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N0M1NALISME. LA JUSTIFICATION

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de Dieu, non requiritur quod actus bonus moraliter semper referatur actualiter in Deum, qui est finis ultimus, quia aliquid titra Deum est eligibile proplerse. Il y a des valeurs qui s’imposent légitimement à notre raison, en dehors de la pensée de Dieu, aliquod quod non est finis ultimus est diligibile propter se et hoc secundum reclain rationern ; les philosophes : Aristote, Cicéron, Sénèque, ont connu cet ordre moral, qui assure la bonté des actes accomplis par vertu naturelle, ex civili amicitia, ex naturali pietate, ex humanu compassione. Biel, Collect, II, dist. XXVIII, q. i, A et E.

Une première conclusion s’impose : pour le nominalisme, toute morale n’est pas nécessairement d’autorité et de révélation ; il peut y avoir une éthique naturelle et rationnelle.

b. L’ordre moral et l’ordre de la justification reposent sur le libre arbitre.
Si la raison connaît naturellement des valeurs morales, la volonté peut naturellement les réaliser, car elle est essentiellement un libre arbitre : Biel insiste sur ce point, invoquant toujours Occam.

Grégoire de Rimini, qui accorde peu au libre arbitre, parum allribuens libero arbilrio, tient que, dans l’état présent, l’homme sans la grâce ne peut ni accomplir l’action droite, ni éviter le péché ; la rectitude, c’est Dieu aimé comme fin dernière, par-dessus toutes choses, et c’est naturellement impossible à l’homme qui, dans l’état présent, est tourné vers soi, et non vers Dieu, hoc autem non potest ex suis naturalibus, quia secundum prœsentem statum ex se non potest aliquid diligere nisi in relatione ad seipsum. Loc. cit., A.

Biel admet non seulement que toute action droite n’a point à viser Dieu ainsi, mais que la volonté est naturellement capable de l’amour de Dieu, dans la mesure où Dieu est accessible à la raison. En efîet, tout ce que la raison lui présente comme digne d’amour, la volonté, étant libre, peut l’aimer, voluntas ex sua libertate potest se conformare dictamini recta ; rationis. De quelque action que l’on parle, il faut se demander si la volonté est libre de l’accomplir ou non, circa quodlibel agibile voluntas est libéra aut non : si elle n’est pas libre, elle n’est plus une volonté ; si elle est libre, elle est capable des deux opposés, d’aimer Dieu par exemple comme de ne le point aimer. Quand on dit de la volonté qu’elle est naturellement tournée vers soi, on en fait une nature que son désir meut à un seul objet, quæ determinatur ad unum, on oublie qu’elle est, tout au contraire, une liberté, la puissance des deux opposés. Il est essentiel de pouvoir accomplir l’action droite, éviter le péché et aimer Dieu par-dessus tout, viatoris voluntas humana ex suis naturalibus potest diligere Deum super omnia. Biel, Collect., II, dist. XXVIII, q. i, J, K ; III, dist. XXVII, q. i, Q ; éd. Feckes, p. 50, 57 sq.

Seconde conclusion : le nominalisme n’est pas nécessairement une doctrine qui accorde peu à la nature ; il peut ouvrir le plus large horizon à la moralité naturelle qui repose sur le libre arbitre.

