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713 NOMBRES (LIVRE DES). PRESCRIPTIONS CULTUELLES

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révélée le résolvaient en accusant de plagiat les religions païennes ; ils ne faisaient que reprendre une thèse de l’école judéo-alexandrine, selon laquelle les sages du paganisme auraient emprunté à.Moïse et aux prophètes d’Israël les meilleurs éléments de leur philosophie. D’autres, surtout dans les controverses avec les Juifs, le résolvaient en reconnaissant l’introduction d’éléments païens dans le mosaïsme. Cf. Pinard de la Boullaye, L’élude comparée des religions, 1022, t. I, p. 5657. Les Juifs prétendaient, en effet, que leur rituel édicté par Jahvé ne pouvait être que parfait et par conséquent immuable, à quoi les apologistes répondaient en déclarant la Loi ancienne périmée, en ce qui regarde le culte surtout, celui-ci devant être désormais, selon la parole même du Christ, un culte « en esprit et en vérité » ; la meilleure preuve qu’il en élait bien ainsi n’était-ce pas la présence de rites et d’usages païens dans la liturgie du Temple ? Jahvé les avait tolérés en raison de l’endurcissement du peuple juif.

Saint Justin fut le premier à énoncer cette thèse, si souvent reprise dans la suite, de la « condescendance divine » ; dans son Dialogue avec le juif Tryphon, il s’applique à prouver « que la loi de Moïse a été instituée, non en raison de son excellence, comme un idéal, mais en raison de l’endurcissement du peuple juif, comme un pis-aller. Il leur montre qu’elle n’est pas la voie unique du salut, puisque les patriarches et les justes qui ont vécu avant sa promulgation se sont sanctifiés sans elle, mais qu’elle visait, par lamultitude de ses prescriptions, à maintenir des esprits grossiers dans la pensée constante de Dieu et à séparer la nation élue des nations idolâtres qui l’entouraient. Il ajoute même que, si Jahvé a concédé certains rites comme ceux des oblations en nature et des sacrifices, s’il a consenti à avoir son temple, c’était afin qu’Israël, trouvant dans sa liturgie des pratiques analogues à celles qui le séduisaient chez ses voisins, ne fût point tenté d’adopter leurs usages et de passer au polythéisme. Ce trait est le plus caractéristique. Le mol de condescendance, auyxaTâSacuç, n’est pas encore employé, mais le fait essentiel est affirmé. L’auteur ne dit pas.ilestvrai, que Dieu a sanctionné des emprunts aux cultes païens, mais il enseigne qu’il a consacré certains rites dans le goût des religions ethniques et, rappelant à ce propos comment les prophètes ont protesté contre les abus du formalisme et réclamé sans cesse la pratique de l’amour et de la charité, il montre que pareille liturgie ne répond pas aux préférences divines. Concédée par pure bonté, « par philanthropie », en attendant mieux, elle a fait son temps. H. Pinard (de la Boullaye), Les infiltrations païennes dans l’ancienne Loi, d’après les Pères de l’Église. La thèse de la condescendance, dans Recherches de science religieuse, 1919, p. 199-200. Cf. S. Justin, Dialog., n. 18, P. G., t. vi, col. 516, n. 19 ; ibid., col. 516, n. 21, col. 520 ; n. 22, col. 521, 525 ; n. 23, col. 525. Saint Irénée, écho sans doute de saint Justin, affirme les concessions de Jahvé à l’esprit charnel dTsraëlpourl’empêcher de tomber dans l’idolâtrie. Cont. hær., IV, xiv, 3, P. G., t. vii, col. 1011. Tertullien, dans son traité contre Marcion, voit dans les rites sacrificiels et l’appareil formaliste de l’ancienne Loi, qu’il appelle negotiosæ scrupulositales, un dérivatif et un préservatif contre le polythéisme, reconnaissant ainsi dans la liturgie juive, sinon un emprunt formel au paganisme par adoption d’usages identiques, du moins une certaine imitation des rituels ethniques, Adv. Marc, t. II, c. xviii, P. L., t. ii, col. 306.

