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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. PROBLÈME DES UNIVERSAUX

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Le problème des universaux.

Il se précise en trois moments :

1. Les questions de Porphyre.

Rappelons le texte fameux : Mox de generibus ac speciebus illud quidem, sive subsistant sive in solis nudisque intellectibus posita sunt sive subsistentia corporatia suntan incorporalia, et utruni separata a sensibilibus an in sensibilibus posita et circa ea colistantia, dircre reeusabo, dans Boèce, In Isagogen Porpiujrii commenta, éd. Branclt. p. 159, I. 3-8.

Abélard rencontre le texte au seuil de sa logique, en commentant VIsagoge ; il a devant les yeux la traduction et le commentaire de Bocce qui lui signale l’intérêt et la difficulté des questions évoquées par Porphyre, mais non résolues : secrelæ et perutiles, éd. Geyer, p. 7, 1. 32 ; cf. Hisloria calamitatum, dans Cousin, P. Abœlardi opéra, t. i, p. 5. Nous ne nous arrêterons pas à l’interprétation qu’Abélard propose du passage de VIsagoge. Notons seulement qu’il s’agit des genres et des espèces, par exemple : animal ou homme.

2. La définition aristotélicienne de l’universel.

Dès qu’il se préoccupe de résoudre les problèmes de Porphyre, Abélard note que genres et espèces sont des universaux, éd. Geyer, p. 9, 1. 15. Et il rencontre aussitôt cette question : qu’est-ce que l’universel ? Voici la définition d’Aristote : quod de pluribus natum est aptum prevdicari, ibid., p. 9, 1. 19. L’universel nous est défini par rapport à la proposition où il entrera, comme prédicat possible.

3. L’opposition Res-Vox.

Mais, en parlant d’universel, les autorités, Aristote, Porphyre, Boëce, visent aussi bien les choses : res, rerum natura, éd. Geyer, p. 9, 1. 21-28, que les mots ou les noms : voces, nomina, Ibid., p. 9, 1. 21-28. Pour définir le plan de pensée où nous sommes, rappelons-nous la notion de vox chez Boëce. qu’Abélard reprend : est autem vox, Doethio teste, aeris, per linguam percussio…, ibid., p. 335, 1. 2-3, et notons quelques propriétés, qui nous apparaissent déjà, des voces univcrsales :

a) Elles sont termes de propositions : prirdicatos terminos propositionum, ibid., p. 10, 1. 7 ;

b) vox est ici traité comme synonyme de nomen, qu’Abélard définit ailleurs vox significativa, ibid., p. 335, 1. 29. D’ailleurs, notre passage donne : significare autem vel monstrare vocum est, significari vero rerum, ibid., p. 10, 1. 1-2. Voilà les deux mondes face à face, liés par un rapport essentiel : l’un signifie l’autre ; que veut dire signifier ?

c) notre texte rapproche significare de monstrare : le mot fait voir. Abélard écrit ailleurs : significare Arisloleles accipit per se intellectum cùnstituere, ibid., p. 335, 1. 29-30. Le mot emporte une intellection de la chose. Grâce à la publication de la logique Ingredientibus. ., nous pouvons être plus hardis que Reiners, lequel écrivait avec une remarquable prudence : « Quand nous disons : on pense, à l’aide du mot, des choses déterminées, peut-être exprimons-nous, plus fortement qu’Abélard ne l’a fait, le facteur subjectif. » Loc. cit., p. 50.

Ainsi les mots universels dont parlent les autorités, sont bien des sons articulés, mais ce sont aussi des termes dans les propositions et des signes des choses, qui nous y font penser.

Cependant les autorités n’attribuent pas moins l’universalité aux choses qu’aux noms : demandons-nous comment la définition qu’après Aristote nous avons donnée de l’universel peut s’appliquer aux choses : quwrendum est, qualiter rébus definilio universalis possil aptari. Éd. Geyer, p. 10, 1. 8-9. Voilà notre première question. Abélard va examiner toutes les solutions proposées, toutes les formes de « réalisme « : omnes omnium opiniones ponamus. Loc. cit., 1. 16.

