Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/448

Cette page n’a pas encore été corrigée
877
878
OCCAM ET DUNS SCOT


cette œuvre ; nous nous contenterons de préciser la position actuelle du problème de son originalité et de son influence.

C’est à l’œuvre d’Occam que nous avons demandé la définition du nominalisme des xive -xve siècles : avons-nous le droit, reprenant le jeu de mots traditionnel, de tenir le Yenerabilis inceptor pour l’initiateur de cette doctrine ? En l’état présent de nos connaissances, nous pouvons seulement préciser la position de ce problème.

L’article Nominalisme a montré l’importance des questions sur les universaux et les attributs divins où paraît la notion du réel : chose et déité, caractéristique de la doctrine. En ces deux points, Occam a eu conscience d’innover ; il a comptépourses adversaires tous les maîtres qu’il connaissait : le réalisme des universaux est une doctrine commune : omnes quos vidi concordant, dicenles, quod natura quæ est aliquo modo universalis, sattem in potentia et incomplète, est realiter in individuo, I Sent., dist. II, q. vii, B ; et de même le réalisme des attributs divins : ceux qui ne les distinguent pas jormaliter les distinguentsecu/irfum ralionem : est opinio mnltorum, et omnium præter illos qui ponunt distinctionem ex natura rei… Ibid., q. ii, B, — mais tous les réalisent dans l’essence.

Pour le réalisme des relations, nous n’avons pas trouvé de formule aussi nette ; Occam nous le présente comme la doctrine de beaucoup de théologiens, de illa opinione. sunt multi theologi… Summa tolius logicæ, I a pars, c. xlix.

Sur la question des idées divines, les adversaires aussi sont nombreux, presque tous les maîtres : concordant multi doctores et fere omnes in una conclusione commuai, scilicet quod idea est realiter divina es.senlia, et tamen difjert ratione ab ea. 1 Sent., dist. XXV, q. v, B.

Occam se présente comme un novateur, assez décidé pour contredire ouvertement la doctrine commune, mais conscient aussi de n’être pas, sur toutes les thèses essentielles, le premier à la contredire. Pour préciser ion attitude, nous ne pouvons reprendre point par point l’exposé de l’occamisme, noter les allusions aux adversaires et précurseurs, remonter à leurs doctrines. Citons seulement les principaux maîtres, encore très mal connus : Duns Scot (1266/74-1308), Durand de Saint-Pourçain (1270/75-1334), Pierre d’Auriole(tl322) Henri de Harclay (1270-1317), que l’histoire met en relations doctrinales avec Guillaume d’Occam : nous essaierons de poser, avec toute la précision possible, la question de ces rapports.

l Occam et Duns Scot. — L’interprétation des rapports entre Occam et Scot paraît d’importance pour notre conception d’ensemble du développement de la scolastique : s’il faut préciser dans quelle mesure Duns Scot inaugure un âge critique, cf. Gilson, Avicenne et le point de départ de Duns Scot, dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moi/en Age, IIe année, 1927, p. 89-90, on n’accomplira cette tâche qu’en mettant le scotisme en relation, non seulement avec la synthèse thomiste, mais encore avec la critique nominaliste. Nous donnerons quelques indications en ce sens, sous la réserve qu’impose l’incertitude des textes de Scot. Cf. Ueberweg-Geyer, p. 507.

1. Le nominalisme adversaire de Duns Scot.

Le P. Longpré a noté les thèses d’Occam qui contredisent la doctrine de Scot, La philosophie du B. Duns Scot, dans Éludes franciscaines, 1923, p. 582 sq., et marqué avec force que le nominalisme de Guillaume d’Ocham, dans ses éléments spécifiques, est dirigé directement contre Duns Scot ». Ibid., p. 589. Notre analyse du nominalisme confirme cette opinion : dans toutes les questions, ou presque, que nous avons rapportées, Scot paraît au nombre des adversaires, souvent le principal ou même le seul ; la théorie des distinctions

qui nous a semblé d’importance décisive est essentiellement dirigée contre sa distinction formelle. Il s’agit d’une opposition sur la structure même du réel du côté nominaliste, toute chose est une, sans division, ni degrés internes ; du côté scotiste, l’unité du réel et la simplicité même de Dieu s’accommodent d’une diversité et d’un ordre intérieurs. Comme cette opposition se retrouve à chaque fois, la critique de Scot par Occam prend un caractère systématique : le Docteur subtil apparaît comme « l’adversaire » du Venerabilis inceptor.

