimandrcs, p. 81 sq., permet

de la ramener à un certain nombre d’éléments, qui méritent d’être examinés chacun à part.

Le début, vi, 3 -vu, 2, est une rédaction personnelle d’Hippolyte. Ayant passé en revue dans ses premiers livres, les théogonies et les cosmogonies anciennes, le prêtre romain entreprend maintenant de comparer à ces billevesées les inventions des hérésiarques, et il commence par ceux « qui ont eu l’audace de glorifier celui qui a été la cause même de l’erreur, c’est à savoir le serpent. » En tête viennent donc les naas séniens, ainsi nommés d’un mot hébreu naas qui veut dire serpent ; ils s’appellent eux-mêmes gnostiques. Leur dogme fondamental, attesté par de nombreuses hymnes dont Hippolyte donne quelques bribes, c’est la croyance en un être suprême qu’ils désignent sous le nom d’Anthrûpos (ou Adamas) c’est-à-dire le Premier homme, principe mâle et femelle, doublé d’un Fils d’anthrûpos. De lui émanent l’intelligible, le psychique, le matériel et tout cela se retrouve en Jésus, qui est lui aussi VAnthrôpos, et Jésus s’adresse aux trois catégories d’éléments, angéliques (ou intelligibles), psychiques, matériels. Il y a en effet trois catégories d’éléments, comme il y a trois Églises, dont les noms sont respectivement : l’élue, l’appelée, la captive. — Ces indications, qui sont loin d’être claires, sont reproduites telles quelles dans le résumé du t. X, c. ix, p. 268, col. 3419, comme aussi la donnée que les sectaires tirent tout cela de soi-disant révélations faites à Mariamme par Jacques frère du Seigneur. Quelle mensongère prétention ! continue Hippolyte, car c’est aux mystères, xeXeTàç, des barbares ou des Grecs que tout cela est emprunté.

La deuxième partie, vii, 3-ix, 9, beaucoup plus longue que la précédente et que la suivante, doit précisément fournir la preuve de cette assertion et son idée essentielle est que ce sont les mystères de la Mère des dieux (Cybôle) qui transparaissent à travers toute la mythologie des naasséniens. Pour le faire toucher du doigt, Hippolyte transcrit en effet un long texte religieux de la secte. Ce texte, que R. Reitzenstein a étudié avec beaucoup de soin, se révèle, même à une lecture superficielle, comme formé de deux catégories d’éléments. La trame est purement et simplement païenne, il s’agit d’une variation sur le thème fourni par une hymne à Attis qui termine le morceau, ix, 8 (on sait qu’Attis joue un rôle considérable dans le mythe de Cybèle, la Grande Mère). Sur cette trame s’insèrent des gloses dont plusieurs raccordent tant bien que mal les faits mythologiques recensés avec des passages de l’Ancien et même du Nouveau Testament. Quant à l’enseignement général qui doit s’en dégager, il reviendrait à ceci, d’après Reitzenstein, op. cit., p. 98-99 : Il s’agit d’expliquer l’origine de l’homme : celle de son corps déjà est obscure, celle de l’âme l’est encore plus ; en réalité la ^u^ô est une parcelle de l’Homme céleste, d’"Av0pw7toç. Et cela fait l’objet d’un discours qui, de toute évidence, entend montrer que cette doctrine de r"Av8pw7roç est la plus ancienne, la plus répandue des révélations, le noyau central de tous les mystères. Nous sommes, on le voit, en plein syncrétisme, et syncrétisme à la deuxième puissance s’il faut considérer comme d’origine naassénienne les gloses bibliques insérées dans le texte. Au syncrétisme païen qui conclut hardiment à l’identité des « mystères » de toute provenance, viennent s’ajouter des traits empruntés au judaïsme et au christianisme.

Dans la troisième partie de la notice, ix, 10-xi, Hippolyte reprend lui-même la parole pour décrire, à sa façon, la secte qu’il vient de montrer en relation étroite avec les adorateurs de la Grande Mère. Elle tire son nom, dit-il, du culte qu’elle rend au serpent. Or, le serpent, d’après eux, c’est l’élément humide,