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OPHITES

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une étiquette commune des sectes qui présentent en somme de notables écarts de doctrine, soit dans la théorie, soit dans la pratique. Comme le dit très justement E. de Faye : « La tradition nous les livre pêle-mêle confondues en un bloc qui ressemble à un chaos. Pour débrouiller ce chaos, il ne suffit pas de changer la rubrique qui sert à le désigner, ou d’affirmer que ce chaos est pour ainsi dire le limon primitif où ont ensuite pullulé les sectes gnostiques, encore moins d’attribuer â ce bloc informe d'écoles et de sectes une commune théologie en systématisant leurs diverses doctrines. » Gnostiques et gnosticisme, 2e édit., p. 350. Nous pensons donc ne pas faire œuvre totalement inutile en analysant les données qui nous sont fournies par l’antiquité sur le compte des ophites. Nous réservons d’ailleurs ce nom aux sectaires qui sont expressément appelés ainsi par ces documents, et aux naasséniens qui, selon l'étymologie de leur vocable, doivent en être rapprochés. Les données patristiques relatives aux sectaires englobés par la critique moderne sous le nom d’ophites ont été ou seront exposées aux articles respectifs qui les concernent.

II. Les ophites dans l’ancienne littérature chrétienne. — Nous traiterons sous deux rubriques distinctes des ophites et des naasséniens sans rien vouloir préjuger de leur identité ou de leur distinction.

Les ophites proprement dits.

Les témoignages

qui les concernent peuvent se sérier ainsi chronologiquement : Diverses affirmations de Celse, vers 170, rapportées par Origène, et qui sont les plus anciennes attestations ; une notice de saint Irénée, Cont. hæres., I, xxx ; quelques mots de Clément d’Alexandrie ; une description fournie par le Syntagma d’Hippolyte et qui s’est conservée dans le Pscudo-Tertullien ; enfin la notice fournie par saint Épiphane, Hæres., xxxvii.

1. Celse, son témoignage, critique qu’en fait Origène (Textes dans Origène, Contra Cclsum, VI, 24-39, P. G., t. xi, col. 1328-1357). — Dans les passages qui précèdent, Celse ayant comparé, pour en diminuer l’originalité, divers enseignements chrétiens aux dogmes platoniciens, entreprend maintenant de les mettre en parallèle avec ce que proposent diverses religions de mystères, en particulier le mithriacisme. S'étant procuré sur « une mystique de chrétiens » -reXer/jv -rwa -/p'„air[.avwv, n. 24, des détails curieux, il voudrait faire croire à ses lecteurs que c’est là enseignement courant des disciples de Jésus et que donc ceux-ci diffèrent à peine des sectes mystiques de l'époque.

Comme point de départ de sa description de ce « mystère chrétien », il prend un dessin qu’il s’est procuré et dont, évidemment, le propriétaire lui a donné l’explication. Autant qu’il est possible de se représenter ce diagramme, il devait avoir quelque analogie avec les figures que remplissent le livre de Jéû : Deux parties dans le dessin, séparées par un gros trait noir ; le monde d’en haut, le monde d’en bas. Dans le monde d’en haut deux personnages, le Père, le Fils, ce dernier portant sans doute le nom de Christ, car il parle d’une onction qu’il a reçue. Dans le monde d’en bas, un mourant aux prises avec l’agonie, autour de lui des anges de lumière, mais aussi des archontes mauvais. Il doit s’agir pour l'âme du moribond d'échapper à l’emprise de ces puissances aux formes extérieures redoutables, pour pénétrer dans le monde supérieur ; il est question de formules qui doivent ouvrir certaines portes, île tout un rituel magique que Celse rapproche expressément d’autres conjurations. Ce schéma simplifié que nous donnons ne rend pas compte de toute la complexité du diagramme, en la description duquel l’auteur se perd un peu ; dans les cercles qui s’entrecroisent, dans les figures

