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NOMBRES (LIVRE DES). PRESCRIPTIONS CULTUELLES


de moins que la ruine de tout le système des sacrifices. Cf. Dan., viii, 11-11 ; XI, 31 ; xii, 11. Qu’un tel sacrifice ait été olïert dès avant l’exil, bien que prescrit seulement dans la législation sacerdotale, c’est ce que prouve l’ordre donné par le roi Achaz au prêtre Urias de faire brûler sur le grand autel l’holocauste du matin et l’olïrande du soir, II Heg., xvi, 15 ; que ses modalités lent varié au cours des âges, c’est fort probable. Cf. Ezech., xi. vi, 13-15 ; Philon, De viclimis, 3, édit. Mangey, t. ii, p. 240.

La fête de la nouvelle lune, ou néoménie, Num., xxviii, 11-15, n’est pas non plus mentionnée ailleurs dans le Pentateuque, si l’on excepte une simple allusion, Num., x, 10. Dans aucun des documents, pas même dans le Deutéronome ou la Loi de Sainteté, on ne la trouve ; il est certain cependant que, dès les temps très anciens, c’était une fête importante, célébrée par des sacrifices, Is., i, 13 ; Os., ii, 11 ; Am., viii, 5 ; 1 Heg., xx, 4-31 ; IV Reg., iv, 23. Pour expliquer ce silence des anciennes législations jéhoviste et deutéronomiste, les critiques ont pensé que primitivement des pratiques païennes auraient été associées à la célébration de cette fête à caractère -populaire et que, pour cette raison, ces textes auraient omis d’en parler. Plus tard, en raison même de son importance dans la fixation du calendrier des fêtes et aussi de la tendance à maintenir, tout en les transformant, les fêtes chères au peuple, la néoménie aurait pris rang dans la liste des fêtes juives. Quoiqu’il en soit de ces explications, il demeure hors de conteste que cette fête, même adaptée à des conditions de vie nouvelle, appartient aux plus antiques usages rituels des Hébreux ; le culte qu’Israël avait, à cette occasion, à rendre à Jahvé devait le préserver des pratiques idolâtriques très répandues chez les anciens en l’honneur de la lune regardée comme une divinité. Cf. Deut., iv, 19 ; xvii, 3 ; Jer., viii, 1-2.

Une autre particularité encore des prescriptions rituelles des Nombres, c’est la réglementation des quantités de farine, d’huile et de vin à offrir en même temps que les victimes du sacrifice, xv, 1-16 ; xxviiixxix ; elle est distincte de celle du Lévitique ; ii, ne s’occupant que des oblations séparées ; elle complète et précise des prescriptions analogues de l’Exode, xxix, 38-42, et du Lévitique, vi, 14-18 ; vii, 11-14 ; xiv, 10, 21. Cette réglementation des Nombres, si précise et si détaillée, serait d’époque tout à fait récente, plus même que celle de la torâh d’Ézéchiel, xxvi, 5-7, 11, 14. Si le temps et les circonstances ont pu faire subir quelques modifications aux détails d’une telle réglementation, la coutume d’offrir de la farine, de l’huile et du vin avec les animaux du sacrifice est des plus anciennes et d’une pratique plus répandue que l’oblation séparée des produits du sol sous la forme de prémices. Cf. I Reg., i, 24 ; x, 3 ; Os., ix, 4 ; Mich., vi, 7. Pareille coutume se retrouve chez les anciens peuples. « Avec les victimes, les prêtres assyriens offraient des gâteaux, des pains, des dattes, du miel, du beurre… du vin… surtout de l’huile, de l’huile excellente, diverses sortes de farine, de la fleur de farine… Le nombre des offrandes n’était pas laissé au bon plaisir des prêtres, mais rigoureusement déterminé par le rituel. » Fr. Martin, Textes religieux assyriens et babyloniens, Paris, 1903, p. xviii-xix, 243, 253.

De quelques rites et usages particuliers.

