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NICON


ce passage des Répliques, qui est peut-être le plus intéressant de l’ouvrage, par sa fameuse comparaison des deux pouvoirs avec les deux astres : le soleil et la lune : « Le soleil, qui luit durant le jour, c’est l’évoque qui illumine les âmes, mais l’astre plus petit illumine la nuit, c’est-à-dire les corps. Et, de même que la lune reçoit sa lumière du soleil, et augmente en lumière à mesure qu’elle s’éloigne de lui, ainsi le I sar dérive sa consécration, son onction et son couronnement de l’évêque. » Palmcr, I. i, p. 250253.

Le principe de la souveraineté absolue de l’Église vis-à-vis de l’État étant posé, bien des conclusions doivent en découler.

Les rois ne peuvent ni convoquer ni présider les synodes. Sans doute, tous les synodes russes, depuis plusieurs siècles, et même les synodes présidés par Nicon ont été réunis « par oukaze du tsar ». Nicon écrit sans hésiter : « S’il est vrai que jadis les synodes ont été convoqués par les religieux empereurs, ce fut par mode de requête et non de commandement, tandis que le système présent exige que les synodes soient convoqués par ordre et eompulsion du tsar. » (i, 40.)

Le souverain ne peut pas non plus nommer les évoques ou autres dignitaires ecclésiastiques. Les revendications de Nicon sonnent faux, car nous ne pouvons oublier qu’il fut nommé archimandrite de Novospass, métropolite de Novgorod et patriarche par la volonté souveraine du tsar. De plus, quoi qu’en dise Paul d’Alep, qui visita Moscou en 1655 et 1656, nous connaissons plus d’un oukase du tsar nommant les dignitaires ecclésiastiques durant le patriarcat même de Nicon. Nicon, citant mal le 13e canon de Laodicée et le 3e canon du IIe concile de Nicée, écrit : « Celui qui a été élu par le pouvoir séculier est dégradé, ainsi que l’évêque qui l’a ordonné. » Et il commente : « Le souverain a fait passer le métropolite des Kruticy (Pitirim), qui était le dernier des métropolites et des évêques, au premier rang de tous sans synode et sans élection. Or, le 35° canon des Apôtres et le 3* canon du VIIe concile déposent celui qui a obtenu une Église par l’entremise des princes séculiers. .. Cet homme est donc un ennemi de la sainte Église, et par les canons des saints Apôtres et des saints Pères, il est déposé et excommunié. » Nicon ne s’arrête pas en si beau chemin, et l’ardeur de sa polémique le pousse aux conclusions les plus inattendues : « Par le 2° canon du II’concile œcuménique (I er de C.onstantinople), tous les prêtres, et tous les diacres, et autres clercs qui ont été ordonnés par un tel homme ne sont pas ordonnés, et ceux qui sont baptisés par eux ne sont pas baptisés, et on ne peut les appeler chrétiens. De même, tous les métropolites, les archevêques, évêques et autres ecclésiastiques qui ont communié avec lui, doivent être, suivant les saints canons, excommuniés et déposés. » Palmer, t. i, p. 502. Nicon, sans se rendre compte qu’il tombait dans le donatisme le plus grossier, répéta souvent que l’Église russe, contaminée par Ligaridès et Pitirim était elle-même tombée dans le schisme et que lui seul Nicon, gardait encore l’orthodoxie. Même le tsar est contaminé : « Si le tsar lui-même pèche contre ces canons, il en encourra la responsabilité », et un peu plus loin : « Tu dis qu’il appartient au tsar de choisir les patriarches, les métropolites, les archimandrites, les higoumènes, alors qu’il n’a aucune autorité pour cela, et qu’il n’a pas gardé ses vœux envers Dieu, et par conséquent, il n’est même pas digne d’entrer dans l’église, mais devrait passer toute sa vie à faire pénitence et seulement à l’heure de la mort, devrait être admis à la communion. » Palmer, t. i, p. 581. Il est savoureux de voir comment

Nicon, entraîné par la lecture et la méditation des canons, songe sérieusement à faire revivre l’ancienne discipline pénitentielle dans la Moscovie du xvri c siècle.

