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OCCAM ET DUNS SCOT


noble ; d’après Occam, saint Thomas lui-même l’a accordé une fois, contraint par la vérité, tanquam a veritate coactus. I Sent., dist. I, q. ii, K.

Pour Occam, le primat traditionnel du vouloir en l’homme se définit à l’intérieur du nominalisme des puissances de l’Ame. De môme, la tradition du volontarisme divin s’insère dans le nominalisme des attributs de Dieu.

5. Le Dieu d’Occam et le Dieu de Duns Scot.

Quelques formules et pensées de Scot qu’il puisse reprendre et développer, Occam ne paraît pas avoir sur l’ordre de la grâce la même perspective que Scot ; sur celle de Scot, voir Longpré, La philosophie du B. Duns Scot, p. 28 sq. Cela vient peut-être d’une divergence fondamentale sur l’idée de Dieu et du vouloir divin : on ne peut ouvrir ici qu’une direction de pensée.

La théologie de Scot se présente comme une analyse de l’être divin, tout occupée à mettre en ordre la multiplicité qu’elle y distingue. C’est ainsi que l’entendement est formellement distinct de la volonté et la précède, sansd’ailleurs la déterminer. Mais à l’intérieur de l’acte même de vouloir et en dépit de sa simplicité, Scot discerne un ordre essentiel, car le vouloir divin ne tend pas de même façon vers tous ses objets : Omnis ordinate volens, primo vult finem, deinde immedialius illa quæ sunt fine immedialiora ; sed Deus est ordinatissime volens ; igitur sic vult ; igitur primo vult etc., Reportata Parisiensia, I. IV, dist. I, q. v, 9. Et encore : Omnis rationabiliter volens vult primo finem et secundo illud quod immédiate attingit finem, et tertio alia quæ remotius sunt ordinata ad attingendum finem, Cum igitur Deus rationabilissime velit, licet non diversis actibus, sed tantum uno, in quantum ille diverso modo tendit super objecta ordinata, primo vult… ; secundo vult… ; tertio vult… ; quarto vult, etc. Opus Oxoniense, I. III, dist. XXXII, q. i, n. 6. De même façon qu’il y a un ordre divin du connaître qui va de l’essence aux créatures, cf. Nominalisme, col. 759, il y a un ordre divin du vouloir qui va de Dieu au Christ, puis aux élus, aux biens de la grâce et enfin à ceux de la nature ; cet ordre intérieur fait la rationalité du vouloir divin, dont on a pu écrire qu’il était « éclairé, pour ainsi dire, par l’amour que Dieu se doit à lui-même ». Longpré, loc. cit.. p. 29.

De même que l’ordre divin du connaître, Occam refuse l’ordre divin du vouloir ; cf. Nominalisme, col. 760 et 763. Car on ne peut mettre d’ordre en Dieu parce qu’on n’y peut trouver aucune multiplicité. Qu’il s’agisse de connaître ou de vouloir, on ne rencontre que la simplicité radicale d’un acte identique à l’essence jointe à la diversité tout extérieure de ses objets ; la même exigence d’unité qui paraît dans le nominalisme des attributs de Dieu fait écarter toute analyse des actes divins.

Duns Scot peut expliquer comment Dieu connaît, comment II veut : il y a une psychologie de Dieu ; — pour Occam, il n’y en a point ; la déité répugne à toute analyse. Dans l’une et l’autre doctrine, c’est à une volonté libre, à un acte d’amour que la créature doit l’être et la justification ; mais pour Scot, la volonté divine procède par ordre : c’est en cela qu’elle est raisonnable ; — Occam aussi tient la création pour raisonnable, mais cela signifie seulement qu’elle est consciente : l’acte de vouloir ne fait qu’un avec l’acte de connaître, tous deux se fondent dans la même essence, abîme de simplicité. On saisit ici l’originalité du volontarisme d’Occam : décomposant la pensée divine et rassemblant ses éléments, le volontarisme de Scot est encore une psychologie de Dieu ; celui d’Occam exclut toute psychologie de ce genre. Descartes identifiera le vouloir divin à une essence cause de soi, Occam l’identifie à un être incausé.