Chez les Alexandrins, malgré la large place faite à l’idée de condescendance par Origène, malgré sa conception des sacrifices offerts à Dieu comme d’un antidote contre le polythéisme. In Numeras, hom. xvii, n. 1, P. G., t.xii, col. 703, « il faut attendre que la

vogue de l’exégèse philonienne soit tombée pour voir la thèse de la condescendance prendre son plein développement avec l’école d’Antioche ». Pinard, ibid., p. 206. A maintes reprises clic est affirmée par saint Jean Chrysostome. Qu’il suffise de mentionner un passage tout à fait caractéristique de sa sixième, homélie sur saint Matthieu où il dit qu’on ne saurait trouver indigne de Dieu d’avoir appelé les mages à la crèche du Sauveur par le moyen d’une étoile, sans être obligé de condamner en même temps toutes les institutions judaïques, sacrifices, purifications, néoménies, l’arche et le temple même, car tout cela tire son origine de la grossièreté des gentils et n’a été consenti aux Hébreux que pour les élever insensiblement à la sublime sagesse (évangélique), P. G., t. lvii, col. 66. Chez les Latins, saint Jérôme n’est pas moins explicite ; il reconnaît que les sacrifices mosaïques ont été concédés à Israël pour adapter au service du vrai Dieu des rites auxquels il s’était attaché quand il servait les idoles, In Ezech., t. VI, c. xx, P. L., t. xxv, col. 194. Bien plus, à propos du sacerdoce de Melchisédech, il rapporte l’opinion selon laquelle le sacerdoce lévitique, loin d’avoir été reçu des Juifs par les Gentils, l’aurait été, au contraire, des gentils par les Juifs : Ut non Génies ex Judœis, sr, d Judwi a Gentibus sacerdotium acceperint, Epist., lxxiii, 3, P. L., t. xxii, col. 678.

Ainsi donc le rituel compliqué de l’ancienne Loi apparaît à ces Pères de l’Église « comme une concession aux tendances paganisantes d’une nation corrompue par son séjour prolongé au milieu des nations idolâtres et par le contact incessant des peuples polythéistes. Ils ont pris soin toutefois de faire remarquer que Jahvé, en recevant certains rites de style païen, avait épuré la morale qui les accompagnait ailleurs, transformé les dogmes qui les inspiraient et combiné la législation juive de manière à ce qu’elle fût comme un mur protecteur entre les Hébreux et les gentils, assurât le triomphe du monothéisme et préparât l’économie plus parfaite du Nouveau Testament. » Pinard, ibid., p. 216. Les nécessités apologétiques certes n’ont pas été sans influence sur une telle interprétation du rituel mosaïque ; grâce à elle, en effet, la réponse devenait facile aussi bien aux attaques des Juifs, défenseurs obstinés de l’ancienne Loi qu’à celles des gnostiques, scandalisés par les imperfections de l’Ancien Testament, ou encore à celles des néoplatoniciens, reprochant aux chrétiens de condamner chez les païens ce qu’ils se voyaient obligés d’approuver chez Moïse et les prophètes. Mais n’était-elle pas suggérée par l’Écriture elle-même dans les réclamations des messagers de Jahvé contre le formalisme d’Isratl ? Cf. Am., v, 21 sq. ; Is., i, 10 sq. ; lviii, 3 sq. ; Jer., vii, 21 sq. ; Mal., 1, 10 ; Ps, lxix, 7 sq. ; l, 19. Ne l’était-elle pas encore par le Christ lui-même, quand il déclarait que le droit de répudier son épouse accordé aux Juifs ne l’avait été qu’en raison de la dureté de leur cœur ? Cf. Matth., xix, 18 ; Mc., x, 5 ; ou bien quand avec ses disciples il se conformait aux prescriptions de la Loi qui bientôt serait abrogée ? Saint Paul enfin, par ses exemples et ses enseignements, se faisant tout à tous pour les sauver tous, I Cor., ne, 22, ne montrait-il pas assez de quelle condescendance il convenait d’user pour s’adapter aux diverses situations ? Pourquoi dès lors Jahvé, le Dieu de toute puissance, mais aussi de toute bonté, n’aurait-il pas agi de même à l’égard d’un peuple, pour l’élever progressivement de la notion d’une justice extérieure et formaliste à celle d’une justice intérieure et spirituelle ?

Un des plus célèbres docteurs juifs du Moyen Age, connu sous le nom de Maimonide, pour concilier les imperfections et les singularités de la loi mosaïque avec la dignité du Dieu qui l’a imposée, recourait à une explication qui n’est autre que celle des auteurs ecclé-