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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. NATURE DU CONCEPT

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d’Abélard et dans telle d’Occam, nous voyons paraître la lueur de la même intuition.

Devons-nous conclure à une transmission du xiie siècle au xive siècle de la critique du réalisme et de la métaphysique du nominalisme ? Pas nécessairement. Car nous savons que les pensées métaphysiques sont parfois retrouvées, à plusieurs siècles de distance, sans avoir été précisément transmises. Occam nous dit, d’autre part, que tous ceux qu’il a lus, omîtes quos vicii, sur le problème des universaux étaient réalistes ; cf. supra, 1°, 1 (col. 734). Il nous suffît de la continuité de la tradition logique médiévale : la même logique du terme, tirée d’Aristote, Porphyre, Boëce, qui a pu conduire une fois Abélard au nominalisme pourrait bien y avoir conduit une seconde fois Occam et son école. L’étude de cette tradition logique, qui par Lambert d’Auxerre et Pierre d’Espagne joint le xiie siècle au xiv c, donnerait sans doute une intelligence plus complète du nominalisme médiéval. Dans l’état présent de nos connaissances, nous ne pouvons guère dépasser ces premières remarques.

La nature du concept.

Universaux et relations ne sont d’aucune manière des réalités, mais seulement des termes ; après leur avoir refusé toute existence a parte rei, nous avons à définir leur mode d’être in anima. Occam examine le problème à propos de l’universel dans la dernière des questions de natura universalis. 1 Sent., dist. II, q. vin.

Un terme, tel que l’universel, possède une triple existence : écrite, parlée, pensée, in scripto, in voce, in anima ; cf. supra, 2° (col. 737). Nous appellerons concept le terme, tel qu’il existe dans la pensée, avant tout langage. Il s’agit d’en préciser la nature.

L’universalité du concept n’est pas la même que celle du mot. L’universalité du mot, écrit ou parlé, ne tient point à sa nature, à sa réalité physique de son ou de dessin, mais à l’institution, à la volonté des hommes qui en fait un signe et un prédicable. On pourrait être tenté de concevoir ainsi tout universel comme de convention, universale ex inslilulione : nulla res habet ex natura sua supponere pro alia re, nec vere prædicari de alia re, sicut nec vox, sed tantum ex instilutione voluniaria, et ideo sicut voces sunt universales per institulionem et pnvdicabiles de rébus ila omnia universalia. Mais, si rien n’est universel de sa nature, tout peut le devenir par convention, les choses extérieures aussi bien que celles de l’âme : tune nihil ex natura sua essel species vel genus nece converso, et tune sequaliter posset Deus etsubstantia extra animam esse universale sicut quicquid quod est in anima, loc. cit., E. Cependant, on ne trouve d’universel que dans l’âme ; c’est donc qu’il y a l’universel par nature, universale naturale, le concept. Pour faire voir comment peut exister ainsi de l’universel dans l’âme, nous devons entrer dans les deux possibilités que le nominalisme laisse ouvertes ; cf. supra, 1°, 2 (col. 735) ; ilya deux façons d’être dans l’âme, que définissent les adverbes : subjective, objective.

1. Le concept comme esse subjective in anima.

On peut tenir que les concepts rentrent dans la catégorie de la qualité et sont dans l’âme comme des accidents dans une substance. Voilà donc l’universel : aliqua qualitas existens subjective in mente, loc. cit., Q. Mais cette qualité de l’âme, on peut soit l’identifier à l’intellection, soit l’en distinguer : verumlamen isla opinio posset diversimode poni : uno modo, quod ipsa qualitas existens subjective in anima essel ipsamet intellectio. .., aliter posset poni, quod ista qualitas esset aliquid aliudab intellectione et posterius ipsa, loc. cit., Q ; cf.B, D.

Quelque voie que l’on choisisse, l’universalité du concept s’explique de la même façon : conceptus et quodlibet universale est aliqua qualitas existens subjective in mente quæ ex natura sua est signum rei extra, sicut vox est signum rei ad placitum instiluentis, loc. cit., Q.

