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MESSIANISME, LE TEMPS DE L’EXIL : ÉZÉCHIEL


première fois il compare, comme Isaïe, Michée et Jérémie, le peuple des deux royaumes à un troupeau que ses bergers ont jusqu’ici négligé, exploité, dispersé. A l’avenir Jahvé s’occupera lui-même de ses brebis, les recueillera et les reconduira en Palestine, xxiv, 1-16, après avoir écarté du nouveau troupeau tous les mauvais éléments, xxxiv, 17-22. Il leur donnera un seul pasteur, « son serviteur David », xxxiv, 23-24 ; xxxvii, 15-28. Ézéchiel répète donc la dénomination que Jérémie avait appliquée au Messie. Les animaux sauvages, qui figurent les nations voisines, ne troubleront plus le bercail d’Israël. Des pluies abondantes produiront de riches pâturages jusque sur les hautes montages, xxxiv, 14, et partout régnera une grande fertilité, xxxiv, 26-27. Jahvé garantira la durée éternelle de cet état de choses par une nouvelle alliance de paix, et par son habitation au milieu du peuple, xxxiv, 24-28.

Dans une seconde description, xxxvi ; xxxvii, 1528, Ézéchiel s’adresse aux moritagnes : c’est en vain que les peuples des alentours se sont moqués d’elles, en voyant qu’elles restent à jamais dévastées. Précisément pour répondre à ces railleries, pour sauver son honneur, Dieu leur donnera de nouveau la verdure et les fruits. Il les invite à se parer pour recevoir dignement le peuple qui viendra bientôt. Les « rescapés » rebâtiront les villes et deviendront plus nombreux et plus heureux que jamais. Ils vivront comme dans l’Éden, xxxvi, 35. Cette prospérité leur adviendra non parce que entre temps ils s’en seraient rendus dignes, mais uniquement parce que Jahvé veut sauver son honneur. Comme pourtant la condition indispensable de tout ceci est la sainteté, Jahvé sanctifiera Israël par une intervention toute particulière. Celle-ci consistera d’abord en un acte extérieur et rituel : Dieu les aspergera d’une eau pure qui les purifiera. Il fera plus encore : conformément à une prophétie antérieure, il créera un cœur nouveau qui remplacera leur cœur de pierre, et il leur communiquera l’Esprit divin qui les amènera à observer les commandements du Très-Haut.

Dans un troisième tableau, qui est tout à fait propre à Ézéchiel, xl-xlviii, le prophète dépeint sous la forme d’une vision le nouveau temple comme formant avec son culte le centre de toute la vie des Israélites après l’exil, et le nouveau pays complètement transformé. En véritable architecte, il décrit d’abord, jusque dans ses moindres détails, le temple majestueux qui se dressera dans la ville sainte, xlxlii, ensuite, en prêtre enthousiaste, l’entrée de Jahvé dans le temple, l’inauguration de l’autel des holocaustes, le service des fêtes et des sacrifices, le ministère des prêtres, le rôle du roi et du peuple par rapport au culte, xliii-xlvi, finalement, en géomètre et économiste, la transformation et la répartition de la Terre sainte entre les douze tribus : une source jaillira du temple et deviendra un grand fleuve dont les eaux fertiliseront surtout la contrée si aride de l’Est et assainiront, en s’y jetant, la mer Morte elle-même. Dans le pays ainsi arrosé chaque tribu possédera une bande de terrain allant de la Méditerranée au Jourdain, XVLII-XLVIII.

Par cette description de la situation future d’Israël et de Canaan, il est certain qu’Ézéchiel n’a pas voulu parler uniquement en symboles, mais établir un code et dresser un plan qui, par la bonne volonté des hommes et davantage encore par l’intervention miraculeuse de Dieu, devait être un jour plus ou moins réalisé.