plus ou moins mythologiques qui l’encombrent, il a remarqué divers personnages qu’il nomme : l'Église, la Circoncision, Prounicos ; il a vu aussi l’arbre de vie, bien d’autres choses encore. Retenons au moins, entre les diverses gloses dont Celse coupe sa description, celle-ci qu’il n’a guère pu inventer : Le chef des archontes mauvais n’est autre que le Dieu des Juifs, à qui Moïse attribue la création et le gouvernement du monde ; ce Dieu est, par les adeptes, considéré comme maudit, depuis qu’il a lui-même maudit le serpent qui avait révélé aux hommes la connaissance du bien et du mal. Utiliser pour la reconstitution du texte de Celse, Th. Keim, Celsus' wahres Wort, Zurich, 1873, p. 80-91. Voir dans A. Hilgenfeld, Die Ketzergeschichte des Urchristenthums, Leipzig, 1884, p. 277-283, un essai d’interprétation du diagramme de Celse.

Somme toute, ces quelques traits qui témoignent de l’opposition à l’Ancien Testament, d’autres qui font songer au christianisme (mention du Père, du Fils ou Christ, de l'Église) se pourraient facilement disjoindre de l’ensemble. Celse voudrait faire croire que ces doctrines plus ou moins extravagantes sont le fait d’un groupe important de chrétiens et il ne serait pas fâché que ses lecteurs prissent tout simplement ses sectaires pour « les chrétiens ». A ne considérer que le témoignage même de Celse, la critique moderne arrivera à une conclusion toute différente. Les gens qui faisaient usage de « l’image » en question étaient à peine frottés de christianisme ; nous avons affaire ici avec une thyase quelconque, comme il y en avait tant en Orient, surtout en Egypte ; cette loge d’initiés fournissait à ses adhérents le moyen infaillible de pénétrer de ce bas monde au séjour de l’immortalité bienheureuse. A la différence d’autres loges plus strictement païennes, elle mélangeait à ses doctrines et surtout à ses pratiques théurgiques des recettes empruntées, sans avoir été bien comprises, aux chrétiens avec qui elle voisinait.

Or, c’est bien en somme ce qu’Origène déclare. Le maître alexandrin s’est donné la peine de rechercher qui pouvaient être les initiés que Celse avait voulu identifier sans plus à l'Église chrétienne, et il a bien vu qu’il ne pouvait s’agir que d’une secte tout à fait obscure, celle des « ophiens », àay]j.oziTr t ç alpsaswç ôçiàvcov. Il a même réussi à se procurer ie fameux dessin que Celse avait utilisé, ou du moins un diagramme très analogue. Le sien donne en effet quelques détails que Celse ne fournit pas, les noms par exemple des archontes aux figures monstrueuses : Michel, Souriel, Raphaël, Gabriel, Tauthabaoth, Érathaoth. Loc. cit., n. 30, col. 1340-41. Mais, quoi qu’en pense E. de Faye, op. cit., p. 359, ces divergences ne tirent pas à conséquence. Origène nous donne aussi plusieurs mots de passe que l’initié, [xûa-riç, aurait à prononcer en arrivant aux portes qui donnent entrée aux différents cieux. N. 31, col. 1341-1345. Ce lui est une occasion d’en nommer les chefs : Jaldabaoth, Jao, Sabaoth, Astaphaios, Ailoaios, Horaios. Il ajoute qu’il pourrait décrire encore d’autre rites et d’autres talismans ; il lui suffit de faire remarquer que les inventeurs du système ne se sont piqués ni de logique, ni d’originalité, faisant intervenir en un singulier mélange des noms empruntés à la magie, Jaldabaoth, Astaphaios, Horaios, et les noms divers qui sont donnés à Dieu dans l’Ancien Testament : Jao (Jahvé), Sabaoth, Ailoaios (Élohim), Adonaios (Adonaï). N. 32, col. 1345-1348. Faisanl allusion enfin à ces vocables que Celse avait accumulés : Église, Circoncision, I’rounicos, Psyché, il ne peut s’empêcher de les rapprocher de dénominations analogues qui se retrouvaient chez les valent iniens. N. 35, col. 1349. Origène, on le remarquera, ne