Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/72

Cette page n’a pas encore été corrigée
1437
1438
MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : ISAIE


qui est encore plus claire. Isaïe y constate, plein d’amertume, que le gros du peuple ne prête pas foi aux révélations que Dieu lui accorde par son intermédiaire, et il annonce une troisième fois le châtiment qui viendra de l’Assyrie, et qui pèsera sur tout le pays comme une nuit sombre. Cependant il ne désespère pas. Au contraire, au milieu des plus épaisses ténèbres, il voit tout à coup surgir la lumière du salut. De cette lumière se réjouiront en premier lieu les contrées septentrionales de la Palestine, le pays de Zabulon et de Nephtali, qui, en effet, d’après IV Reg., xv, 29 et les annales de Teglathphalasar III, ont le plus souffert des campagnes assyriennes des années 734-732. Une joie immense régnera parce que le joug imposé par le conquérant sera enlevé, que le bâton de l’exacteur sera brisé et que toute trace de guerre, botte de soldat et manteau trempé de sang, disparaîtra.

Cependant la raison principale de la joie sera le fait qu’alors un roi montera sur le trône de David qui doit garantir à tout jamais la paix :

Un enfant naîtra, un fils nous sera donné ; La souveraineté sera sur son épaule et on le nommera Merveilleux-Conseiller, Dieu fort, père à jamais, prince

[de la paix.

Pour l’agrandissement de la souveraineté et pour la paix Sur le trône de David et dans son royaume, [sans fin

Pour l’affermir et le consolider par le droit et la justice Dés maintenant à jamais. Le zèle de Jahvé fera cela, ix, 6-7.

Il y a ici, comme dans vii, 14, l’annonce d’un enfant. Bien qu’il ne soit pas nommé Emmanuel, il est évident qu’il lui est identique. Ici et là son apparition coïncidera avec le changement de la situation malheureuse. Comme une date de ses toutes premières années doit marquer la fin du danger actuel, représenté par la guerre syro-éphraïmite, ainsi une date ultérieure de sa vie formera le terme de la détresse causée par l’invasion assyrienne. C’est lui qui maintiendra la paix et le bonheur par son gouvernement sage et juste. Il sera qualifié pour cela d’une façon extraordinaire. Il sera un conseiller merveilleux ; sa puissance sera telle qu’on le nommera Dieu fort. Ce titre est donné à Jahvé, Is., x, 21 ; Deut., x, 17 ; Jer., xxxii, 18 ; Neh., ix, 32. Pour Isaïe et ses auditeurs, ce terme appliqué au Messie n’a sûrement pas eu le sens métaphysique qu’on lui donne parfois maintenant. D’autre part, il n’est pas non plus uniquement hyperbolique suivant l’usage du style de cour employé dans l’Ancien Orient. Il exprime une nature surhumaine, une certaine participation à la vie et à la majesté divine. « La conception israélite tout en faisant une différence insurmontable entre Dieu et l’homme, a mis cette différence de côté uniquement pour le Messie… Mais l’idée du caractère divin du Messie restait obscure et imprécise », Feldmann, 1. 1, p. 120. Ce roi divin sera nécessairement pour son peuple un vrai père, un « père à toujours » et un prince de paix. Par lui se réalisera la promesse faite à David que son trône doit subsister à jamais.

Telle est l’explication de cette magnifique prophétie. Personne n’ose en nier le sens messianique. Mais beaucoup de critiques, surtout Marti, Hackmann, Volz, Cheyne, Guthe, la regardent comme inauthentique, comme postexilienne. D’autres, par exemple Baudissin, Cornill, Smend et surtout Duhm, la revendiquent pour Isaïe. Ce dernier critique dans la 4e éd. de son commentaire l’attribue à la fin de l’activité d’Isaïe. Mais à cause de la connexion étroite entre vii, 1, et ix, 1 (il s’agit chaque fois d’un enfant), et à cause de l’accord qui existe entre les descriptions des suites de l’invasion assyrienne données dans viii, 23, et dans les sources historiques, il

vaut mieux la laisser à l’époque de la guerre syroéphraïmite.

