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OCCAM ET DURAND DE SAINT-POURÇ AIN


sont bien deux caractères très apparents de l’œuvre d’Occam. Mais n’a-t-il point une métaphysique ?

Nous n’avons pas déterminé si les vérités accessibles à la raison tendaient à former système dans sa pensée, ni quel fut son point de départ. Nous croyons cependant avoir établi que son nominalisme joint à une logique, analyse et règle de l’exercice de la pensée, une notion du réel qui trouve sa formule la plus générale dans la théorie des distinctions et s’affirme dans les discussions sur les universaux et les relatifs. Une notion du réel, c’est bien une métaphysique, et la théologie d’Occam applique à Dieu cette métaphysique.

Le Premier Être est au delà de notre capacité de démonstration : nous ne le tenons que par la foi. Mais le Dieu de la foi se dérobe par sa simplicité à toute analyse de notre esprit. La même tradition de l’Écriture, de l’Église et des saints qui nous dit l’existence de Dieu et les noms divins, nous révèle l’ordre que le Créateur a établi pour sauver ses créatures. Mais se demander pourquoi ou comment il l’a choisi, cette question n’a pas de sens : le Dieu de toute-puissance et de pure miséricorde est un Dieu caché, à cause de la simplicité de son essence. Dans cette simplicité de l’essence divine se réalise la même intuition métaphysique qui écarte de l’unité de toute chose l’ombre de toute distinction, formelle ou de raison : ombre de l’universel ou de la relation, des attributs ou des idées de Dieu.

2° Occam et Durand de Saint-Pourçain. — Les travaux encore inachevés de Koch renouvellent l’étude de Durand de Saint-Pourçain, mais ne nous donnent, pour le moment, que quelques indications sur sa doctrine. Joseph Koch, Durandus de S. Porciano, O. P., i, Literargeschichtliche Grundlegung, dans Beitrage zur Geschichle der Philosophie des M. A., t. xxi, fasc. 1, 1927 ; cf. le chapitre consacré à Durand et dû à Koch dans Ueberweg-Geyer, Grundriss, 1928, p. 519-524. Dans les rapports d’Occam et de Durand, nous pouvons seulement donner une série de remarques qui précisent l’état actuel de la question.

1. Durand de Saint-Pourçain fait partie en 1326 de la commission de six théologiens, qui extrait du commentaire d’Occam 51 propositions à condamner ; ci-dessous, col. 890. A cette époque, Durand a presque achevé la troisième et dernière rédaction de son propre commentaire ; on ne peut admettre qu’il ait subi l’influence d’Occam. Koch, loc. cit., p. 171.

2. Il est classique de présenter Durand comme un précurseur du nominalisme, sur la foi de quelques passages de son Commentaire relatif aux universaux. Ici se place une double réserve :

a) Est-il légitime de classer les penseurs médiévaux d’après leur position à l’égard du problème des universaux, sans se demander d’abord quelle importance ce problème avait pour chacun ? Or, dans la polémique si développée et si vive que les thomistes menèrent contre Durand, on ne trouve aucun reproche de nominalisme. Koch, loc. cit., p. 3. Nous avons mesuré, d’autre part, combien le nominalisme lui-même passait le simple problème des universaux. — b) Sur le problème des universaux, Koch apporte des textes qui lui permettent de nier le nominalisme de Durand : Nomen univocum… signifient aliquid eis [se. pluribus rébus) commune et secundum communem rationem dicibile de eis. — Quæ [ratio] etsi sit vera res extra animam, unitas tamen ejus ad plura univoca est unilas rationis tantum, quæ convenu rei, ut est in intellectu indeterminate et indifjercnter ad plura, in quibus est realiter, Ueberweg-Geyer, p. 523. Puisque Durand compare ce qui est la chose dans l’intellect à ce qu’elle est dans la réalité, il semble que son attitude soit du réalisme, au point de vue même d’Occam ; cf. I Sent., dist. II, q. vii, D : Alii autem ponunt quod res secundum esse suum in

effeclu est singularis, et eadem res secundum esse suum in intellectu est universalis.

