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1471 MESSIANISME, LE TEMPS DE I/EXIL : LE LIVRE DES CONSOLATIONS 1472

maintenir l’appréciation de la critique évolutionniste. Ainsi Dùrr dans sa monographie, Die Stellung des Propheten Ezechiel in der israclitisch-jùdischen Apocalyptik, 1923 : Non seulement au point de vue formel, par ses visions, ses actes symboliques, son style, mais aussi au point de vue réel, surtout par sa description de l’expédition de Gog, Ézéchiel serait le premier représentant de l’eschatologie apocalyptique. Mais, à cet égard aussi, une rectification s’impose. La fausse conception du rôle littéraire d’Ézéchiel est principalement due à une confusion des idées relatives à l’eschatologie et aux écrits apocalyptiques. Cette confusion atteint son point culminant chez Dùrr quand il prétend, p. 105, qu’Ézéchiel « a été le premier, dans un but de consolation, à s’occuper d’une manière prononcée de l’eschatologie », et, p. 10, que le caractère principal des apocalypses est leur « contenu essentiellement eschatologique ». Les deux affirmations sont également inexactes. D’abord Ézéchiel est loin d’être le premier à s’ouvrir aux perspectives eschatologiques. Les prédictions de tous les prophètes antérieurs se rapportent à tel point à la fin de l’ordre actuel, que beaucoup d’exégètes modernes préfèrent les appeler non pas « oracles messianiques » mais « oracles eschatologiques ». En attribuant à Ézéchiel les premiers textes eschatologiques, Dûrr pense sans doute exclusivement aux chapitres xxxviii-xxxix ; mais par là il restreint, d’une façon arbitraire et inusitée, le sens du terme « eschatologique » et donne, comme nous le verrons tout à l’heure, au contenu de ces deux chapitres une importance exagérée.

La deuxième affirmation se rattache à une conception des apocalypses qui, pour être aujourd’hui communément reçue, n’en est pas moins fausse. Certes l’eschatologie forme Je contenu principal des apocalypses ; mais tel est aussi le cas pour les écrits strictement prophétiques, et les auteurs apocalyptiques ont, autant que les vrais prophètes, rapproché la fin des temps de leur époque. Au point de vue eschatologique, il n’y a donc pas de différence notable entre les livres prophétiques et apocalyptiques. Ce qui les distingue est tout autre chose, comme on le dira ultérieurement.

Outre ces conditions générales, c’est l’estime exagérée de l’épisode de Gog qui a amené Dùrr et ses prédécesseurs, à prendre le livre d’Ézéchiel pour l’inauguration du genre apocalyptique. La description de l’attaque suprême des peuples formerait « l’achèvement du tableau qu’Ézéchiel a tracé de l’avenir », p. 66. C’est par elle qu’il aurait exercé « la plus grande influence sur les siècles suivants », p. 90. Le fait qu’encore une fois il doit y avoir après le rétablissement d’Israël, « à la fin des temps », xxxviii, 16, une crise qui amènera la défaite définitive des païens serait devenu « le centre autour duquel se groupaient toutes les autres espérances », p. 90, « le point de départ de toute une dogmatique eschatologique », p. 65.

Il est indéniable que les chapitres xxxviii-xxxix forment la partie la plus originale du livre d’Ézéchiel, mais ils sont loin d’en être une partie intégrante. Ils pourraient manquer sans qu’il y eût de lacune. Par l’imagination exubérante qui s’y manifeste et par le caractère énigmatique de leur contenu, ils ne complètent pas, ils dérangent plutôt le tableau général dessiné par le prophète. D’autre part ce contenu n’est pas entièrement nouveau. Les oracles d’Isaïc qui se rapportent au siège de Jérusalem par Sennachérib ainsi que les psaumes qui y font écho, décrivent, également, la ruine définitive des païens devant les murs de la ville sainte ; de même Jérémie, xxv, avait annoncé le désastre général de tous les peuples. Ce qui est tout à fait nouveau, chez Ézéchiel, savoir que l’irruption des peuples ennemis se fera en plein

temps messianique, est une donnée tellement hors du cadre général du prophétisme qu’elle est et restera toujours obscure.

