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ONTOLOGISME. EN FRANCE


intime, pour caractériser d’une part la vision ontologiste de Dieu par opposition à la vision béatiflque, d’autre part ce que la vision ontologiste nous manifesterait de l’être divin par opposition à ce que nous en révèle la vision béatiflque. « Nos regards, en effet, s’arrêtent pour ainsi dire à la surface de la Divinité. Cette lumière naturelle de la raison ne nous rend pas visible son essence intime, et ainsi notre intelligence, avec les seules forces naturelles, ne la voit pas intuitivement, mais seulement d’une manière que nous ne croyons pas mieux définir qu’en la nommant extuitive. » Défense, p. 54. Cf. Réponse, p. 57 et sq. — On trouvera dans les Annules de pliil. chrél., avril, mai, octobre, décembre 18(56 et janvier 18(57, Lettres à un jeune homme sur l’enseignement de la philosophie dans les maisons d’éducation, par M. Carré, une réfutation des théories de l’abbé Fabre.

10° Dom Gardereau, bénédictin de Solesmes, publia d’abord dans l’Auxiliaire catholique, en 1845, « plusieurs articles de haute critique philosophique, qui ont pour titre : De la philosophie catholique au Moyen Age », cf. Annales dephil. chrél., septembre 184(5, p. 197. Le 25 juillet 1846, il recommandait, dans le Correspondant, la Théodicée de l’abbé Maret, et cherchait à justifier sa méthode « philosophique » par l’exemple de saint Bonaventurc. Ibid., p. 212. Le Docteur séraphique lui paraissait le meilleur guide à proposer aux philosophes du xixe siècle et, sous le couvert de ce nom vénérable, dom Gardereau formulait un système où l’ontologisme venait compléter le traditionalisme : « Là (dans l’Itinéraire) ressort d’une manière admirable, dans son unité primitive et dans ses développements merveilleux, l’éclat de la lumière innée, qui, d’abord latente et à l’état d’idée informe, tant que l’éducation sociale n’a pas ouvert les yeux de l’âme qui la portait mystérieusement en soi, jaillit soudain au contact de la parole humaine, se lève, pour ainsi parler, comme une faible aurore à l’horizon de l’intelligence, grandit ensuite et lui révèle successivement toutes les vérités que l’homme est capable de comprendre. Car l’homme voit tout dans cette clarté primitive, qui illumine même les objets finis dont l’âme acquiert la connaissance par l’intermédiaire des sens ; il voit tout en elle, et cette lumière innée est, dit saint Bonaventure, la lumière émanée de l’Être infini, quoique reçue dans l’âme d’une manière objective et finie. » Ibid., p. 216217. « Dans cette image de l’infini, il (saint Bonaventure ) a entrevu comme un éclair de l’essence de Dieu pénétrant la pensée humaine ; il a reçu comme une intuition directe de l’existence du Très-Haut. » P. 218.

Bonnetty critiqua vivement, selon son habitude, le nouveau système philosophique qui surgissait à l’horizon, ibid., p. 197-221 ; ce qui nous valut une Lettre de dom Gardereau, que Bonnetty publia, en la hachant d’observations, dans sept numéros des Annales, avril, mai, août, déc. 1847. Le bénédictin y maintient ses positions : « Ainsi la connaissance informe du Vrai, du Bien, du Beau, du Juste, de l’Un, etc., nous est innée dans cette lumière interne, dans ce jour qui éclaire primitivement notre âme. Car où donc verrions-nous ces vérités-principes, quand la parole extérieure nous les révèle, s’ils ne nous étaient en même temps révélés ou manifestés dans cette lumière et par cette lumière interne ?… Sans aucun doute, l’enseignement extérieur développe, informe, féconde ; mais quelle vérité nous manifesterait-il, si nous n’avions déjà dans notre intelligence la vue d’une vérité plus générale, qui sert comme de base à toute vérité intelligible ; si nous n’avions la vue d’une vérité éminemment universelle, notamment celle de l’Être, qui est le fond de toute idée, comme son synonyme la vérité, dans le sens universel, est le jour qui éclaire toute idée, n’étant elle-même que l’Être en tant qu’intelligible ? » Annales,

décembre 1847, p. 455-457. Nous voici bien en plein ontologisme, c’est-à-dire en plein galimatias I