Non-réalité des universaux.

Le réalisme tient les choses pour universelles ; mais, pour les dire universelles, il ne les considère pas toujours de la même manière ; il y a deux formes de réalisme, que caractérisent les adverbes essentialiler et indiffcrenler : on peut dire les choses universelles soit dans leur essence, soit par non-différence ; cf. Historia calamitatum, dans Cousin, P. Abâtardi opéra, t. i, p. 5 ; Abélard va faire justice de l’une et l’autre manière.

1. Les choses ne sont pas universelles dans leur essence.

— Dans la première perspective, l’individu se forme à partir de l’espèce comme l’espèce à partir du genre : au genre « animal », la différence « raisonnable » se joint pour donner l’espèce « homme » ; le genre est une matière qui reçoit la différence comme une forme ;

— de même, à l’espèce « homme » s’ajoutent les accidents, formes. Si nous embrassons du regard la hiérarchie logique qui monte selon la généralité croissante, le supérieur (genre, espèce) est une essence, une substance, en soi une et la même, eadem essentialiter substanlia, malerialis essentia in se ipsa una, qui joue le rôle de matière à l’égard des formes des inférieurs qui viennent la diversifier ; entre ces choses qui ont un fond d’unité, les différences s’établissent per formas inferiorum, per advenienles formas. Un peu à la façon d’une même cire qui prend tantôt figure d’homme et tantôt figure de bœuf, la même substance générique ou spécifique est matière à la fois de plusieurs formes, qui en font plusieurs espèces ou individus. Les formes qui constituent l’individu sont des accidents ; la différence spécifique se joint per accidens à la matière générique ; cf. Dialectica, dans Cousin, Ouvrages inédits d’Abélard, p. 455. Si la matière n’existe jamais sans les formes, on peut la penser à part ; inséparable actualiter, elle l’est naturaliter. Si l’on sépare ainsi par la pensée les différences spécifiques, ou les accidents individuels, il reste l’essence une du genre ou de l’espèce : voilà la chose universelle. Éd. Geyer, p. 10, 1. 17 ; p. 11, 1.9.

Quels que soient les dires des autorités, on ne peut faire de l’essence un universel et réduire la singularité à des accidents :

a) L’essence n’est pas universelle.

Sous ce chef, on peut grouper trois critiques. —

a. Si « animal » est une substance, la même dans l’homme et dans l’âne, l’un animal rationale, l’autre animal irrationale, voilà des contraires, rationaleirrationale, qui existent à la fois dans le même sujet ; mais en ce cas, ce ne sont plus des contraires, selon la notion aristotélicienne. Éd. Geyer, p. 11, 1. Il ; p. 12, 1. 26.

b. Si toute diversité repose sur l’unité d’une essence des individus, « Socrate » et « Platon », nous sommes ramenés de proche en proche à « substance », essence une de toutes les substances qui diffèrent seulement par des formes surajoutées. C’est par de telles formes que vont différer Socrate et Platon. Mais, de la même façon que toutes les substances sont la substance, toutes les qualités sont la qualité, toutes les quantités sont la quantité. Pas plus que la substance, aucune forme ne peut mettre de différence entre Socrate et Platon, Ibid., p. 12, 1. 27-41.

c. Nous ne disons pas de Socrate qu’il est plusieurs parce que, substance, il reçoit une multiplicité d’accidents ; si les individus sont une même substance, spécifique ou générique, sous une multiplicité d’accidents, on ne doit pas dire non plus qu’ils sont plusieurs. Ibid., p. 13, 1. 1-4.

Ainsi, concevoir une chose universelle, essence une, c’est nier l’opposition des contraires, la différence et la multiplicité même des êtres.

b) Les accidents ne font pas l’individu.

La quatrième critique s’attaque à l’autre aspect de la doctrine Illud quoque stare non potest quod individua per ipsorum accidentia effici volant, ibid., p. 13, 1. 5-6.