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NEWMAN (JOHN-HENRY), DANS L’EGLISE CATHOLIQUE


à nos yeux, c’est une question qu’il est à peine besoin de poser. » (Lettre à Lord Acton, 18 nov. 1873.) Peu après il quittait de nouveau le pouvoir. C’étaient les évoques irlandais qui avaient contribué à le discréditer, lui et son ministère ; et il prétendait, pour expliquer leur conduite, qu’ils avaient agi d’après les ordres de Rome. Dans cette hypothèse, la chute du gouvernement libéral était le premier triomphe du Vaticanisme, et le présage de ce qui viendrait ensuite. Dans un article publié par la Conlemporary review (octobre 1874), Gladstone employa des termes injurieux. On lui représenta qu’il avait eu tort. Il se mit alors, à son tour, à faire des représentations à ses adversaires. Ces représentations prirent la forme d’une brochure intitulée : The Vatican deerces in their bearing on civil Allegiance (Les décrets du Vatican et leur portée quant au devoir civique). La thèse en était la suivante : le catholicisme, tel que l’a défini le concile du Vatican, est incompatible avec le loyalisme visà-vis du pouvoir civil ; il est impossible qu’un bon catholique soit un Anglais loyal. Les exagérations des extrémistes et les malentendus de Gladstone combinés avaient réussi dans leur triste besogne ; la brochure se vendit par dizaines de mille, et en moins de deux mois, on en avait imprimé cent cinquante mille exemplaires. Dans tes conditions, il eût été imprudent de traiter par le mépris une attaque de cette envergure. Manning entra en campagne avec ardeur, rendit à Gladstone coup pour coup. Newman hésitait. Mais Gladstone, avait dit d’un ouvrage récent de Manning, Csesarism and itllramontanism, qu’il « donnait le vrai sens des déclarations papales et des décrets du Vatican, tels que les comprennent les ecclésiastiques les mieux informés » ; et Newman sentit que s’il gardait le silence, l’extravagance passerait pour l’orthodoxie catholique. Ce qui le décida, ce fut qu’il pouvait, en semblant prendre Gladstone à partie, répondre à Manning sans manquer aux convenances, et porter le coup de grâce aux extrémistes. Sa Leiler lo Ihe Duke of Norfolk (Lettre au duc de Norfolk) a donc une double signification. Elle établit d’abord et principalement que le catholicisme est compatible avec le loyalisme civique : Gladstone s’avoua vaincu sur ce point, et la question n’a plus jamais été soulevée depuis. La réponse de Newman était assez décisive pour clore la discussion. D’autre part, Newman disait en quoi il se séparait de Manning ; sur ce point, il avait tous les catholiques derrière lui ; mais à Rome régnait un certain malaise, aggravé par des informations reçues d’Angleterre. Le cardinal Franchi, de la Propagande, écrivit à Manning pour lui demander ce qu’il y avait lieu de faire : et Manning donna douze raisons pour que rien ne fût fait publiquement. A nouveau pressé d’agir, Franchi envoya à Ullathorne une liste de onze propositions qui avaient fourni matière à objection ; mais rien de sérieux n’était en jeu, et les choses en restèrent là.

En écrivant l’Apologia, Newman avait mis en œuvre e principe qu’il proclamait lui-même, à savoir que dans la recherche de la vérité religieuse, 1’ « égotisme est la vraie modestie » ; il avait suivi pas à pas son propre développement, et mis à nu, comme sous le scalpel d’un chirurgien, les motifs qui avaient fini par l’amener à l’Église. Et certes, il était de toute importance que, sur le moment, il se justifiât ; mais cette justification même entraînait, en vue d’une fin plus générale, l’examen d’un problème plus vaste. Il avait senti toute sa vie que l’assentiment donné par la foi supposait une philosophie, en prenant ce terme dans un sens que, philosophes et historiens avaient dans une large mesure négligé, ou volontairement ignoré. Si l’assentiment donné par la foi est rationnel, et si la religion est faite pour tous les hommes, il

