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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. CONCEPTS THÉOLOGIQUES

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a) Quand nous avons l’évidence d’une vérité contingente, d’une existence actuelle, notre connaissance est une connaissance intuitive : universaliter omnis notilia incomplexa termini seu lerminorum, seu rei vel rerum, virtute cujus potest evidenler cognosci aliqua veritas contingens maxime de præsenti est notitia inluitivu, Sent., prol., q. i. Z.

Pour éviter toute méprise, il faut remarquer qu’intuitif, pour Occam, ne signifie pas pleinement clair : est tamen sciendum quod aliquando propter imperfeclionem notitiæ intuitives quia est valde imperfecta et obscura, vel propter alia impedimenta potentiw cognitiviv, potest accidere quod nullæ vel paucas veritales contingentes de re sic intuitive cognila possinteognosci, ibid. L’intuitif est seulement ce qui assure l’évidence d’une existence actuelle.

Notre première intellection est une connaissance intuitive du singulier, concomitante à la sensation, ibid.

b) Toutes les fois que, pensant à une cho’se, nous ne pouvons pas en connaître des vérités contingentes, ni décider de son existence actuelle, notre connaissance est une connaissance abstractive : abstractiva autem est isla virtute cujus de re contingente non potest sciri evidenler utrum sit vel non sit, et per illUm modum notilia abstractiva abslrahit ab existentia et non existentia, ibid.

Voici un premier sens d’ « abstraction » : accipitur cognitio abstractiva secundum quod abslrahit ab existentia et non existentia, ibid.

3. L’abstraction du concept.

L’ « abstraction » a un autre sens : notilia abstractiva potest accipi… quod sit respectu alicujus abslracli a multis singularibus, et sic cognitio abstractiva non est nisi cognitio alicujus universalis abslrahibilis a multis, prol., q. i, Z. C’est le sens classique d’abstraction : conception de l’universel : abstractio… per quam (intellectus) producit universale sive conceptum rei universalem in esse objectivo, II Sent., q. xv, XX. C’est ainsi, en rappelant la notion du concept comme fictum, qu’Occam explique l’abstraction considérée comme une action de l’intellect : quando dicit quod intellectus agens facit universale in actu verum est, quod jacil quoddam esse fictum et producit quemdam conceptum in esse objectivo qui terminât ejus aclum qui tamen habet esse objective et nullo modo subjective, II Sent., q. xv.SS. Il faut bien voir le caractère de cette action :

L’universalité des mots est un produit de l’art, universale ex inslitulione, mais non celle des concepts. La production de l’universel est une œuvre de la nature dans l’âme : natura occulte operatur in universalibus… quia producendo cognitionem suam in anima quasi occulte saltem immédiate vel médiate producit (ea) illo modo, quo nata sunt produci. Et ideo omnis communitas isto modo est naturalis et a singularilate procedit. I Sent., dist. II, q. vii, C C. Voici d’ailleurs comment l’universel naît dans l’âme à partir du singulier, d’abord connu : dico quod universalia… causantur naturaliter sine omni aclivilate intellectus et voluntatis. Exemplum : aliquis videns aibedinem intuitive vel duas albedines abslrahit ab eis aibedinem in communi…, et non est aliud nisi quod illæ dua> notitiiv incomplexiv terminatx ad aibedinem in singulari sive intuilivæ sive abstractivie causant naturaliter, sicut ignis calorem, unam tertiam notitiam ab illis, quæ producit talem aibedinem in esse objectivo, qualis prius fuit visa in esse subjectivo sine omni aclivilate intellectus vel voluntatis, quia talia naturaliter causantur, II Sent., q. xxv, O. Ne disons pas que l’intellect produit l’universel : il est plus vrai de dire que l’objet, agissant de proche en proche, l’engendre dans l’âme. L’esprit n’est pas ce qui conçoit, mais ce où naît le concept.

