Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/237

Cette page n’a pas encore été corrigée
459
460
NICEPHORK GREGORAS


ces terres dissidentes restent dans la mouvance spirituelle de Byzance, couvre les appels de l’amitié, et Grégoras est alors soumis au régime des criminels politiques. Tout lui est interdit, même la société de ses livres ; le prince pense de la sorte venir facilement à bout de cette nature aggressive qui, lui semble-t-il. fait de la polémique par nervosité. Les sollicitations flatteuses et les odieuses intimidations dont il est l’objet irritent sa résistance et la fortifient. La surveillance devient de jour en jour plus tracassière et un nouveau patriarche, pour son coup de début, fait à nouveau excommunier le moine prisonnier.

Mais, quoi qu’on fasse, celui-ci est, en dépit d’une police soupçonneuse, renseigné sur tout ; il sait ainsi que les Églises de l’obédience byzantine ont rompu avec les doctrines officielles et que ses écrits, voire ses vies de saints dont la vogue fut si grande, viennent d’être mis à l’index. Par représailles, sachant d’ailleurs qu’au loin, à Antioche, comme à Jérusalem, on a les yeux sur lui, il rédige à la hâte et avec des moyens de fortune, d’août à octobre 1352, le récit des derniers événements qui, copié à de nombreux exemplaires par des amis, est bientôt dans toutes les mains. Dans le camp adverse, c’est alors une clameur homicide ; l’apparition successive des Réfutations dirigées contre le synode palamite d’août 1351, et des Seconds Antirrhétiques confirme la volonté d’en finir avec l’adversaire en lui ôtant la vie. C’eût été fait sans l’opposition de l’empereur que troublent les prédications de Grégoras. Car ce rude lutteur a un tempérament de devin. Sa réputation d’astronome est faite depuis longtemps ; n’a-t il p’s prédit plus d’un événement qui s’est réalisé à la lettre. Or, il déclare lire dans le ciel la ruine prochaine du palamisme et du pouvoir qui soutient la secte. Coïncidence fâcheuse : depuis que le propos a été rapporté au Palais, rien ne va au gré de l’empereur. La révolution gronde en province et la capitale nourrit une sourde agitation. Sacrifier l’homme qui semble posséder les secrets du ciel ne serait-ce pas précipiter de fâcheux augures ? D’autre part, Grégoras est informé que le monarque déchu, Jean V prépare sa revanche ; aussi rejette-t-il toutes les nouvelles avances de l’empereur, persuadé que les Cantacuzènes, trop liés avec le palamisme, ne rompront jamais parfaitement avec lui. Les espoirs du détenu se réalisent bientôt ; en décembre 1354, les Paléologues reconquièrent leur trône ; tous les prélats hésychastes, du patriarche au simple évêque, sont déposés, toutefois sans la violence habituelle. Grégoras qui taxe de faiblesse imprudente cette clémence, apparaît aussitôt à la cour et plaide en toute liberté la cause de l’orthodoxie. Il pousse à la manière forte.

Mais le parti adverse est resté trop longtemps au pouvoir pour qu’une mesure radicale soit possible. Jean V penche d’ailleurs vers une conciliation, et croit y travailler en admettant à la cour avec les mêmes honneurs les deux chefs opposés, Palamas et Grégoras. Une conférence contradictoire, voulue de ce dernier, n’a pas lieu. la basilissa Hélène croyant prudent pour l’honneur de son père, Cantacuzène, d’éviter au chef hésychaste une défaite qu’elle croit certaine. Les deux antagonistes s’affrontent cependant bientôt devant le légat d’Innocent VI, Paul, archevêque de Smyrne. La victoire reste indécise. Le résultat le plus clair est de donner un nouvel essor à la polémique théologique sur la lumière thaborique, et la distinction de l’essence et de l’énergie en Dieu. De nombreux adversaires, Cantacuzène à qui le cloître fait des loisirs, Palamas, Nicolas Cabisilas, Jean Calothétos, l’hacrasès et bien d’autres s’acharnent sur la personne et les écrits du vieux lutteur. Mais la réputation de Grégoras