Pour couper court à tous les doutes qui pourraient être émis au sujet de la réalisation du salut tel qu’il l’a décrit dans cette dernière vision et tel qu’il l’avait déjà antérieurement exposé, xxxiv xxxvii, Ézéchiel communique à ses auditeurs une autre vision encore, la célèbre vision des ossements desséchés qui gisent dans une plaine et qui tout à coup sont revêtus de chair et de peau, et complètement ranimés. C’est ainsi que Jahvé ressuscitera le peuple du tombeau dans lequel il se trouve à présent, et le ramènera dans son pays. Il agira en maître absolu et tout-puissant ; tout essai d’empêchement tenté par un ennemi sera vain, xxxvii, 1-14.

Cependant une fois rétabli en Palestine et après avoir joui pendant un certain temps de sa tranquillité et de son bonheur, Israël aura à soutenir une dernière tentative faite en vue de troubler sa paix par tous les peuples ennemis de Dieu. Ils seront réunis en une armée immense sous le roi Gog qui les conduira contre Jérusalem. Mais, arrivés devant la ville sainte, Jahvé les renversera subitement et fera briller plus que jamais sa gloire devant les nations, xxxviii-xxxix. La prophétie relative à cette expédition dont le caractère mystérieux est encore augmenté par l’état imparfait et complexe de la forme littéraire, est peut-être la plus énigmatique de tout l’Ancien Testament. Elle introduit un élément tout nouveau dans les perspectives des temps messianiques qui se retrouvera plus tard sous d’autres formes.

Ce coup d’œil sur les oracles d’Ézéchiel montre que, tout en contenant plusieurs idées nouvelles, ils ne diffèrent cependant pas au fond de ceux des prophètes préexiliens. A en croire beaucoup de critiques, surtout ceux de l’école évolutionniste, il en serait autrement. Ézéchiel aurait inauguré un messianisme qui se distinguerait du tout au tout de celui de ses prédécesseurs, et qui aurait exercé une influence exceptionnelle sur celui de ses successeurs : il serait le père de l’apocalyptique, et c’est à partir de lui que les prophètes auraient pris un intérêt particulier à l’eschatologie.

Cette appréciation d’Ézéchiel est due en grande partie à ce que ces auteurs rendent le prophète responsable des lois rituelles contenues dans la quatrième source du Pentateuque (Code sacerdotal). De ce chef, ils ne le tiennent plus pour un vrai prophète. D’un côté, Ézéchiel n’aurait plus été un véritable homme de Dieu entrant, à la façon d’Isaïe et de Jérémie, en communication directe et intime avec Jahvé’: ses relations avec Dieu auraient été régularisées par un légalisme cultuel et extérieur. De l’autre, il n’aurait pas non plus été un véritable homme du peuple, adressant à ses auditeurs, en discours entraînants el spontanés, le message puisé dans son contact vivant et immédiat avec Dieu : la réflexion dogmatique, la composition littéraire auraient prédominé chez lui. Au point de vue messianique la conséquence serait que les oracles d’Ézéchiel contiennent, au lieu de prédictions sobres, des spéculations fantaisistes, des calculs artificiels sur les temps à venir et qui se rapportent de préférence à l’époque eschatologique, tout à fait comme ceux des auteurs apocalyptiques des deux derniers siècles avant J.-C.

Contre cette dépréciation du rôle prophétique proprement dit d’Ezéchiel une forte réaction s’est fait sentir ; voir le commentaire de Hermann et l’étude de J. Touzard sur Ézéchiel, dans Revue biblique, 1919, p. 5-88, dont voici la conclusion : « L’esprit prophétique n’a pas subi de déviation (en lui), quoi qu’en disent nombre de critiques indépendants », p. 88. Cette réaction a trouvé une expression singulièrement exagérée dans la critique si négative de Hôlschcr, qui, en ne laissant à Ézéchiel que quelques morceaux de son livre, l’a mis de nouveau sur le même rang que ses grands prédécesseurs.

Mais sur le rôle d’Ézéchiel par rapport à l’apocalyptique et à l’eschatologie, beaucoup ont cru devoir