Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/385

Cette page n’a pas encore été corrigée

751

    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. NATURE DE L’ABSTRACTION

752

Nous savons enfin qu’à propos des images, Abélard évoquait l’artiste ; cf. supra, I, 5°, 4, b) (col. 730-1) : de même, Occam : artificialia in mente artificis non videntur habere esse subjcctivum, II Sent., q. viii, F.

b) L’image commune.
Comme chez Abélard encore, à partir des choses semblables, l’esprit forme une image commune : talia fieta eommunilatem quandam (habent) ad Ma et sibi eonsimilia ex quibus finguntur, loc. cit., F.

L’universel de convention mis à part, ces images font tout l’universel : talem communiialem voco universalitatem secundum illam opinionem, nec aliam ponit ista opinio, ibid. L’image commune, voilà le concept, l’universel de nature : sicut vox est universalis et genus et species tantum per institutionem, ita conceptus sic ficlus et abstractus a rébus singularibus pr : ecognitus est unii’ersalis ex natura sua, ibid. Connaissant d’abord les singuliers, nous en concevons une image commune, voilà l’abstraction d’où naît l’universel : abslractio quæ non est nisi fictio quivdam, loc. cit., E. Dans l’esprit l’image commune est signe de plusieurs choses : illud sic fictum… potest… supponere pro omnibus Mis quorum est imago vel similitudo, et hoc est esse universale et commune ad Ma, loc. cit., F. Nous retrouvons encore une pensée d’Abélard : imagines tantum pro signis constituimus non eas quidem signiflcantes, sed in eis res atlendentes ; cf. supra I, 5°, 3, b) (col. 720).

Sur les deux voies qu’Occam laisse ouvertes à l’explication de l’universel, il en est une qui nous ramène aux pensées d’Abélard sur l’irréalité des images et le rôle des images communes.

3. Les deux conceptualismes.

Michalski propose d’appeler « conceptualisme psychologique » et « conceptualisme logique » les deux thèses que nous venons d’exposer et donne à leur opposition une importance essentielle dans la philosophie du xive siècle. Les sources du crilicisme et du scepticisme dans la philosophie du XI Ie siècle, Cracovie, 1924, p. 10 sq. Sans nous attarder à la critique de ces dénominations, nous rappellerons que, pour Occam, le problème de la nature du concept n’a pas du tout la même importance que celui de la réalité de l’universel ; cf. supra, 1°, 2. C’est pourquoi nous ne chercherons pas où et comment Occam a lui-même choisi ; cf. Hochstetter, Studien zur Metaphysik und Erkenntnislehre Wilhelms von Ockam, Berlin, 1927, p. 90-91. Ne trouvant pas la caractéristique du nominalisme dans l’évidence d’une solution, nous la demanderons ici à la position du problème.

Dire que l’universel est terme, cela ne peut nous arrêter à la langue, écrite ou parlée, mais nous conduit à une analyse de la pensée : le concept est le terme qui existe dr.ns l’âme et précède les termes écrits et parlés.

Le concept est un esse in anima, qui pose un problème métaphysique, une question d’être. Nous avons reconnu dans la réalité de l’universel un problème de cet ordre, parce qu’il s’agissait de définir un mode d’être : celui de l’universel dans les choses. Ici, il faut définir le mode d’être de l’universel dans l’àme.

Le premier mouvement est d’appliquer aux choses de l’âme les catégories communes : on réalise le concept en une qualité de l’âme, prise comme substance. On commence ainsi par identifier concept et intellection. On en vient ensuite à considérer que le concept n’est pas l’intellection, mais une similitude de la chose, distincte de l’intellection. On en vient enfin à reconnaître que cette similitude de la chose n’existe pas comme la chose existe, qu’elle n’est ni substance, ni qualité, qu’elle nous offre un exemple d’un esse objectivum tout à fait hétérogène à l’être réel des substances, des qualités, es.se subjectivum.