Pour ce qui regarde l’influence qu’Ézéchiel est censé avoir exercée par ces mêmes chapitres, elle ne se présente pas non plus comme aussi extraordinaire que Dùrr le prétend. Elle se constate chez Abdias, Zacharie et Joël, qui prédisent une attaque générale des peuples contre Jérusalem laquelle finira par leur défaite complète. Mais, pour leur conception de ce jugement des nations, ces prophètes dépendent en même temps d’Isaïe et de Jérémie, comme le montre la comparaison d’Abdias, 16 avec Jer. xxv, 15, 28 ; xlix, 12 ; de Zach., xii, 2 avec Jer. xxv, 15, 28 ; de Joël, iv, 10 avec Is., ii, 4. D’autre part ce qui est le plus caractéristique chez Ézéchiel, savoir que l’invasion des païens troublera la paix messianique déjà existante, est complètement perdu de vue par Abdias, Zacharie et Joël. Ce trait qui, d’après Dùrr, est si proprement apocalyptique, manque dans les apocalypses elles-mêmes, à l’exception d’Hénoch, lvi, et du IIIe Livre sibyllin, vers 657-667. Alors de quel droit nommer Ézéchiel le père de l’apocalyptique ?

Outre la bibliographie à la fin de l’article Ézéchiel, voir : Rothstein, Das Buch Ezechiel, dans Kautzsch, 4e édit., 1922, t. i ; P. Heinisch, Das Buch Ezechiel, 1923 ; J. Hermann, Ezechiel iiberselzt und erklàrt, 1924.

L. Gautier, La mission du prophète Ézéchiel, 1891 ; Kamrath, Der messianische Teil der ezechielischen Prophétie, dans Jahrbùcher fur proies lantische Théologie, 1891 ; Boehmer, Melek und nasi bei Ezechiel, dans Theologische Studien und Kritiken, 1900, Die prophetische Heilspredigl Ezechiels, ibidem, 1903 ; O. Norbeck, Den messianska Profetian hos Hesekiel, 1901 ; K. Begrich, Das Messiasbild des Ezechiel, dans Zeitschrift fur wlssenschaflliche Théologie, 1904 ; J. Laijciak, Ézéchiel, sa personne et son enseignement, 1906 ; Mesnard, Les tendances apocalyptiques chez le prophète Ezéchiel, 1909 ; W. F. Lofthouse, The prophet of reconstruction. A patriots idéal for a new âge, 1920 ; L. Diirr, Die Stellung des Propheten Ezechiel in der isrælitisch-judischen Apokalyptik, 1923.

ri. la seconde partie d’isaie. — La commission biblique, 29 juin 1908, relève "que dans les chapitres que la critique voudrait contester à Isaïe, le prophète s’adresse aux exilés comme s’il vivait au milieu d’eux : Judœos in exilio babylonico lugenles veluti inter ipsos vivens alloquitur et solatur. Cette indication engage l’exégète catholique à interpréter les textes dans le cadre de l’exil, comme l’ont déjà fait Touzard dans le Dictionnaire apologétique, t. ii, col. 1642 sq. ; Fischer, Isaias 40-55 und die Perikopen vom Gollesknechi, 1916, p. 45 sq. ; L. Dùrr, Ursprung und Ausbau der isrælitisch-judischen Heilandserwariung, 1925, p. 125 sq. ; Fr. Feldmann, Das Buch Isaias, 1926, t. ii, p. 13 sq.

Les chapitres XL à LV.

Ézéchiel avait

exercé son ministère dès le commencement de la captivité, c’est-à-dire à l’époque la plus dure de l’épreuve, alors que ne brillait aucune lueur de salut. Les prophéties d’Isaïe, xl-lv, nous transportent par contre à la fin de l’exil, au moment où la marche victorieuse de Cyrus fait poindre l’aurore de la délivrance. Aux Israélites qui suivaient avec une attention soutenue les conquêtes du roi perse, le prophète annonce que Babylonc sera bientôt renversée, que c’est même principalement dans le but de détrôner cette maîtresse orgueilleuse du monde oriental et de lui arracher les captifs d’Israël que Jahvé a appelé Cyrus, xi, i, 2 ; xlv, 4, et le conduit de victoire en victoire, xi.m, 14 ; xlv, 1-3. Il leur promet même qu’à peine ce héros aura-t-il pris Babylone, Jahvé se mettra en personne à la tête de son peuple pour le reconduire en Palestine. Dans l’exécution de cette œuvre, le Très-Haut est présenté tantôt comme un guerrier qui