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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. LA JUSTIFICATION

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définition même de l’évidence que les choses soient telles qu’elle les montre ; un jugement évident dit exister ce qui existe, hoc incluait contradictionem, quia cognitio talis évident importât quod ita sit in re sicut denotatur per propositioncm cui fit assensus, ibid. L’évidence tient dans le rapport du jugement à la chose par le moyen de l’appréhension. Il y a, au point de départ d’Occam, un réalisme essentiel : le jugement qui dit être ce qui est et repose sur la connaissance intuitive, voilà le fait dont la condition, également donnée, est l’objet existant et présent au sens, comme cause de la connaissance ; le problème est seulement de déterminer si la même connaissance vraie peut se réaliser sous d’autres conditions, par la toute-puissance divine.

Dieu certes peut nous abuser, en nous faisant juger existant ce qui n’existe pas ; mais alors il nous fait croire, il ne nous fait pas voir ; il ne s’agit pas d’évidence, ni de connaissance intuitive, Deus potest causare actum credilivum per quam credo rem esse prsesentem quæ est absens. Et dico quod illa notitia crediliva erit abstractiva, non intuitiva. Per talem actum fidei potest apparere res esse prsesens quando est absens, non tamen per actum evidentem. Ibid. Ce Dieu dont la puissance peut nous décevoir fait penser au malin génie de Descartes ; cf. Hochstetter, op. cit., p. 19, 57. Mais Occam ne semble pas s’être posé le problème de discerner l’évidence des déceptions possibles : il ne se demande pas comment aller des idées aux choses, mais tient que, selon l’ordre naturel, la connaissance a sa cause dans l’objet ; il s’agit seulement de concevoir exactement cet ordre naturel, qui est contingent.

d) La contingence de l’ordre naturel.
Il y a un ordre naturel de la connaissance intuitive, cognitio intuitiva non potest naturaliter causari nisi quando objectum est prsesens in débita dislantia. II Sent., q. xv, E. L’ordre naturel se définit par la causalité des créatures ; l’ordre surnaturel apparaît celui où Dieu seul est cause. L’ordre naturel est essentiellement contingent : Dieu pourrait tout réaliser seul, mais il a voulu qu’il y ait d’autres efficients, Deus enim est tale agens quod potest esse causa totalis efjectus sine quoeumque alio ; quia tamen Deus sic res administrât ut eas motus proprios habere sinat secundum Augustinum, ideo non vult totum solus producere, sed coagit cum causis secundis lanquam causa parlialis, licet sit principalior, Il Sent., q. v, Q. Si Dieu agit ainsi en s’aidant de causes secondes, c’est que son action est libre, et point nécessaire, licet Deus agatmediantibus causis secundis vel propinquius cum eis non tamen dicitur Deus médiate agere nec causse secundæ frustra, cum sit agens voluntarium, non necessarium, et si esset agens necessarium, adhuc ageret immédiate. Ibid. Si les causes secondes ont quelque chose à faire, c’est que Dieu n’agit pas selon toute sa puissance : [non ] superfluunt causse secundss, quia Deus non agit in qualibel actione secundum totam potentiam suam. Ibid. Si les causes secondes ne sont pas inutiles, c’est que Dieu le veut ainsi, librement ; nous tenons un cas où l’action divine se moque du principe d’économie ; cf. supra, col. 765 ; l’ordre naturel est surabondant : dans la liberté divine, nous voyons paraître une libéralité.

3. Le problème de la justification.

Les nominalistes des xiv°-xve siècles ont été considérés comme des précurseurs de Luther, à cause de la doctrine occamiste de la justification. Nous demanderons cette doctrine à Gabriel Biel autant et plus qu’à Occam lui-même : le disciple a suivi et précisé la doctrine du maître, en la situant parmi d’autres, qui l’ont précédée ou suivie : notamment l’augustinisme de Grégoire de Rimini. Occam traite le problème de la justification au livre I, dist. XVII.au livre II, q. xv de son commentaire et, dans son Quodlibet VI, q. i, ii, iv ; Biel le reprend aux livres I, dist. XVII ; II, dist. XXVII et XXVIII ; et III, dist. XXVII de son Collectoriuni, en une remarquable série de questions que Leckes a récemment éditées à part, Gabrielis Biel quwsliones de justificatione, dans Opuscula et textus hisloriam Ecclesise ejusque vitam alque doctrinam illustranlia, Séries scholastica, fasc. 1, Munster, 1929.