L’homme est un être libre ; l’acte méritoire est essentiellement un acte libre ; on peut concevoir, de potentiel Dei absoluta, un acte méritoire qui ne procède point de l’Iiabilus de charité ; on ne peut concevoir un acte méritoire qui ne procède pas du libre arbitre : Nihil est merilorium nisi quia voluntarium, et hoc nisi quia libère elicitum vel factum, quia nihil est merilorium nisi quod est in nobis, hoc est in noslra potestate ut possimus agere et non agere, nisi quia est a voluntate tanquam a principio movente et non ab habitu, quia cum habitas sit causa naturalis, nihil est indifferens propter habitum, ergo ratio merili principaliler consistit pênes voluntatem ex hoc quod ipsa libère elicit ; ergo ut actus sit meritorius non requiritur habitus, Occam, / Sent., dist. XVII, q. ii, C. Le libre arbitre est plus essentiel au mérite que la vertu infuse de charité. Nous pouvons concevoir que Dieu sauve des âmes sans leur infuser la grâce, nous ne pouvons concevoir qu’il accepte pour méritoires des actions qui ne soient pas libres : un mérite sans liberté est chose aussi inconcevable et impossible à Dieu même qu’une évidence fausse ; cf. Quodl., VI, q. v. De fait, nous ne méritons pas sans que la charité nous soit donnée, cf. infra, col. 774, mais ce n’est pas la charité qui mérite, c’est nous, qui sommes libres. Le libre arbitre définit un ordre de valeurs, qui fonde la récompense et la peine, sic [laudabile] est aliquod bonum existens in noslra potestate, dignum retributione et laude, sicut vituperabile est aliquod vitium existens in noslra potestate, dignum increpalione et pœna. Voilà l’ordre du mérite qui tombe sur ce qui est en notre pouvoir, nec sumus laudandi sic, quia Deus nobis infundil caritatem, quæ non est in potestate nostra, quamvis sumus aliquo modo laudabiles si nos disponimus ad recipiendam caritatem. Occam, Quodl. VI, q. n ; Biel, Collect., i, dist. XVII, q. i, a. 3, dub. 3, I ; éd. Feckes, p. 17. Ce n’est pas un mérite de recevoir la charité ; mais, d’une certaine façon, nous méritons de la recevoir en nous y préparant ; cf. infra, col. 776.

Troisième conclusion : le nominalisme d’Occam et de Gabriel Biel conçoit un ordre du mérite qui n’a de sens que par le libre arbitre.

c. Réalité et bonté de la nature.
Il paraît difficile de pousser plus loin l’idée de la réalité et de la valeur originales de la liberté, et de la nature, car la nature, c’est le pouvoir propre de l’homme : per pura naturalia intelligitur animæ natura seu substantia cum qualitatibus et actionibus consequentibus naturam exclusis habitibus ac donis supernaturaliter a solo Deo infusis. Biel, Collect., II, dist. XXVIII, q. i, a. 1, n. 2 ; éd. Feckes, p. 48. La nature, c’est la substance créée, et tout ce qui suit, qualités et actions, de cette substance une fois créée. La même substance peut recevoir ensuite des dons surnaturels, c’est-à-dire procédant de Dieu seul. Tout ce que nous avons dit du libre arbitre nous montre que, pour Gabriel Biel, la nature a une certaine solidité, paraît même chose indestructible : l’homme est libre, ou ne l’est point ; sa nature est ce qu’elle est, ou n’est point ; nous pouvons en définir la réalité, comme une essence. Nous ne nous demanderons pas comment de telles définitions demeurent possibles dans une doctrine où il n’y a plus ni idées, ni intelligibles. Retenons seulement que la nature s’y présente avec une réalité définie qui lui assure cette bonté propre qui paraît dans l’acte moral.

Voici donc une quatrième conclusion qui reprend les trois précédentes : le nominalisme admet, chez Gabriel Biel, disciple d’Occam, une réalité et une bonté propres de la nature humaine.

La nature a une telle capacité dans l’ordre moral qu’on peut se demander à quoi sert la prière : pourquoi demander ce qui est en notre pouvoir ? Sans doute, la volonté est toujours libre : le bien que la raison conçoit ne lui est jamais impossible, mais, blessée par la faute originelle, peccalo originali vulnerata in sua naturali potentia, elle n’agit souvent qu’avec beaucoup de difficulté, sans aller jusqu’au bout de son pouvoir, raro lamen vel nunquam operatur secundum ullimum suæ potentiæ propter di/ficultates et impedimenta. Cette nature blessée a donc besoin d’aide, même pour ses opérations naturelles. Quanta obtenir la vie éternelle, cela n’est pas en son pouvoir ; en ce domaine, tout est don divin, nihil habere possumus nisi a solo Deo. Biel, Collect. , II, dist. XXVIII, q. i a. 3, dub. 2, M ; éd. Feckes, p. 54-56. Ce qui justifie la prière, ce n’est pas seulement la faiblesse de la nature, c’est surtout la liberté de Dieu qui dispose de notre vie éternelle.

c) L’acceptation divine.
Ce qui fait le mérite du côté de l’homme, c’est le libre arbitre, nihil est merilo-