Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/312

Cette page n’a pas encore été corrigée

609

NICOLAS DE CUSA

G10

la fois centre et circonférence du monde. Docl. ignor., t. II, c xi. Il est partout et il n’est nulle part. Ibid., c. xii. En un mot, il est le non aliud.

Jean Wenck, professeur de théologie à Ileidelberg, a voulu faire de Nicolas de Gués un panthéiste ; et les allégations de l’auteur du De ignota litteratura trouvent encore des échos aujourd’hui, l’ourlant, Nicolas a catégoriquement affirmé dans son Apologia docltv ignorantiæ. Op., p. 65-69, que, - selon lui, les choses ne sont en Dieu que comme l’effet dans la cause. Il est clair, pour qui sait le comprendre, que ses formules parfois étranges et paradoxales ne sont qu’une manière. discutable, sans doute, mais réelle, de nici l’univocitéde l’être et d’affirmer en même temps la transcendance de Dieu, et sa causalité totale par rapport au monde.

L’univers n’est donc pas Dieu ; il est cependant une imitation, une participation de Dieu. Ce que Dieu est absolument, le monde l’est « concrètement », c’est-à-dire de façon « contracte ». L’univers est un, il est maximum, il contient tout, il est principe et fin des choses, il est infini ; mais fout cela, il l’est « concrètement » : en lui, l’unité est « contractée » dans la pluralité, la simplicité est « contractée » dans la composition, l’infinité est i co tractée « dans le fini, l’éternité est « contractée » dans la succession, la nécessité est « contractée » dans la possibilité, et ainsi du reste. Doct. ignor., t. II, c. iv. L’univers un n’existe comme tel que dans la pensée divine. En tant qu’il est réalisé, il est « contracté i dans 1’ « altérité » des genres, de même que l’unité des genres est « contractée » dans 1’ « altérité » des espèces, et l’unité des espèces dans 1’ « altérité » des individus. Il n’existe donc en ce monde que des êtres singuliers, tous différents les uns des autres ; mais on n’en peut conclure que les universaux soient seulement des êtres de raison : ils existent de façon « contractée » dans les individus, et l’intelligence les en tire par voie d’abstraction. Ibid., c. vi.

Toute contraction suppose un contracté, un contractant et un lien entre eux, c’est la trinité de l’univers. Ibid., c. vu. Le « contracté », c’est la possibilité ou matière ; le « contractant », c’est la forme, l’âme ou l’acte ; le lien qui les unit, c’est le mouvement. A l’état absolu, la possibilité, c’est Dieu éternel, qui contient toute possibilité ; la forme, c’est le Verbe, qui contient toutes les formes ; le mouvement unitif, c’est l’Esprit, auteur de toute proportion et de toute harmonie. Ibid., c. vin.

La « contraction » entraîne nécessairement la multiplicité et la diversité. Tandis qu’en Dieu le maximum coïncide avec le minimum, aucun des êtres de l’univers, qui s’échelonnent tous entre le maximum et le minimum, ne coïncide avec un autre. Mais chaque individu cherche, sans jamais y arriver d’ailleurs, à réaliser la perfection de son espèce et de son genre. Ce mouvement tend en définitive vers Dieu, qui est cause finale de l’univers comme il en est la cause efficiente. Op. cit., t. III, ci.

3. Le Christ.

Au sommet des créatures, si l’on en excepte les anges, se trouve la nature humaine, qui « complique » en elle-même la nature intellectuelle et la nature sensible. Par le péché, le mouvement ascensionnel de l’univers se trouvait être arrêté et refoulé ; il ne pouvait aboutir que si un être supérieur le rattachait à Dieu. Cet être, ce fut le Christ, à la fois maximum absolu et maximum contracté, créateur et créature, dans la personne de qui coïncident la divinité et l’humanité, ainsi que la nature et la grâce. Ibid., c. ii-iv. Son humanité ne fut pas seulement individuelle, comme celle des autres hommes : Jésus fut l’homme parfait, Vhomo maximus, en qui la nature humaine impliquait toute la puissance de l’espèce ; c’est pour cela, d’une part, qu’il ne pouvait naître

DICT. DE THÉOL. CATH.

par voie purement naturelle, d’autre part, qu’en lui les péchés de tous ont pu être rachetés. Pour atteindre sa tin, l’homme doit doue s’unir aussi étroitement qlie possible au Christ, par la foi et les œuvres. Le Christ apparaît ainsi, dans l’ordre des choses comme une natura média, « compliquant » en lui-même toutes les natures et entraînant par là l’univers entier au plus haut degré possible de perfection. Ibid., c. ii-vi.