Peu nous importe qu’Occam, finalement, n’aille point jusque là. Il nous sudit qu’il accorde le droit d’y aller sans absurdité, et que, sous une expression moins précise, le même mouvement de pensée se trouve déjà chez Abélard : le nominalisme peut conduire à faire du concept une image commune, irréelle comme toutes les images.

Comme il n’importe pas moins de retenir l’explication du concept comme qualité réelle de l’âme, nous devons les embrasser toutes deux du regard : il s’agit d’éclaircir l’universalité des choses de l’âme ; posé que les choses extérieures n’ont rien d’universel, on peut le faire soit par la notion d’image : le concept est l’image commune de plusieurs choses semblables, — soit par la notion de signe : les concepts forment un langage naturel.

Le sens de l’abstraction.

Le nominalisme n’ouvre pas seulement des possibilités à la théorie de la connaissance ; il ferme aussi celles où entraient les philosophies de saint Thomas ou Duns Scot ; reprenant le même mot d’abstraction, il en transforme le sens.

1. La primauté du singulier.

Pour Occam, notre connaissance, même intellectuelle, commence par la saisie du singulier, et du singulier matériel : illud idem singulare quod primo sentitur a sensu idem et sub eadem ralione primo intelligitur intuitive ab intellectu, I Sent., dist. III, q. vi, G. Ce qui est d’abord donné au sens et à l’intellect, c’est l’individu : vérité évidente à partir de la critique du réalisme.

C’est le singulier d’abord qui est l’objet du sens, et non pas, comme le voulait Duns Scot, une nature à quelque degré commune. Cf. Gilson, Avicenne et le point de départ de Duns Scot, dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, t. ii, 1927, p. 89. En effet, cette nature n’a aucune réalité, tout le réel est singulier ; cf. supra, 3° (col. 738).

Le même singulier que saisit le sens, l’intellect peut le saisir : Saint Thomas a bien enseigné le contraire, et Occam connaît sa doctrine : dicitur quod singulare in rébus materialibus intellectus naturaliter directe et primo cognoscere non potest. Cujus ratio est : quia principium singnlaritalis in rébus materialibus est materia individualis ; intellectus autem intelligit abslrahendo speciem intelligibilem ab hujusmodi materia ; quod autem a materia abstrahitur est universale ; ergo intellectus directe non est cognoscilivus nisi universalium, loc. cit., B. La doctrine thomiste de l’abstraction paraît ici en son rapport essentiel avec la théorie de l’individuation par la matière. Mais, d’après la critique du réalisme, cette individuation est inconcevable, comme toute individuation, puisque l’individu se prend d’un bloc, sans distinction aucune, pas même de raison.

L’objet que le réel propose au sens n’étant plus le même que chez Scot, c’en est fait des notions scotistes de l’intellect agent et de l’espèce intelligible, essentiel lemenl liées à la notion de la nature, objet du sens ; cf. Gilson, loc. cil.

Le réel d’Occam n’est pas non plus le réel de saint Thomas, il ne vérifie pas l’équation fondamentale : singulier = matériel = inintelligible ; universel = immatériel = intelligible. Dès lors, on n’a que faire d’un intellect agent qui dématérialise l’espèce sensible et d’une espèce intelligible qui rapproche l’objet de l’esprit ; cf. Gilson, Le thomisme, 3e éd..Paris, 1927, p.205sq.

Occam n’a point à s’engager à la suite de Scot ni de saint Thomas.

2. Connaissance intuitive et connaissance abstractive.

Notre savoir est formé de propositions ; les propositions se composent de termes ; ainsi, le jugement suppose l’appréhension, dans la puissance même qui juge, et l’évidence se réalise quand l’appréhension emporte aussitôt le jugement. Mais certains jugements supposent une existence actuelle dans les choses, et d’autres, la seule présence de leurs termes à l’esprit. A ces deux ordres de jugements correspondent deux ordres d’appréhension :