s’ensuit que tous les hommes doivent être capables de justifier leur assentiment, et cela selon la raison, , même s’ils sont incapables de s’exprimer d’une manière adéquate. Ainsi les théologiens avaient traité fort longuement des preuves de l’existence de Dieu, mais le commun des croyants ne connaissait pas ces preuves classiques, et peut-être serait incapable d’en saisir le sens : comment donc pourrait-il justifier sa foi en raison ? C’était là un problème, non de logique abstraite, mais de logique concrète, personnelle, , individuelle ; Newman en avait fait pressentir la solution dans ses Univèrsity sermons. Il le reprit vers 1860 ; et après dix années d’un travail plusieurs fois interrompu ou suspendu, il livra au public le résultat de ses mûres réflexions, sous la forme d’un livre intitulé Grammar of assent (Grammaire de l’assentiment) (1870). On s’est complètement mépris sur la portée de cet important ouvrage ; c’est sur lui qu’on a fait reposer, dans une large mesure, la légende du « modernisme » de Newman ; nous avons donc cru bien faire de l’examiner en détail dans la seconde partie de cet article, à laquelle nous renvoyons le lecteur.

Après la publication de la Grammar of assent, Newman employa la plus grande partie de son temps à divers travaux de mise au point ; il prépara l’édition d’ensemble de ses œuvres, qui commença en 1869 par les Parochial sermons et se termina en 1883 par la Via média ; il mit ses papiers en ordre pour la postérité, et écrivit V Aulobiographical memoir que l’on trouve dans les Lelters and correspondence de Miss Mozley. Mais il accomplit aussi une certaine quantité de travail nouveau, dont on trouvera plus loin le détail. Ce travail avait trait surtout aux Pères ; Newman revenait ainsi à ses premières amours. La partie la plus significative n’en est pas la mieux connue, car il faut aller la chercher dans la réédition des conférences d’Oxford sur le Prophelical office, dont elle forme la préface (V. M., t. i, p. xv-xciv). Nous nous bornons à la mentionner ici, de peur qu’elle ne passe inaperçue.

Les honneurs suprêmes.

Manning avait grand

peur de voir « le vieil esprit anglican d’Oxford, patristique et littéraire, transplanté dans l’Église catholique » par l’action de Newman. Purcell, Manning, t. ii, p. 323. Or les années suivantes se chargeraient d’ajouter à ces paroles un commentaire inattendu. En 1877, Triniiy Collège, le collège où Newman avait vécu comme étudiant, le choisit comme « fellow » honoraire, lui faisant ainsi « un grand compliment, le plus grand peut-être, écrit-il, que j’aie jamais reçu » ; et en 1 879, il était élevé à la dignité de cardinal par Léon XIII, à qui le duc de Norfolk et Lord Ripon avaient exprimé le désir unanime des catholiques anglais.

Vu les circonstances, vu la manière dont il était conféré, c’était là un honneur unique dans les temps modernes, et Léon XIII, parlant de Newman, l’appelait « il mio cardinale », montrant ainsi combien il se réjouissait de ce qu’il avait fait. Aux yeux de tous les Anglais, le pape avait voulu, non pas tant reconnaître les mérites personnels de Newman, qu’honorer un grand Anglais ; et dans cette mesure le pays tout entier, sans distinction de croyance, participait à cet honneur. Rome ne pouvait rien faire qui dissipât aussi complètement le brouillard des préjugés et des malentendus qu’avaient amoncelé les siècles écoulés depuis le schisme. Quant à Newman, « le ciel, disait-il, s’était éclairé pour lui pour toujours. » Les principes pour lesquels il avait sans cesse combattu, quelque jugement que l’on portât sur lui, il les voyait enfin reconnus ; il pouvait compter sur le grand arbitre qu’est le temps, pour en assurer la victoire finale. Dans son discours en réponse au