est trop solidement assise, sa verve et son éloquence trop bien venues du peuple pour que cette campagne de diffamation puissent amoindrir son prestige. Aussi, dès cette époque, rien ne brise plus la trame de cette existence agitée ; le vieux chef reste chez lui, achève son Histoire et répond sans surseoir aux incessantes attaques qui lui parviennent de partout. Du moins, il est libre de ses actes et goûte sur le tard le plaisir de la lutte à armes égales, car si les pouvoirs publics n’aident en rien son effort en faveur de l’orthodoxie, si même à certains moments ils semblent de connivence avec ses ennemis, rien ne l’empêche de rendre au grand jour les coups reçus. Les hésychastes. n’osant toucher à sa personne après avoir fait serment de le tuer, s’acharnent sur ses écrits, en falsifient plusieurs et en détruisent le grand nombre.

Cette déloyauté porte le coup plus sensible à l’arnour-propre de l’écrivain, qui doit passer ses derniers jours à établir l’authenticité des ses propres œuvres. Il meurt sur la brèche, vraisemblablement au début de 1360 ; son cadavre est, ainsi qu’on le lui avait prédit, jeté à la voirie. Sa mémoire est exécrée de ceux qui ont osé profaner ses restes ! mais ses admirateurs, continuant son œuvre, célèbrent son exemple. L’un d’eux, Jean Cyparissiotès, peint assez bien le personnage, quoique avec une certaine pointe d’exagération, de la manière suivante : Un philosophe comme il n’y en eut pas de plus étonnant, un ascète dont aucun autre n’égalait le zèle, un lutteur qui dans les combats pour l’orthodoxie, sous des outrages de pirates, malgré les insultes, dans les prisons, montre une constance incomparable, Xicéphore Grégoras, dont les deux noms prédestinés, indiquaient que son esprit toujours en éveil et prêt à la lutte remporterait la victoire sur les ennemis de la foi. Palamilarum trangressionum liber, ex ; 1>. (, .. t. ci.ii, col. 733 D, 736 A.

Une paraît pas superflu de rechercher la raison d’une constance inébranlable dans la défense de l’orthodoxie. M. L. Bréhier (Journal des Savants, janvier 1928, p. 39) en a donné une explication ingénieuse, mais qui paraît bien avoir l’inconvénient de tous les systèmes. D’après cet auteur, à travers toute l’histoire byzantine, l’humanisme des rhéteurs se serait constamment opposé aux rêveries des moines réfractaires au culte des lettres. Grégoras. pur intellectuel, aurait ainsi combattu les hésychastes, par haine du mysticisme envahisseur. Q)uoi qu’il en soit de la valeur générale de la thèse, il est difficile de l’appliquer au moine de Chora. Un chapitre manque, en effet, au beau libre de M. Guilland : Grégoras ascète et mystique, où il eût pu facilement être prouvé qu’en cette âme ardente, ouverte à toutes les séductions de la pensée et à toutes les formes du sentiment religieux, la culture classique n’a nullement gêné les mouvements affectifs de l’âme vers l’au-delà. C’est à sa première éducation reçue d’un oncle pieux et plongé en Dieu. qu’à notre avis Grégoras dut le culte fervent et inconditionné de l’orthodoxie. Ses convictions religieuses sont partie intégrante de son patrimoine intellectuel, et font corps avec sa personnalité. Par orgueil national, il s’en est prévalu contre l’étranger : aux prises avec ses coreligionnaires, il leur est resté fidèle par atavisme et par reconnaissance ; mais, plus qu’aucun autre facteur psychologique, un immense amour-propre, qui affleure partout à travers son oeuvre, même dans de simples billets d’amitié, l’a contraint toute sa vie à n’avoir qu’une seule attitude. De beaux esprits qui furent un temps ses compagnons de lutte ont. sous ses yeux, passé à l’ennemi ; avec dédain il a souri de leur faiblesse. Lue capitulation même partielle eût trop coûté à sa vanité, car ce professeur qui avait enseigné avec éclat n’aimait pas qu’on lui fit la leçon : Je suis resté inébranlable, a-t-il