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ONTOLOGISME. EN FRANCE


nous apparaît. » « L’intuition de Dieu ne cesse jamais… car voir Dieu ou penser à Dieu, c’est voir les vérités de Raison. » « Mais nous pouvons penser à Dieu sans le reconnaître pour ce qu’il est. J’entends quelqu’un venir et c’est Pierre ; mais je sais que c’est quelqu’un et je ne sais pas que c’est Pierre. De même, un athée pense qu’il y a quelque vérité éternelle, et ne sait pas que toute vérité éternelle est de la substance même de Dieu. »

9° L’abbé Jules Fabre, qui enseigna longtemps la philosophie, comme jésuite, au petit séminaire de Montauban et au collège Sainte-Marie de Toulouse, publia, une fois sorti de la Compagnie de Jésus, quatre ouvrages en faveur de l’ontologisme : 1. une réédition, avec corrections, d’un livre du P. André Martin, de l’Oratoire, sur la philosophie de saint Augustin : S. A urelii Auguslini, Hipponensis episcopi, Philosophia, Andréa Martin, congre gationis oralorii D. N. J. C. presbytero, collcctore. Novam hanc edilionem recognovil atque in pluribus emendavit Julius Fabre, olim in minori Monlalbanensi seminario, neenon in collegio ad Sanctæ Maria ; Tolosano philosophia ; professor, in-8° de xxiv-688 p. Sur ce livre et sur cette réédition cf. Annales de phil. chrét., décembre 1863, p. 430-434. La préface est datte de Toulouse 15 octobre 1862. — 2. un Cours de philosophie, ou nouvelle exposition des principes de cette science, in-8°, de xx-596 pages, petit texte. Cf. Annales, ibid., p. 434-436. « Ce n’est que le premier volume d’un cours qui pourra bien en avoir un dixième, vu la longueur de ces préliminaires, » pronostiquait Bonnetty. Zigliara, op. cit., t. ii, p. 84, en connaît le t. n. — 3. Pendant qu’il élaborait ces deux volumineux ouvrages, parurent les propositions conciliantes d’unité du P. Ramière : De l’unité dans l’enseignement de la philosophie au sein des écoles catholiques, d’après les récentes décisions des Congrégations romaines, in-8°, de xm-220p., Paris, 1862 ; cf. Annales, novembre 1863, p. 368-384. Fabre interrompit son œuvre pour lancer contre le P. jésuite l’opuscule : Défense de icnlologisme contre les attaques récentes de quelques écrivains qui se disent disciples de saint Thomas, in-8°, de xii-159 p., Paris et Tournaꝟ. 1862 ; cf. Annales, décembre 1863, p. 436-440. — 4. Enfin, le P. Ramière ayant répondu à la Défense par trois Lettres à Dom Gardereau sur l’unité dans l’enseignement de la philosophie, publiées dans la Revue du monde catholique, 25 septembre, 25 octobre, 10 et 25 décembre 1863, Fabre répliqua par sa Réponse aux lettres d’un sensualisle contre l’ontologisme, in-8°, de x-194 p., Paris, 1864. — L’abbé Fabre fut nommé, en 1866, professeur-suppléant de dogme à la Faculté de théologie de Paris, en remplacement de l’abbé Hugonin, devenu évêque de Bayeux, après avoir signé, comme nous le verrons, une rétractation de ses théories onto-Iogistes. Cf. Annales, décembre 1866, p. 433. On ne voit pas que Fabre ait dû signer pareille rétractation pour entrer à la Faculté de théologie !

L’ontologisme soutient, dit Fabre, « que l’intelligence proprement dite, l’intellect pur, a pour objet le souverain Être (ô"Qv) ; que l’âme humaine est, de la sorte, constituée intelligente par une connaissance immédiate, quoique souvent irréfléchie, de l’Absolu, de l’Infini ; et que nous voyons en Dieu les idées générales, éternelles et absolues qui éclairent notre intelligence. Cette théorie est ancienne… Si les platoniciens chrétiens de notre temps ont donné un nouveau nom (Ontologisme, "Ovtoç Xcyoç) à cette théorie, c’est pour mieux mettre en relief cette connaissance immédiate de l’Être infini, qui est le point saillant qu’il importe de faire connaître plus expressément de nos jours, afin de combattre en même temps les matérialistes, les kantistes et les panthéistes. » Réponse, p. 1213. — L’ontologisme est vrai par exclusion, parce que,