Quinze ans plus tard, en 1862, quand le P. Ramière eut fait paraître son livre De l’unité dans l’enseignement de la philosophie, dom Gardereau rentra en lice par cinq articles publiés dans le Monde, 17, 21 et 30 juillet, 10 et 28 août 1862. Cf. Annales, décembre 1862, p. 475 ; novembre 1863, p. 384-392. Son système s’est peu modifié : « Il y a essentiellement et originairement dans l’intellect une lumière concréée avec l’âme, et cette lumière, en tant que subjective, est une vue (1), encore vague et indéterminée, de l’universelle vérité. Très certainement, ce n’est pas la vue intuitive de l’essence divine ; c’est cependant, comme le dit saint Thomas, une similitude de la vérité incréée, un reflet du divin Objectif, reflet dans lequel seul se découvriront successivement à l’âme tous les objets de ses pensées. » Ibid., p. 387. Pour la critique de ce système, cf. Revue du monde catholique, 25 août 1862, p. 13-20 (Ramière).

.11° Grulrij serait, au dire de Bonnetty, « un des ontologistes les plus en renom », Annales, février 1870, p. 106. Pourtant, on l’a noté ici même, cf. t. vi, col. 1759, Gratry a « rejeté l’ontologisme qui florissait dans de brillantes écoles lorsque parut la Connaissance de Dieu » (1853). C’est qu’en effet, selon Gratry, ce n’est pas par l’intelligence que l’homme atteint directement Dieu, c’est par la sensibilité ; mais il l’atteint directement et, par là, si la théorie de Gratry, reprise de Thomassin, n’est pas l’ontologisme proprement dit, elle s’en rapproche assez pour figurer ici. « Thomassin pose donc et affirme l’existence d’un sens divin dans l’âme, sens du contact divin, distinct des idées nécessaires qui sont aussi dans l’âme, et qui sont une sorte de vision de Dieu. Selon Thomassin, l’âme sent les corps, elle se sent elle-même, elle sent Dieu. Voilà la sensibilité totale, qui se distingue ainsi en sens externe, sens interne, sens divin. Mais le sens divin, qu’on le remarque, ne peut donner, par ce contact de Dieu, qu’une connaissance et un amour implicites de Dieu, double élément qu’ont à développer, à diriger en nous la raison et la liberté. Dès lors on connaît Dieu comme on connaît le monde. La sensation donne à la connaissance du monde une base expérimentale, mais obscure et confuse, la raison y ajoute ses clartés : de même le sens divin donne une base expérimentale à la connaissance de Dieu, mais obscure et confuse, et la raison y ajoute ses clartés. Pendant que nous avons, en effet, ce sens obscur de la substance de Dieu, nous avons, d’un autre côté, l’idée claire des vérités évidentes, nécessaires, absolues, immuables, qui viennent aussi de Dieu, qui sont une sorte de vue de ce Dieu. » Connaissance de Dieu, t. ii, p. 20-21, Paris, 1853. On voit que Gratry n’a pas rejeté totalement l’ontologisme, mais qu’il l’a plutôt compliqué par l’adjonction d’une faculté mystique naturelle, qui nous donnerait une connaissance expérimentale, obscure et confuse, de la substance de Dieu. Cf. ibid., p. 261-264., p. 351-352. 12° Hugonin mérite une étude spéciale ; v. col. 1043. 13° L’ontologisme de Lamennais a déjà été signalé ici, cf. t. viii, col. 2516-2517. On en trouve une expression, pure de traditionalisme ; dans le livre De la société première et de ses lois ou de la religion, Paris, 1848, qui se présente comme une « partie inédite de l’Esquisse d’une philosophie ». « L’intelligence est radicalement inséparable du pouvoir d’affirmer ou d’énoncer. Or, nulle affirmation, nulle énonciation que par le mot est, et l’idée qui y correspond. Cette idée est donc la racine, la condition première et nécessaire de l’intelligence. Mais l’idée correspondante au mot est, sans laquelle il ne serait qu’un son vide, est la pure idée de l’être, ou l’idée de l’être illimité, absolu, infini dès lors, et l’être infini, absolu, c’est Dieu, sous sa notion fondamentale. Donc l’intelligence implique rigoureusement