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ONTOLOGISME. EN FRANCE


l’idée, la perception primitive de Dieu. Avant cette perception, elle n’est pas encore ; c’est par elle qu’elle naît, et toute énonciation, toute affirmation ultérieure renferme cette première affirmation, puisqu’en prononçant le mot est, en disant cela est, on affirme l’être, on affirme Dieu. » P. 111. L’intelligence humaine perçoit donc l’Être infini et, « dans l’Être infini, les idées, les causes nécessaires, tout ce qui échappe aux sens et n’est l’objet que de la pure pensée, » p. 61, « les essences les idées qu’affecte le caractère de nécessité, » p. 55. 14° Parmi les ontologistes que les Annales de philosophie chrétienne se glorifiaient d’avoir combattus, figure l’abbé Lequeux, cf. supra, col. 1003, auteur, ou plutôt l’un des auteurs des Institutiones philosophicse ad usum seminarii Suessionensis, I vol. in-12, Paris, 1847, cf. Annales, août 1850, p. 133. Il s’agit d’une controverse qui mit aux prises l’abbé Lequeux et l’abbé Gonzague à propos de la thèse soutenue dans les Institutiones : EsserMæ, prnit distinguuniur a reuli enlium existentia, sunt ipsa Dei subslanlia. Ibid.. p. 136. Cf. Annales, juin 1850, p. 446-448 ; août 1850, p. 133-150 ; août 1851,.p. 128-144 ; octobre 1851, p. 311-318. Comparer cette thèse avec la troisième proposition du décret de 1801 : Universalia a parle rei considerata a Deo realiler non distingiiuntur.

15° Le 25 avril 1845, l’abbé Maret publiait dans le Correspondant un article intitulé : Théorie catholique des rapports de la religion avec la philosophie, où l’on pouvait lire les déclaration suivantes : « La raison humaine est un écoulement de cette éternelle et intelligible lumière qui éclaire Dieu lui-même ; elle est une participation aux idées éternelles que l’intelligence divine pose comme les types immuables des choses ; elle n’existe qu’à la condition d’une union réelle avec la raison infinie. Cette communication de la lumière intelligible du Verbe à l’âme humaine est un fait interne, un fait qui s’accomplit dans les plus intimes profondeurs de l’âme humaine. Tous les grands théologiens, depuis saint Jean jusqu’à Malebranche et Bossuet, ont enseigné cette gloiieuse origine de la raison ; mais l’aspect purement intellectuel de ce magnifique phénomène avait surtout fixé l’attention de ces grands hommes. De nos jours d’illustres philosophes ont remarqué que les idées intelligibles ne nous étaient perceptibles à nous-mêmes, et n’étaient transmissibles aux autres qu’au moyen du langage et de la parole. » Cité par Annales, mai 1845, p. 328-330. On reconnaît l’alliage du traditionalisme à l’ontologisme, que Maret a pu prendre à Lamennais, comme il lui emprunta sa théorie de la Trinité, cf. Annales, avril 1846, p. 298318, et qu’on retrouve en Gioberti, où l’on peut douter que Maret l’ait pu lire, puisque la traduction française de l’Introduction à l’étude de la philosophie ne parut qu’en 1847. — « Le premier homme n’étant pas d’une nature différente de la nôtre, on est donc conduit à penser que la communication primitive des idées à l’intelligence humaine n’a pas été une simple révélation intérieure, mais encore une révélation extérieure, et que les choses se sont passées au premier jour comme elles se passent encore tous les jours sur la terre… L’acte créateur et fécondateur de l’intelligence est donc une révélation, une révélation interne et externe à la fois. » Annales, mai 1845, p. 334.