seul de tous les systtmes philosophiques, il rend compte de la connaissance de Dieu que possède le genre humain. Ni le sensualisme, ni le péripatétisme, qui n’est d’ailleurs qu’une forme de sensualisme, ne peuvent expliquer la présence en nous de l’idée de l’Infini : « Il faut donc que nous ayons, en dehors de la connaissance du fini, une connaissance immédiate de l’Être souverainement parfait. // est contradictoire que l’hemme ait une connaissance de Dieu et qu’il n’en ait pas une connaissance immédiate. Si l’âme humaine n’avait aucune connaissance immédiate de Dieu, il en résulterait que cette âme serait dans une complète impuissance de se prononcer sur l’existence de Dieu, et que de la sorte on aboutirait à l’athéisme. » Ibid., p. 8. — En dehors de l’ontologisme pas de certitude : « Lorsqu’on a bien étudié ce système, loin de douter s’il est scientifique, on ne voit que lui qui le soit. On ne peut pas concevoir sans lui V infaillibilité des choses humaines, l’immutabilité de l’ordre, comment il y a une morale fixe, une Raison indépendante, un juste et un injuste absolus, une vérité, une fausseté, une loi naturelle et un droit, qui ne dépendent ni d’aucune coutume, ni des opinions des hommes. On ne peut pas concevoir comment nous connaissons la règle que Dieu doit suivre, ce que doivent penser les autres intelligences, et, en un mot, quelle est la règle à laquelle sont assujettis tous les êtres qui pensent. » Défense, p. 26.

On ne pouvait mieux définir l’ontologisme, ni mieux montrer quelle fascination il peut exercer sur des esprits avides de certitude, que ne l’a fait Fabre dans le passage suivant de sa Défense : « L’ontologisme est un système dans lequel, après avoir prouvé la réalité objective des idées générales (types d’après lesquels sont formées toutes les choses finies), on établit que ces idées ne sont pas des formes, des modifications de notre âme, qu’elles ne sont rien de créé, qu’elles sont des objets nécessaires, immuables, éternels et absolus ; qu’elles se concentrent dans l’Être simplement dit ; et que cet Être infini est la première idée saisie par notre esprit, le premier intelligible, la lumière dans laquelle nous voyons toutes les vérités éternelles, universelles, absolues. Je vois donc les idées de Dieu, la Sagesse, la Raison de Dieu. J’ai donc l’usage des idées de Dieu ; et je dois admettre par conséquent que tous les hommes sont raisonnables immédiatement de la Raison de Dieu. Donc la Sagesse ou la Raison objective nous est cemmune avec Dieu même, avec cette différence qu’elle s’identifie avec Dieu et qu’elle est simplement présente à mon intelligence. D’où l’on voit qu’elle est commune aux anges, aux hommes, en un mot, à tout ce qui pense. » Cité par Annales, mai 1866, p. 325-326.

Nous venons de souligner un terme caractéristique de l’ontologisme : contrairement, en effet, à la théorie scolastique de la connaissance, il n’admet aucun intermédiaire entre l’intelligence et son objet ; ni espèce impresse, ni espèce expresse, au moins lorsque cet objet est Dieu ; Dieu est lui-même la « forme » qui actualise notre intelligence et l’idée de Dieu c’est Dieu lui-même. Dès lors, la seule condition de la connaissance, c’est la présence ou la présentation de l’objet à l’intelligence, devant l’intelligence. « Quelle raison a-t-on pour soutenir qu’un objet ne peut pas être connu, si au lieu d’être dans le connaissant, il se trouve devant lui et simplement présent à la faculté eognitive ? On n’en a aucune. En l’examinant de près, on voit en effet, que la théorie péripatéticienne repose sur des assertions qui ne sont elles-mêmes basées sur rien. » Cmirs de philosophie, cité par Zigliara, op. cit., t. II, p. 90. Cf. Annales, mai 1866, p. 336-337.

Pour terminer, notons enfin que c’est Fabre qui inventa les expressions de vision extuitive, opposée à vision intuitive, et d’essence extime, opposée à essence