2. Occam en (ace de Duns Scot. — L’attitude d’Occam à l’égard de Scot, assez nuancée, nous découvre quelques traits de son tempérament intellectuel.

Dans la discussion du problème des universaux, Occam veut apporter une critique attentive de son grand adversaire et il assure, sur les textes qu’il cite, son interprétation de la pensée scotiste : quia isla opinio est, ut credo, opinio subtilis Doctoris qui alios in subtilitale judicii excellebat, ideo volo totam islam opinionem quam sparsim ipse ponil in diversis locis, hic recitare distincte, verba sua quæ ponit in diversis locis non mulando. I Sent., dist. II, q. vi, B.

A propos de la connaissance intuitive, Occam veut retrouver des pensées et les expressions même de Scot : Ne autem ista opinio quantum ad notitiam sensibilium inluitivam et aliorum mère intelligibilium lanquam nova conlemnatur, adduco verba Doctoris Subtilis… Ex istis palet quod iste doctor non tantum sententialiter sed eliam verbaliter ponit quod intellectus intuitive cognoscit sensibilia et etiam aliqua mère intelligibilia. Sent., prol., q. i, KK, MM. Il entend répondre par des textes de leur maître aux critiques des scotistes contre les innovations : si dicatur quod alibi ponal oppositum, parum me movel quia non allego eum tanquam auctoritatem, nec dico prædictam opinionem quia ipse eam ponit, sed quia repulo veram ; et ideo si alibi dixit oppositum non euro, hic tamen lenuil eam, ideo sequaces sui non debent eam contemnere tanquam novam. Ibid., MM.

Très attentif à l’œuvre de Scot, Occam ne veut point se lier par son autorité. Ce n’est pas qu’il repousse toutes les autorités. Il nous précise dans le De sacramento altaris celles qu’il reconnaît : Si per doctores intelligant doctores modernos muluo se reprobantes publiée et occulte et etiam in scriptis…, negare eos non est inconveniens. Nihil enim quod dicunt est recipiendum nisi quod possint probare per rationem evidentem vel per auctoritalem Sacrée Scripturee vel per determinationem Ecclesiæ vel per doctores approbatos ab Ecclesia. Q. m. Scot est au nombre des doctores moderni que l’on peut librement critiquer ; mais au delà des disputes de l’École, il y a la tradition de l’Église, l’Écriture, les décisions dogmatiques, les dicta sanctorum. Là où l’évidence manque aux théologiens du xme siècle, le nominalisme essaiera sans doute de retrouver une position traditionnelle antérieure : à propos des attributs et idées de Dieu, nous avons noté un retour à Pierre Lombard, col. 757 et col 761.

3. La théorie de la justification.

En un point capital, la théorie de la justification, le nominalisme ne contredit pas Duns Scot, mais le continue ; et sur ce problème, on a pu classer Scot dans « l’École nominaliste », art. Justification, col. 2126 sq.

Dans ses questions surla justification, Occam défend Scot contre Pierre d’Auriole, qui est un novateur : una nova opinio die l quod præter Spiritum Sanclum necesse est ponere caritatem creatam injormanlem animam. III Sent., q. v, A. Auriole, dans ses critique ?, visait expressément Duns Scot, Johannem contra quem nten dit arguere. Ibid., E. Occam défend Scot du reproche de pélagianisme, hœc opin o improbala plus inclinât ad errorem Pelagii… quam opinio Johannis, ibid., L, et il se place expressément au point de vue scotiste :