L’abstraction, , au second sens, c’est la naissance du concept, ce n’est pas une action de l’intellect. Occam repousse tous les arguments de Sco.t en faveur d’une activité de l’intellect, // Sent., q. xxv.

1. Comment l’intellect fait abstraction des conditions matérielles.

L’aristotélisme tient que l’intellect fait abstraction des conditions matérielles, intellectus abslrahit a conditionibus maleriulibus, Il Sent., q. xv, Z. Comment le nominalisme va-t-il interpréter ce texte ?

La connaissance du sens est une connaissance matérielle, cognitio materialis… quæ perficit materiam exlensive sicut forma materialis : quia visio corporalis exlenditur in toto organo, sive composito ex materia et forma, loc. cit., CC : car la sensation est étendue. L’intellection ne l’est pas, isto modo intellectus abslrahit a conditionibus malerialibus, quia intellectio est subjective in intelleclu, non exlensive in aliquo composito sicut organo corporali, ibid. ; elle est à part de la matière, de l’étendue. En ce sens, on peut dire que l’intellect fait abstraction des conditions matérielles, potest sic intelligi dictum commune de abstractione a conditionibus malerialibus, ibid. L’abstraction caractérise l’acte de connaître, et non pas l’objet connu.

C’est que la matière, pour Occam, est un intelligible. Sans doute Averroès enseigne l’opposé : quod materia non est intelligibilis, ibid. Mais le nominalisme peut trouver un sens à cette parole : dico quod materia impedit illam intellectionem qua aliquid est intellectum et intelligens quia nihil potest intelligere nisi abslractum a materia, sic quod non indigel organo corporali ad intelligèndum, ibid. Ce n’est pas l’intelligible, mais l’intellect qui fait abstraction de la matière : tel est le troisième sens de l’abstraction.

L’abstraction, au sens thomiste, est écartée par Occam : palet falsilas illius opinionis, quæ ponit, quod intellectus agens habet aclionem circa fantasmata et intellectum possibilem per modum depurationis, illustrationis, irradiationis, remotionis, abslraclionis et sequestralionis, Il Sent., q. xv, XX. Abélard non plus ne renconnaît pas cette abstraction ; cf. supra, I, 5°, 3, b) (col. 729).

Notion du réel et théorie de la connaissance.

Reprenons d’ensemble les éléments caractéristiques du nominalisme que nous avons successivement relevés :

1. Le nominalisme part d’une logique des termes pris comme signes des choses : parmi ces termes : les universaux, les relatifs.

2. C’est un problème métaphysique de reconnaître si, dans les choses, une réalité distincte correspond à des signes tels qu’universaux, relatifs ; la solution nominaliste du problème, c’est le refus de toute réalité de ce genre, c’est, poussée à fond, l’affirmation de l’idée d’individu, de l’indivision de l’être : voilà l’évidence centrale du nominalisme : on la trouve dans une certaine notion du réel.

3. Cette notion du réel réagit sur la théorie de la connaissance :

a) Le nominalisme rend vaine la métaphysique de l’abstraction, chère au xui c siècle, avec intellect agent et espèce intelligible ;

b) Le nominalisme doit finalement éclaircir le concept comme signe : il fait des concepts soit’un largage naturel, soit des images.

Telle nous apparaît la perspective du nominalisme : c’est une notion du réel qui en occupe le centre ; nous allons voir comment son application à Dieu commande la théologie nominaliste d’un Guillaume d’Occam ou d’un Gabriel Bel.


III. Le nominalisme au xiv siècle : Dieu.

Nous examinerons d’abord comment le théologien conçoit le Dieu de la foi, ensuite dans quelle mesure ce Dieu est accessible à la raison : chez un théologien, la raison se définit à l’intérieur de la foi. — Voici l’ordre que nous suivrons :
1° Les problèmes de distinction et d’ordre en Dieu ;
2° La connaissance et la volonté divines :
3° Le sens de la Toute-Puissance : problèmes de la connais