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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. PROBLÈME DES DISTINCTIONS

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conclure une distinction entre deux choses au monde : periret omnis via probandi distinctionem rerum in creaturis, quia contradictio est via potissima ad probandam distinctionem rerum, q. vi, E. Ce ne sont pas les choses que nous savons, mais les propositions sur les choses : nous n’arrivons à distinguer deux choses que par deux propositions qui s’excluent.

b) Si on admet que la contradiction prouve tantôt une distinction réelle, tantôt une distinction formelle, il n’y a plus de raison pour ne pas mettre partout des distinctions formelles, nulle part des distinctions réelles : eadem facililale dicam universaliler quod esse et non esse verificantur de a et b propter distinctionem jormalem, et ita périt omnis via probandi aliquam distinctionem vel non identitatem realem inter quiecumque, q. 1, D.

c) Toujours égale à elle-même, la contradiction ne peut conduire qu’à un seul mode de distinction. Omnia contradictoria habent œqualem repugnantiam : nos deux textes, q. 1, D et q. vi, E, nous ramènent à cette pensée sans doute fondamentale.

La question 1, D, s’exprime ainsi : omnia contradictoria habent œqualem repugnantiam inter se. Tanta est enim repugnantia inter animam et non animam, asinum et non asinum, quanta est inter Dcum et non Deum, sive ens et non ens. Toute contradiction est égale à l’opposition entre être et non-être.

Il y aurait une échappatoire : Nisi forte dicatur esse major repugnantia inter ista quam illa propter majorem perjectionem alicujus partis in una contradictione quam in alia. Mais Occam ferme cette voie : sed hoc non est a(t propositum.

Il ne considère pas que dans être Dieu, n’être pas Dieu se joue plus de réalité qu’entre être âne, n’être pas âne ; il considère seulement une position et la négation aussitôt. Le contenu de la pensée importe peu, nous sommes à un point de vue purement formel, ce que confirme la question vi, E :

Omnia contradictoria habent œqualem repugnantiam, sed tanta est repugnantia inter esse et non esse quod, si a est et b non est, sequitur quod b non est a, ergo sic est de quibuscumquc contradictoriis. Ainsi a est b et b non est a donnent le même résultat que a est et b non est ; la même opposition se retrouve entre esse, non esse et esse a, non esse a.

On peut contester ce point de vue : de primis contradictoriis est hoc verum quia per illa contingit probare non identitatem realem, non autem contingit hoc per alia contradictoria. Esse, non esse prouvent la distinction réelle : lorsque deux choses se séparent dans l’existence, c’est bien qu’elles sont deux. Esse a, non esse a prouveraient seulement la distinction formelle : l’individu et la nature spécifique sont inséparables, mais l’un n’est pas l’autre : de même, la sagesse et la bonté divines — Que va répondre Occam ?

Forma sijllogistica lenel in omni materia ; ergo : hic est bonus syllogismus : omne a est b, c non est b, ergo c non est a, et per consequens, ita de a et non est a verum quod : si hoc est a et hoc non a, sequitur quod hoc non est, sicut : si hoc est et hoc non est, ergo hoc non est hoc.

Nous sommes au suprême degré de l’abstraction logique. Il suffit que ce soit le même syllogisme ; Occam considère la seule identité de forme. La forme n’est-elle pas l’essentiel pour une pensée dont l’élément dernier, c’est le terme ? La logique qui est au point de départ du nominalisme fait du concept une façon de mot ; l’intellection n’est pas prise de possession de son contenu par l’esprit, mais parole sur une chose qui lui reste extérieure ; le concept n’est qu’un signe, et la pensée joue comme une algèbre. De ce point de vue esse et non esse ne s’opposent pas autrement qu’esse a et non esse a ; la seule chose qui compte ici, c’est le non, la forme de la contradiction. Entre les signes, la contradiction est toujours égale à elle-même et ne peut conduire qu’à une seule distinction entre les choses.

Une logique du langage, où le concept est signe, fournit l’instrument de démonstration d’une métaphysique qui exclut la distinction formelle.

Ayant marqué combien les signes sont extérieurs aux choses, nous devons, par compensation, rappeler aussitôt à quel degré ils leur sont liés : par leur essence même de signes. La correspondance entre la distinction des choses et la contradiction entre les propositions montrent assez que le mouvement de la pensée suit les articulations des choses et que les choses se séparent comme se disjoignent les termes qui les signifient précisément.

2. Contre la distinction de raison.

La distinction formelle prend sur les choses, telles qu’elles sont en soi, omni intellectu circumscripto ; la distinction de raison se fait par l’intellection, secundum considerationem intellectus ; elle n’est pas moins inconcevable. Voici la critique qu’en apporte Occam, q. iii, B :

Il s’agit de voir comment, sous l’action de l’intellect, paraît à l’intérieur d’une chose réellement une la différence de raison.

a) C’est, dira-t-on, que l’intellect forme, de cette chose une, deux concepts : [difjerentia] est propter diversas raliones fabricalas circa eamdem rem.

Ce que forme l’intellect, répond Occam, n’est pas la chose, mais autre chose. La réalité peut rester une en soi : une chose n’a pas plus à se dédoubler pour deux concepts, qui ne sont pas elle, qu’à cause de deux choses quelconques, qui lui sont extérieures : nunquam aliqua res distinguitur a seipsa ralione propter diversitatem rationum quæ non sunt ipsa, sicut nec distinguitur realiter a seipsa propter diversitatem rerum quarumeumque quæ non sunt ipsa.

b) Dira-t-on que l’intellect ne forme pas seulement des concepts différents, mais conçoit différemment la chose, dif/erentia est quia aliter concipitur eadem res ab intellectu ?

Mais concevoir différemment l’objet suppose une multiplication, soit des modes de concevoir, soit de l’objet conçu :

Ipsi modi concipiendi qui non sunt ipsa res concepta mulliplicantur : la multiplicité des modes de concevoir est extérieure à la chose, la laisse à son unité ; cf. supra, a).

Objectum ipsum aliquo modo mulliplicatur ita quod sint plura objecta formalia : si l’objet même est multiplié, nouveau dilemme :

ou il tient sa multiplicité de soi, ex natura rci : la distinction n’est plus de raison, mais formelle ;

ou il ne devient multiple que par l’intellection, tantum per actus intellectus : la multiplicité dans l’intellect est extérieure au réel, qui demeure à son unité : cf. supra, a).

C’en est fait de la distinction de raison. L’être réel et l’être de raison demeurent face à face : toujours le signe et la chose. Voici en effet les trois distinctions à deux termes :

ens reale — ens reale : deux choses ;

ens rationis — ens ratienis : deux signes :

ens reale — ens rationis : une chose, un signe.

3. Le sens de la distinction réelle.

Nous pouvons conclure ainsi sur le problème des distinctions :

a) Il n’y a dans les choses qu’une distinction, comme il n’y a dans la pensée qu’une contradiction ; cf. supra, ha).

b) La distinction réelle ne dépend en rien de l’intellect : la pensée ne fait pas plus la distinction que l’être même : nec [distinclio realis] plus dépende ! ab intellectu quam ipsa entitas dependet ab intellectu, q. ni, B.

c) En divisant les choses, l’intellect suit la distinction réelle : il faut bien comprendre la parole d’Averroës :