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ONTOLOGISME. RÉFUTATION


la vision immédiate de Dieu, comme le fait observer saint Thomas, Sum. cont. Gent., t. III, c. Lin. » Cela étant, cette connaissance immédiate de Dieu contredit plusieurs afiirmotions ou définitions de la foi catholique.

a. — « Les scolastiques, marchant sur les traces des saints Pères, non-seulement montrent avec évidence que la vision immédiate de Dieu répugne naturellement à tout intellect créé… ; mais, de plus, ils enseignent qu’il n’y a qu’une voie par laquelle l’esprit humain puisse acquérir la connaissance de Dieu, et que cette voie n’est autre que celle qui consiste à partir des créatures pour s’élever par le raisonnement à la connaissance de Dieu… Donc la connaissance immédiate de Dieu, de quelque manière qu’on l’explique, est opposée à la doctrine des Pères et des scolastiques. »

b. — « Tous les théologiens établissent comme un dogme de foi, non-seulement d’après les saintes Écritures et les saints Pères, mais encore par l’autorité du concile de Vienne, que l’esprit humain in statu vise ne peut avoir naturellement la connaissance intuitive de Dieu. Ce concile condamna les béguards qui disaient : Anima non indiget lumine gloriæ ipsam élevante ad videndum Dcum. Cela posé, voici comment on peut raisonner : certainement l’intellect humain n’a plus besoin de la lumière de gloire pour parvenir à la vision de Dieu, si la vision de Dieu lui est naturelle, comme le prétendent les ontologistes. Donc la vision béatifique ne sera plus surnaturelle et les ontologistes tombent sous la condamnation du concile. » Ici le Postulalum fait bonne justice des échappatoires par lesquelles « les partisans de la connaissance immédiate s’efforcent d’éviter la condamnation du concile ; » il termine en remarquant, « contre les sophismes des ontologistes, que le concile, en condamnant les béguards, qui disaient que Dieu peut être vu par l’âme sans la lumière de gloire, n’a fait aucune distinction entre la susbtance et l’essence, entre l’essence et les attributs, entre la vision claire et la vision obscure. D’où il nous semble qu’on peut inférer que la vision immédiate de Dieu, de quelque manière qu’on l’explique ne peut échapper à la condamnation du Concile. »

c. — Enfin le Postulalum signale simplement l’opposition de cette connaissance immédiate de Dieu avec une autre vérité catholique définie par le concile de Vienne et confirmée par celui du Latran sous Léon X : Anima intellecliva est forma humani corporis per se et essentialiter. « Il suit de cette définition que l’âme ne peut connaître naturellement l’immatériel en lui-même, mais seulement sous quelque forme sensible, d’après l’axiome connu : le mode d’opérer est conforme au mode d’exister. » — « Nous omettrons aussi de dire, ajoute le Postulalum, que, la connaissance immédiate de Dieu une fois admise, le ravissement et la prophétie ne sont plus désormais des faits extraordinaires et miraculeux, comme ils sont expliqués par saint Augustin, les autres Pères et les scolastiques, par l’élévation extraordinaire de l’intellect et la suspension des facultés sensitives. »

b) L’ontologisme ouvre la voie : a. au rationalisme. € Car, si notre esprit est admis à la vision immédiate de Dieu, il verra naturellement Dieu comme il est, c’est-à-dire non-seulement un en nature, mais aussi trine en personnes ; parce que la connaissance immédiate d’un objet demande que cet objet soit connu comme il est en lui-même. Donc les mystères pourraient être connus naturellement par l’esprit humain, de même que les vérités naturelles, et n’excéderaient pas les forces natives de l’intelligence. »

b. Au panthéisme. — Le Poslulatum en donne trois raison : a) « Tout le monde sait que l’intelligibilité des choses n’est autre chose que leur réalité… Mais,

DICT. DE THÉOL. CATH.

d’après les ontologistes, les choses ne sont pas intelligibles en elles-mêmes, mais en Dieu. Donc les choses n’ont pas en elles-mêmes une réalité qui leur soit propre, mais l’ont en Dieu comme l’enseignent les panthéistes. » — (3) « De plus, selon les ontologistes, c’est en Dieu et par Dieu que nous comprenons les choses ; il est lui-même la lumière intelligible de l’esprit humain et, par conséquent, Dieu appartient à l’essence de notre âme, de même qu’appartient certainement à l’essence de notre âme la lumière qui nous fait comprendre. » — y) Enfin, a si Dieu est la lumière intelligible de l’esprit humain, la lumière par laquelle tous les hommes comprennent serait numériquement la même et unique en tous ; si la lumière intelligible était unique dans tous les esprits humains, la puissance intellective serait également unique dans tous les hommes ; … mais l’unique puissance intellective ne pourrait être que l’intellect infini de Dieu, parce que la lumière infinie ne peut appartenir qu’à une puissance infinie. Donc, si Dieu était la lumière intelligible de l’esprit humain, il y aurait un seul esprit, ou raison, ou intellect de tous les hommes, et cette unique raison serait la raison même de Dieu. » — Le Poslulatum ajoute, en confirmatur des liens qui unissent l’ontologisme au panthéisme, que « si cette théorie de la connaissance immédiate de Dieu est considérée dans l’histoire de la philosophie, elle apparaît toujours soit comme le corollaire nécessaire du panthéisme, soit comme son principe nécessaire. » Elle est le corollaire du panthéisme dans les systèmes de Spinosa, de Schelling et de Hegel. Elle se montre comme principe du panthéisme dans le système de Malebranche et de ses disciples jusqu’à Gioberti. « Car ceux-ci, après avoir dit que la connaissance immédiate de Dieu par l’intuition est naturelle et nécessaire à l’esprit humain, ont été amenés à enseigner que la raison humaine est la même chose que la raison divine, et ont professé d’autres doctrines de ce genre, qui, comme l’ont montré des hommes très éclairés, ne peuvent s’accorder qu’avec le panthéisme. »

c. « De l’ontologisme découle encore l’Éclectisme. Car si nous connaissons tout en Dieu, notre esprit ne peut être capable d’erreur, et les opinions diverses et opposées des philosophes sont toujours comme des parties ou des faces de la vérité, ce que disent les éclectiques. »

d. Enfin « même dans l’ordre pratique, qui est fondé sur le théorique, découlent de la même doctrine de funestes conséquences. Car, l’homme une fois admis à la communication immédiate avec Dieu, on ouvre la porte à une certaine Théosophie mystique et occulte, par laquelle on peut propager et excuser, au grand détriment de l’ordre moral et social, des actions quelconques, telles que le mépris superbe de toute autorité et de toute loi… » Cf. Annales de phil. chrét., novembre 1873, p. 327-336 ; Lennerz, op. cit., p. 89-97.

L’ontologisme et la raison philosophique.

La

critique de l’ontologisme, du point de vue philosophique, tient en deux mots : l’ontologisme confond concevoir et percevoir, il confond l’être en général et Dieu. — De quelque manière qu’elle soit formée en nous, nous avons l’idée de l’être ; pour l’ontologiste, cette idée n’est pas une simple représentation, c’est une perception, une intuition ; point n’est besoin de démontrer l’existence de l’objet de nos idées, cet objet existe puisqu’il est perçu : percipi est esse ; il ne serait pas perçu s’il n’existait pas : percevoir le rien c’est ne rien percevoir. Mais alors la « chimère » existe, puisque nous avons l’idée de la chimère ! Inutile d’insister. Le perceptionnisme ontologiste est tout bonnement la suppression du problème de la connaissance intellectuelle, comme le perceptionnisme écos T. — XI — 34