4. La théologie mystique.

Nicolas de Cues voyait dans la docte ignorance le point de départ de la théologie mystique : il identifiait la coïncidence des contraires avec le seuil du paradis où Dieu se tient dans le « nuage ». Au delà, s’étend, disait-il, le domaine de la foi et de la vision. La foi doit y servir de guide ; elle est le commencement de l’intelligence parce qu’elle « complique » toute intelligence. Le désir doit y porter avecardeurjusqu’aumoment oùl’onest élevé à « l’intellectualité simple », où l’on passe pour ainsi dire du sommeil à l’état de veille, de l’audition à la vision, où l’on est, comme saint Paul, ravi en extase et admis à l’intuition de l’ineffable. Ibid., c. xi.

La foi, dont parlait Nicolas, était déjà une fol « formée par la charité ». Mais à mesure qu’il méditait sur la mystique, il comprit mieux comment, pour élever l’âme au delà du mur de la coïncidence, la voie de l’amour est la plus facile et la plus sûre, parce que « Dieu se fait connaître à celui qui l’aime ». Cela ressort surtout de sa correspondance avec les moines de Tcgernsee.

Interrogé par eux sur la question de savoir si l’ascension mystique peut se faire uniquement par l’amour en excluant toute connaissance, - il répondit négativement, se rangeant ainsi à l’avis de Gerson, contre le chartreux Vincent, prieur de la chartreuse d’Aggsbach. Il en donna d’abord cette raison psychologique que l’amour ne se porte que vers ce qui paraît bon. Correspondance, n. 4, p. 111-112 ; puis il ajouta cette explication plus profonde : Dieu est au delà de la coïncidence du vrai et du bien ; d’autre part, la charité parfaite est au-dessus de la coïncidence du contenant et du contenu, selon le mot de l’Écriture « celui qui demeure dans l’amour demeure en moi et moi en lui » ; donc l’amour de Dieu et la connaissance de Dieu ne vont pas l’un sans l’autre et, à la limite, ils se confondent pour ne faire qu’un. Correspondance, n. 5, 9 et 16, p. 113-114, 121-122, 134-135.

5. L’Église.

Les théories de la docte ignorance ont été appliquées par Cusa à l’Église, dans sa lettre à Rodrigue Sanchez. Op., p. 825-829. Il y distingue une Église accessible seulement dans la simplicité de l’intelligence : c’est l’Église triomphante ; une autre, accessible dans l’universalité de la raison : c’est l’Église militante, appelée corps mystique de Jésus, parce que la grâce de Jésus est « expliquée » en elle ; enfin une Église sensible, celle dont les membres se reconnaissent à des signes extérieurs. Cette dernière devait avoir un chef sensible : ce fut Pierre. L’Église était tout entière en lui complicative. Le pouvoir suprême compliqué en lui s’est trouvé « expliqué » dans l’Église ; Pierre embrasse dans saplénitudre tous les pouvoirs qui sont « contractés » diversement dans la hiérarchie ecclésiastique.

On a voulu tirer argument de cette application du rapport de complicatio et d’explicatio, pour en conclure que Nicolas de Cues renie les idées qu’il avait soutenues, dans le De concordantia catholica sur les pouvoirs respectifs du pape et du concile. On n’a pas remarqué que, selon lui, le pape n’a pas hérité directement des pouvoirs de Pierre. Entre le chef actuel de l’Église et son fondateur, il y a l’Église elle-même, qui est l’ « explication » de Pierre, dans la multitude des croyants. Voilà pourquoi, selon Cusa, le pape doit respecter

XI. — 20