Aux critiques de Bonnetty, Maret répondit par Une longue lettre explicative et justificative, qui parut dans les Annales de juillet 1845, p. 31-81. Il y accentue encore son ontologisme : Les vérités éternelles, immuables et nécessaires sont bien dans la raison humaine, « mais elles ne sont pas elle. Elles appartiennent donc à une autre intelligence, qui doit être comme elles éternelle, immuable, nécessaire, infinie, c’est-à-dire, Dieu. Ces vérités sont donc en Dieu ; elle sont Dieu même ; c’est en lui que nous les voyons ; c’est

lui qui nous les communique. » P. 35. — « Mais voici un nouveau fait : nous n’avons conscience de ces idées, de ces vérités que par la parole. Sans la parole, tout est ténèbres dans notre intelligence ; avec elle, la lumière se fait. » P. 39. — Voici qui rappelle Cousin et sa Raison impersonnelle : « La raison est donc une lumière divine qui luit au milieu de la conscience humaine. La raison n’est donc pas l’âme humaine, ni l’entendement humain, puisqu’elle est la lumière qui éclaire l’entendement lui-même, la vérité qui le perfectionne. » P. 42. — Pour appuyer sa théorie, Maret fait appel à toute la tradition, dont Thomassin a réuni les témoignages au « livre IIIe du Traité de Dieu », ibid., p. 4546, 80 ; il invoque Bossuet et Fénelon, Malebranche et Leibniz, Joseph de Maistre et de Bonald. — Sur la nature de cette « union réelle de la raison humaine avec la raison infinie », qui avait effarouché Bonnetty, Maret ne s’explique pas ; mais il déclare qu’il n’y a pas lieu de s’effaroucher : « les plus grands théologiens vous dirons que la grâce, l’eucharistie et la gloire ne sont pas seulement une union réelle de l’homme avec Dieu, mais une union substantielle. » P. 65.

Dans une leçon professée à la Sorbonne le 4 juin 1846, Maret est revenu sur cette question de « l’origine divine de la raison », qui est la doctrine de Platon, de saint Jean, de Jésus-Christ lui-même, et qui fut reçue, à peu d’exceptions près, par tous les Pères, tous les docteurs et tous les théologiens. Cf. Annales, juillet 1846, p. 73. — Si l’idée de Dieu c’est Dieu lui-même, on comprend qu’il faut entendre à la lettre certaines formules de la Théodicée chrétienne relevées par Bonnetty, Annales, novembre 1849, p. 393-396, telles que : " Dans cette idée, comme sur un autre Sinaï, l’Éternel va nous apparaître… Osons maintenant élever vers elle des regards pleins de respect, osons envisager face à face l’infini, Dieu lui-même… Nous avons vu l’Être dans toute sa pureté. La face de notre Dieu s’est un instant dévoilée à nos yeux étonnés. »

16° L’abbé Maupied, auteur d’une thèse de doctorat en théologie, soutenue à l’université romaine de la Sapience, sous le titre de Réconciliation de la raison avec la foi, Défense des quatre propositions émanées de la S. C. de l’Index (ce sont sans doute les quatre propositions antitraditionalistes de 1855, Denzinger-Bannwart, n. 1649-1652), est accusé d’ontologisme conjointement avec l’abbé Cognât, par l’abbé Peltier dans son Anti-Lupus, précédé des observations critiques sur les derniers écrits de MM. Maupied et Cognât, ou Défense des 4 propositions contre leurs soi-disant défenseurs. Cf. Annales, mars f 861, p. 219-221. 17° Dans un des tout premiers numéros de la Revue du monde catholique, 6 mai 1861, A. Mazure, se demandant : Où doit aller la philosophie et par quelle voie ? propose aux réformateurs de la philosophie l’ontologisme le plus déclaré : « L’homme, né de Dieu et en Dieu, débute par avoir le sentiment, l’aperception de Dieu ; nous l’avons cette première aperception non pas en nous, dans notre propre âme, mais en Dieu lui-même, dans sa substance vive. » P. 136. « La raison est passive, en ce sens qu’elle reçoit l’empreinte comme la cire sous le cachet, ou plutôt comme le miroir reçoit la lumière du ciel et la réfléchit. Ainsi la raison reçoit l’impression, la vision de l’invisible ; Dieu irradie en elle et lui verse son jour… Alors la région de l’âme s’illumine, et elle reçoit la perception de ce qui est vrai, de ce qui est beau, de ce qui est juste, de ce qui est éternel. » P. 139. — « Mais cette révélation première n’est encore qu’en puissance ; pour qu’elle passe à l’acte, il faut que Dieu lui-même parle à l’homme un langage humain et délie son intelligence par le don de la parole. » P. 140. Nous retrouvons ici l’alliage du traditionalisme et de l’ontologisme déjà signalé chez Lamennais et Maret.