a) L’acte méritoire.
Les actes humains sont susceptibles de bonté à trois degrés :

a. L’acte simplement bon, actus bonus ex génère, trouve dans la fin qu’il vise une certaine conformité à la raison ; il réalise de l’utile ou de l’agréable, évite un désagrément ou un péril, propler aliquod bonum utile vel delectabile consequendum aut incommodum vel periculum vilandum.

b. L’acte moralement bon, actus moraliter bonus, est accompli en conformité avec la raison, pour cette raison qu’il lui est conforme, actus secundum dictamen rectæ rationis, qui elicitur propler hoc quod ratio sic dictavit.

c. L’acte bon au degré méritoire, actus bonus meritorie, est accompli en vue de Dieu, propterDeum, et nous vaut comme récompense la vie éternelle, de merito vitse seternse.

Comme l’acte moralement bon, l’acte méritoire est accompli selon l’ordre de la raison, secundum dictamen rectæ rationis ; c’est un acte vertueux, actus virtuosus, l’acte vertueux parfait, actus virtuosus perfectus, par opposition à l’acte moralement bon qui n’est qu’imparfaitement vertueux, actus virtuosus imperfectus : il est meilleur, en effet, d’agir en vue de Dieu qu’en vue d’une fin morale quelconque, multo enim perfeclius est agere propler Deum, qui est summum bonum, et seternam felicitatem quam propler amorem virtutis honeslalis aut propler communem pacem naturæ vel reipublicse conservationem temporalem, autant que Dieu est supérieur à la droite raison, pro quanto Deus perfectius est recta ratione. Biel, Collect., II, dist. XXVIII, a. 1, n. 1, D ; éd. Feckes, p. 44. Le problème de la justification, c’est de savoir à quelles conditions il est possible de mériter la vie éternelle, de poser un acte méritoire.

b) Ordre de la justification et ordre moral.
Précisons le rapport de l’ordre de la justification avec l’ordre moral :

a. Il existe un ordre moral distinct de l’ordre de la justification. — Biel oppose les principes d’Occam à la doctrine de Grégoire de Rimini.

Pour Grégoire de Rimini, il n’existe d’action droite que celle visant notre fin dernière ; pour qu’un acte soit moralement bon, ad moralem bonitatem actus, il est requis que le sujet l’accomplisse en vue de Dieu, propter Deum ; cette référence à Dieu, fin suprême de notre activité, n’est pas seulement le propre de l’acte méritoire, mais la condition la plus essentielle de toute moralité, circumstantia debiti finis ultimi quæ est principalissima. Aussi les philosophes, les anciens Romains, les gentils, ont-ils pu accomplir des actes extérieurement bons, mulla agere de génère bonorum ; comme leur intention n’allait pas à Dieu, ils n’agissaient pas pour le bon motif, propler quod debuerunt, et leur action était proprement vicieuse, non solum non virtuose, sed etiam maie atque vitiose : au fond, ils aimaient pour elle-même et prenaient pour dernière fin une chose autre que Dieu, propter aliquod citra Deum amatum propter se prœcise, et omne taleamatur tanquam ultimus finis, car toute action qui ne vise pas Dieu se fait un Dieu de la fin qu’elle vise.

A cette doctrine, Biel oppose les principes d’Occam. Aimer quelque chose pour soi, propter se, ce n’est pas nécessairement l’aimer comme dernière fin, tanquam ultimus finis : dans le premier cas, il suffit que rien d’autre ne soit présenté à la volonté, quod amaretur, si nihil aliud ostenderetur voluntati ; dans le second, il faut que je pense viser l’objet le plus aimable qui soit, acceptatur tanquam omni alio magis amandum. L’action droite n’est pas nécessairement accomplie en vue