3. D’ailleurs, le problème des universaux n’est point, pour Durand, une question centrale ; la question centrale de sa métaphysique, c’est le problème de la relation. La solution de ce problème commande les doctrines : des actes et des habilus spirituels, — du rapport de la pensée à l’objet et de la vérité, — des idées divines et du Verbe divin, — de la Trinité, — de la grâce. Koch, loc. cit., p. 193-194.

Durand tient que la relation est autre chose que le terme absolu où elle s’appuie et qu’elle rapporte précisément à un autre ; mais être absolu et relation ne font pas cependant deux choses, comme l’accident avec son sujet : Relatio est alia res a suo fundamento, et tamen non facit composilionem. Koch. loc. cit. La même thèse se trouve déjà chez Jacques de Metz, le professeur de Durand, J. Koch, Jakob von Metz, O. P., der Lehrer des Durandus de S. Porciano, O. P., dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, 4e année, 1929, p. 169-232. Elle repose sur une doctrine des modes d’être, élaborée sous l’influence d’Henri de Gand. Ueberweg-Geyer, p. 521. "Voici un texte de Durand : Nos distinguimus in rébus triplicem modum essendi, se. essendi in se vel per se, essendi in alio, et essendi ad aliud. Primus modus essendi convenit substantiis completis, secundus convenit omnibus formis, tertius convenit omnibus relativis. Archives, loc. cit., p. 208, n. 1. Être rapporté à autrui n’est pas moins réel qu’être à soi ou être dans autrui ; à la relation correspond une réalité distincte : une manière d’être originale qui n’est ni celle de la substance, ni celle de l’accident. Tel serait le thème fondamental de la métaphysique de Durand.

Nous savons que/ pour Occam, les relatifs ne sont que des termes auxquels ne correspond dans les choses aucune réalité distincte ; dans la composition du réel, il n’entre que des substances et des accidents absolus ; voir Nominalisme, col. 745 sq. L’irréalité de la relation est même un élément essentiel de la définition que nous avons donnée du nominalisme par une métaphysique.

Occam critique d’ailleurs, à propos de la relation, la doctrine d’Henri de Gand sur les modes d’être : Et est hsec opinio quod in quolibet prædicamenlo est res prædicamenti et modus prædicandi… Qusere Gandensem in Summa. II Sent., q. H, B. Il connaît aussi et repousse la doctrine qui distingue réellement la relation de son fondement, en refusant d’en faire un accident pour ce sujet : Terlia est opinio, quod est alia res distincta a fundamento, tamen non est in eo subjective. Ibid., D. Et la première preuve à l’appui de cette thèse, Quod pro~ batur, lum quia advenit fundamento sine sui mutatione, quinto Physicorum, quod falsum esset si esset in eo subjective, ibid., se trouve, comme la thèse elle-même, chez Jacques de Metz et Durand de Saint-Pourçain : Quod advenit alicui rei, nulla mutatione facta circa ipsam, non facit composilionem cum illa re. Ratio est quia, ut dicit Philosophus V et VI Phis. etc. Archives, loc. cit., p. 209, n. 5.

Entre la métaphysique de Durand et celle d’Occam, il paraît y avoir, sur le problème fondamental de la relation, une opposition essentielle, dont Occam a eu sans doute conscience.

4. On peut observer cette opposition sur le rapport différent qui existe, dans les deux doctrines, entre l’acte de connaître et l’objet de la connaissance.

Pour Occam, l’objet de la connaissance est la cause efficiente de l’acte de connaître, accident de l’âme, subsistant en elle, alors que l’objet subsiste en lui-même : ce sont deux absolus, dont l’un peut exister sans l’autre, l’acte sans l’objet, si Dieu produit en nous la connaissance sans le concours de l’objet : cognitio intuitiva