Ainsi, de même, il fait revivre l’ancien privilegium jori ou immunité personnelle du clergé, dont les derniers vestiges avaient disparu en 1649 par le nouveau Code de lois. D’ailleurs, Nicon lui-même avait toléré cette usurpation du pouvoir laïque, même quand il était patriarche, tant qu’elle n’était pas dirigée contre sa propre personne. De nouveau, il affirme que les ecclésiastiques qui acceptent cette juridiction sont dégradés, et que’ceux qu’ils baptisent ne sont pas baptisés, et ceux qu’ils ordonnent ne sont pas ordonnés », car il ne sait plus distinguer entre administration illicite et administration invalide des sacrements. Et, affirmant de nouveau — est-ce la rigueur de la logique, qui le pousse à ces conclusions épouvantables ou l’exaltation de son esprit ? — qu’il n’existe plus de hiérarchie légitime en Russie, il s’écrie : « Et, si ceux qui communient avec les personnes excommuniées ou déposées par la sentence d’un homme doivent eux aussi être excommuniés et déposés, que pen.ser de ceux qui sont rejetés et maudits par les cemmandements de Dieu ? A combien plus forte raison celui qui communie avec eux doit-il être excommunié et déposé ? Par suite de tous ces désordres, tout pouvoir épiscopal et ecclésiastique a été efjacé en eux, du plus exalté jusqu’au plus humble. » Palmcr, t. i, p. 501.

Catholicité de l’Église.

Pour échapper à l’emprise

du pouvoir séculier, Nicon souligne le plus possible l’idée de catholicité de l’Église. L’Église du Christ doit être une, non pas seulement de l’unité intérieure et invisible du corps mystique, mais aussi de l’uniformité extérieure des rites et des textes liturgiques. Ce fut la cause de la réforme que Nicon mena avec tant d’énergie. Pour cette raison, de même, il s’adressa au patriarche de Constantinople pour lui demander d’approuver ses réformes, et en obtenir la solution de ses difficultés liturgiques. Enfin, en 1665, quand il fut acculé par le tsar, il écrivit une longue lettre au patriarche œcuménique de Constantinople et se remit à son jugement.

L’autorité centrale.

Dans toute l’œuvre juridique

de Nicon, on trouve une véritable nostalgie d’une forte autorité centrale. Sans doute, Nicon n’était pas un latin, ni même un latinisant. C’est lui qui fit entrer dans la Kormcaja (Recueil canonique slave) ce stupide chapitre sur la chute des latins où l’on retrouve les sottises les plus lamentables. Il fit détruire les icônes peintes à la mode allemande, c’est-à-dire latine, et il trouva les expressions les plus cinglantes pour reprocher à Ligaridès ses anciennes relations avec Rome. En dépit de cette animosité, ce n’est pas une fois, mais trois, qu’il cite dans ses Répliques le 3e canon de Sardique qui, suppose la suprême juridiction de Rome ; quatre fois, il rappelle le canon 106 de Carthage (dans Beveridge, 109), qui défendait le recours à l’empereur sans la permission préalable du pape de Rome. Non seulement il fait ajouter à son édition de la Kormcaja de 1654 le texte de la donation apocryphe de Constantin au pape Sylvestre ; il y revient à plusieurs reprises dans ses Répliques. Il en transcrit le texte intégral. Ailleurs, il rappelle la phrase vigoureuse qui consacre la souveraineté temporelle du chef spirituel de l’Église que nous avons rapportée plus haut. Mais tous ces textes, qui affirment une autorité unique, souveraine et indépendante de l’empereur, il se les applique, oubliant, hélas ! qu’un patriarche national ne peut pas être souverain.