Il n’y a de multiplicité que dans les noms divins ;

l’être de Dieu est radicalement simple, et vouloir est ici une même chose avec être. Nous avons reconnu, dans le nominalisme des attributs divins, un retour, conscient chez Occam, à la pensée du Maître des Sentences, cf. Nominalismu, col. 757. Pierre Lombard avait aperçu déjà les conséquences de cette idée, quant au vouloir divin ; la volonté d’abord ne diffère en rien de l’essence : volunlas sive volens de Deo senmdum essentiam dicitur. Non est enim aliquid velle et aliud esse, sed omnino idem…, et plus loin : licet idem penitus sit Deo velle quod esse. Il n’y a, d’autre part, de multiplicité que dans les objets voulus, et la volonté même, une avec Dieu, ne saurait faillir : Volens ergo sive velle dicitur Deus secundum essentiam cujus volunlas essentia est sempiterna et immulabilis (licet ea varientur et transeant quæ eis subjecta sunt) quæ non potest esse injusta vel mala quia Deus est. I Sent., dist. XLV, 3, P. L., t. cxcii, col. 642. Cette unité radicale du vouloir avec une essence simple, c’est bien la position d’Occam, qui ramène la théologie en deçà du xm° siècle.

Reprenons l’attitude d’Occam à l’égard de Scot ; il garde le volontarisme augustinien et franciscain, mais il a une autre conception de la simplicité divine ; de là, son originalité. Mais cette originalité, pour Occam même, signifiait sans doute vanité des discussions du xme siècle et retour au Maître des Sentences.

6. Occam et le thomisme.

La critique occamiste ne

vise pas saint Thomas autant que Scot ; le nominalisme n’en écarte pas moins le thomisme de façon expresse. Il suffit de rappeler quatre points :

1. Occam repousse l’intellectualisme thomiste dans la mesure où il s’oppose au volontarisme de la tradition franciscaine, supra, col. 87’.), — 2. Avec l’individuation par la matière et la doctrine de l’abstraction, Occam exclut la conception thomiste de la structure du réel et du mécanisme de la connaissance. Nominalisme, col. 752. — 3. Avec la distinction de raison, Occam rejette l’analyse thomiste de l’être divin, ibid., col. 775. — 4. Avec l’évidence de la hiérarchie des causes, Occam écarte le principe des preuves thomistes de l’existence de Dieu, ibid., col. 779.

Avec saint Thomas et Duns Scot, voilà écartées les deux grandes métaphysiques de l’École. Nous touchons peut-être au point vital où la critique se noue au traditionnalisme dans la théologie d’Occam.

7. Signification historique de l’œuvre d’Occam. — - De Scot et d’Occam, on a dit que « ce qu’ils mettent au service de leur foi et de leur théologie, c’est moins une synthèse spéculative cohérente qu’un usage extrêmement serré et touffu des procédés dialectiques. » H. D. Simonin, Les « Summulæ logicales » de Petrus hispanus, dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, 5e année, 1930, p. 277. L’âge de la construction serait passé, la théologie ne supposerait plus une métaphysique : « De l’héritage intellectuel de la grande époque médiévale deux éléments survivent seuls, la tradition ecclésiastique et les Pères d’une part, et de l’autre une technique dialectique extrêmement poussée. » Ibid. Ce seraient les éléments essentiels du réalisme de Scot et du nominalisme d’Occam. — A une hypothèse de cette ampleur, nous ne pouvons qu’opposer, pour conclure, d’autres hypothèses que nous croyons plus probables.

Il semble bien que Duns Scot soit encore un constructeur. Au commencement de sa pensée, il paraît y avoir un choix d’ordre métaphysique : Duns Scot est parti d’une « idée de ce qu’est la métaphysique, de son objet premier, de l’intellect et du fonctionnement même de l’abstraction intellectuelle, différente de saint Thomas. » E. Gilson, Avicenne et le point de départ de Duns Scot, dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen-Age, 2e année, 1927, p. 147.

L’usage de la logique et la soumission à la tradition