Comme le mot, le concept est signe ; mais, au lieu d’être un signe artificiel, c’est un signe naturel. Cela pose, l’analyse atteint sans difficulté la pensée à travers le langage : toutes les propriétés que les mots possèdent par convention, les concepts les possèdent par nature : sunt quædam qualitates exislenles in mente subjective, quibus ex natura sua competunt talia qualia contpelunt vocibus per voluntariam institutionem, ibid. D’un pareil point de vue, les diciplines que nous appelons grammaire, logique et psychologie sont toutes proches et près de se fondre. Tout comme le mot, le concept est d’essence singulière, vere res singularis, mais de signification universelle, dès qu’il entre comme attribut dans plusieurs propositions : lamen universalis per prædicationem, non pro se, sed pro rébus quas signi/icat, ibid. Et les concepts, comme les mots, sont plus ou moins universels, selon que leur signification s’étend à des êtres plus ou moins nombreux, unum… est plurium signum, et aliud paucorum, ibid. Le concept est un signe, dont on éclaircit la nature en le comparant au mot.

L’activité de l’intellect est une façon de langage, un langage naturel : nec videtur hoc magis inconveniens in intelleclum posse elicere aliquas qualitates quiv sunt naturaliter signa rerum quam quod brûla animalia et homines aliques sonos naturaliter emiltunt quibus naturaliter compelil aliqua alia significare, ibid. On comprend ici l’intellection, qui est le concept, ou ce qui le produit par analogie avec un aboiement ou un cri de douleur : voilà le signe naturel. Mais l’intellect n’est pas une faculté d’expression quelconque : Est tamen in hoc difjerentia, quod bruta et homines laies sonos non emiltunt nisi ad significandum aliquas passiones vel aliqua accidentia in ipsis exislentia. Intellectus autem, quia est majoris virtutis quantum ad hoc, potest elicere qualitates ad quæcumqne naturaliter significandum, ibid.. la faculté de concevoir est une puissance illimitée d’expression : de l’intellect naissent des signes de toutes choses, qu’expriment ensuite la diversité des langues écrites et des langues parlées ; le concept est un signe naturel, que supposent les signes artificiels.

2. Le concept comme esse objective in anima.

On peut se représenter que les concepts n’existent pas dans l’âme comme accidents de la substance, subjective, mais simplement comme des objets, objective, dont l’être n’est qu’être connu, ita quod eorum esse est eorum cognosci, loc. cit., F. A définir ce mode d’existence, nous allons retrouver des pensées d’Abélard.

a) L’image : son irréalité.
Voici en effet les caractères de cet esse objectivum qu’Occam appelle encore fictum :

Il présente à l’esprit cela même que la chose est : habet esse taie in esse objectivo quale habet res extra in esse subjectivo, loc. cit., E ; c’est une image, similitudo vel imago, vel picturarei, loc. cit., F ; cf. Abélard, supra, 1, 5°, 3, a) (col. 728). — Cette image est un objet devant l’esprit : illud sic fictum vere est objectum cognitum ab intellectu, loc. cit., F ; cf. Abélard, ibid. — Il n’y a pas seulement image des choses sensibles, mais encore de l’immatériel : taie fictum potest haberi de anima, loc. cit., F ; cf. Abélard, ibid. — L’image n’a pas d’existence réelle, tout son être est feint, ce qu’indiquent assez les termes de fictum, figmentum, loc. cit., G ; cf. Abélard, ibid. — L’image n’est ni accident ni substance : Quando dicitur : quicquid est est subslantia vel accidens, illud est verum, quod : quicquid est extra animam est substantia vel accidens, non tamen : quicquid est in anima objective est subslantia vel accidens, loc. cit., L ; cf. Abélard, ibid. — La distinction XXVII, du livre I du Commentaire rapporte, à la question ni, C, une doctrine qui retrouve l’esse objectivum dans la connaissance sensible et nous entretient des images des miroirs, de imaginibus quæ videntur in speculis ; cf. Abélard, ibid. —