Ces

rapprochements avec des coutumes et des institutions religieuses des peuples païens témoignent sans doute en faveur de l’antiquité du rituel mosaïque, mais ne soulèvent-ils pas en même temps le problème de son origine, lorsqu’il s’agit surtout de pratiques où la superstition, la magie même semblent bien avoir place 1 N’est-ce point le cas du rite de la « vache rousse » pour la purification du contact d’un cadavre, Num., xix,

2-22, et de l’usage de l’ « eau de jalousie », véritable jugement de Dieu pour discerner l’innocence ou la culpabilité fie la femme soupçonnée d’adultère, Num., v, 11-31’? C’est pourquoi quelques remarques s’imposent à leur sujet pour en préciser la nature et orienter tout au moins le sens de la réponse à la question générale des rapports entre la religion d’Israël et les religions païennes :

1. Rite de la vache rousse.

L’impureté des cadavres d’hommes ou d’animaux est l’objet, dans le Pentateuque, de maintes prescriptions, qui tendent à éviter ou à effacer la souillure résultant de leur contact, Lev., v, 2 ; xi, 8, 24-28 ; xxi, 1-4, 10-11 ; xxii, 4-7 ; Num., v, 2 ; vi, 6-12 ; ix, 6-7, 10-11 ; xxxi, 19-24. Au c. xix des Nombres est édictée une loi pour la purification de l’impureté contractée par le contact d’un cadavre humain. Quiconque touche un mort sera impur pendant sept jours ; s’il ne se purifie pas, il souille la Demeure de Jahvé et sera retranché d’Israël, xix, 11, 13. II en va de même pour quiconque pénètre dans la tente où un homme vient de mourir, ou seulement touche dans les champs un homme tué par l’épée, un mort, des ossements humains, même un sépulcre, xix, 14, 16. Pour se purifier de la souillure ainsi contractée, il faut recourir, le troisième et le septième jour, à l’aspersion d’une eau dans laquelle on aura mis les cendres d’une vache rousse, sans tache ni défaut et n’ayant jamais porté le joug, xix, 19.

Quelle que soit l’époque de rédaction de cette loi, la croyance sur laquelle elle est fondée et la coutume qu’elle régit, sont sans aucun doute anciennes et primitives. Croyance et coutume ne sont pas spéciales d’ailleurs à Israël. Les sémites tenaient les cadavres pour impurs : « Le contact des morts souille plus ou moins, mais le principe est général, » fait remarquer le P. Lagrange dans ses Études sur les religions sémitiques, p. 146. Chez les Babyloniens, le cadavre lui-même était l’objet d’unepurification. Jastrow, Religion of the Babylonia and Assyria, p. 602-603. D’après les auteurs classiques, le Zend-Avesta, les lois de Manu et autres anciennes législations orientales, on peut constater cette même croyance chez les Romains, les Grecs, les Perses et les Indiens ; elle survivrait dans certains rites et usages observés chez quelques peuplades d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Tylor, Primitive culture, 3e édit., t. ii, p. 443-444 ; Frazer, Golden bough, t. i, p. 322-325. Non moins ancienne que la croyance à l’impureté des cadavres est la purification de la souillure contractée à leur contact. Pour l’obtenir les moyens ont varié ; ordinairement une impureté légale, en Israël comme chez les autres peuples, disparaissait d’elle-même un certain temps après qu’elle avait été contractée ou après emploi d’eau pure ; cf. Lev., xv, 13 ; dans certains cas, tel celui de la purification des lépreux ou de leurs maisons, était requis un mélange de sang et d’eau avec du cèdre et de l’hysope, Lev., xiv, 4-5, 49-52 ; une vertu spéciale était également attribuée dans l’épreuve de l’eau de jalousie, Num., v, 11-31, au mélange d’eau et de poussière prise au sol de la Demeure ; dans le cas présent, c’était à un mélange d’eau etdecendres de la vache rousse qu’ilfallait avoir recours. Certaines méthodes aryennes de purification rappelleraient une pratique semblable. Cf. Wellhausen, Die Komposilion des Hexaleuchs und der historischen Bûcher des A. T., 2e édit., p. 178 ; un mode de purification analogue était en usage chez les Romains. Cf. Ovide, Fast., iv, 639, 725, 733.

De ces remarques on peut conclure que l’origine et le sens primitif de la croyance et des rites impliqués dans le cérémonial de la purification sont à rechercher, non pas uniquement dans lalégislation hébraïque, mais dans l’ensemble des données fournies, par l’histoire et l’observation moderne, dans ce domaine de la pensée