4. Immédiatement après l’échec et la retraite des armées de Pékah et de Rezin, le prophète fixe dans un discours solennel l’attention des Hiérosolymitains sur les graves dégâts causés par les envahisseurs : la dévastation totale du pays est la punition de leurs péchés. Ciel et terre doivent s’épouvanter de ce qu’Israël, élevé comme un enfant par Jahvé, le connaît moins que le bœuf son possesseur et l’âne l’étable de son maître, i, 2-3. Jahvé reste malgré tout prêt à leur pardonner : même si leurs péchés sont rouges comme la pourpre, ils deviendront blancs comme la neige, i, 18. Il est cependant inévitable que le peuple passe par un sévère jugement qui le purifiera comme le feu purifie le métal. Ce n’est qu’après ce jugement que Sion sera sauvée. (Nous plaçons donc le discours du premier chapitre à la fin de la guerre syro-éphraïmite et non en 701 après l’invasion de Sennachérib. L’état lamentable du pays que font supposer les ꝟ. 5-9 est suffisamment expliqué par ce qui est raconté IV Reg., xvi, 5, et surtout II Parai., xxviii, 5 sq., de l’issue de cette guerre, de sorte qu’on n’a pas besoin de penser à la dévastation due à l’armée de Sennachérib. En outre, les idées et le ton ne cadrent guère avec les discours qu’Isaïe a tenus vers 701, et dans lesquels il annonce continuellement la délivrance de Jérusalem et la ruine des ennemis, xxviii-xxxiii.)

5. Le peuple, au lieu de tenir compte du langage sévère d’Isaïe, se livre, par suite de la retraite de l’armée ennemie, à une joie folle. Le prophète lui fait savoir, xxii, 1-14, qu’il ne peut pas la partager. Il lui faut au contraire, pleurer sur la ruine de son peuple, xxii, 4. En esprit il voit la ville de nouveau assiégée, ses guerriers percés par le glaive, ses chefs mis en fuite. Ce désastre viendra parce que le peuple, dans son impardonnable insouciance, s’amuse et reste sourd aux appels à la pénitence. Dieu ne leur pardonnera pas ce péché : il faut qu’ils paient cette frivolité par la mort.

(Ce discours, bien qu’à peu près tous les exégètes le supposent prononcé, comme celui du c. i, à l’occasion de l’invasion de Sennachérib, après la retraite provisoire ou définitive de l’ennemi, ne peut, nous semble-t-il, être mis dans la bouche du prophète à cette époque ; car le langage d’Isaïe en 701 est encore bien plus opposé à celui de xxii, 1-14, qu’à celui du c. i. La situation extérieure de xxii peut aussi bien être celle de 735 que celle de 700.’Le ꝟ. 6 qui mentionne Élam et Kisch fait difficulté dans les deux cas et le mieux est de le regarder avec Guthe, p. 626, comme ajouté après coup. Beaucoup plus que xxxii, 12-14, que Duhm place avant les discours de 701 contenus dans xxviii-xxxiii, il faut regarder xxii, 1-14, comme antérieur à ces chapitres.)

3° Prophéties de l’époque de l’invasion de Sennachérib (701). — Ce fut donc au moment d’un grand danger national, causé par les rois de Syrie et de Samarie, qu’Isaïe prononça les célèbres oracles messianiques que nous venons d’étudier. Pour en trouver de semblables il faut descendre jusqu’à la fin de sa carrière. A l’occasion d’un autre danger, bien plus grand encore, provoqué par l’invasion de Sennachérib, le prophète eut alors des visions qui égalent celles de la guerre syro-éphraïmite, tandis que les quelques discours qui se placent entre les deux dates de 734 et 701 n’ont aucune portée messianique.

Les Assyriens avaient détruit le royaume de Damas et de Samarie et menaçaient de plus en plus Jérusalem elle-même. Sennachérib s’apprêtait à achever la conquête des États situés le long de la Méditerranée. Ceux-ci, comptant sur l’aide de l’Egypte, formèrent une ligue contre l’Assyrie. Ézéchias, le successeur