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1435 MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : ISA1E

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des expressions si absolues que l’indignité même du roi n’y changera rien. Sans doute le refus du roi mérite une punition. Aussi est-elle longuement décrite dans les ꝟ. 17-25 : le roi assyrien, en lequel Achaz a tant de confiance qu’il croit pouvoir se passer de l’aide du ciel, ravagera la Judée. Mais la guerre syro-éphraïmite elle-même aura une issue favorable pour Achaz. Il s’ensuit que le signe que Jahvé veut donner lui-même aura le même but et le même caractère que celui que le roi aurait dû demander, c’est-à-dire qu’il sera un miracle par lequel le Très-Haut révélera d’une façon éclatante sa toute-puissante protection contre les rois Pékah et Rezin.

Ce signe ne peut être contenu que dans la phrase : Ecce virgo concipiet, etc. ; car cette phrase est introduite solennellement par ecce et rattachée étroitement par la même particule à l’affirmation que Jahvé donnera lui-même un signe ; elle précède en outre l’assurance réitérée que les deux ennemis ne prévaudront pas, vii, 16, échec que le signe doit précisément garantir d’avance. Or cette proposition annonce deux choses : la naissance et la dénomination d’un enfant. La seconde, savoir que l’enfant s’appellera Emmanuel, est un indice préalable de l’aide de Dieu dans le danger actuel, mais elle n’est pas le signe, quoi qu’en disent aujourd’hui presque tous les exégètes protestants, car le contexte exige comme signe un miracle. Le signe ne peut donc consister que dans le premier fait : ecce virgo concipiet et pariet filium. Or, parmi les mots qui l’annoncent il n’y en a qu’un seul qui soit apte à exprimer un miracle, c’est celui de virgo, ce qui veut dire que le signe est la conception virginale de l’enfant. Si dans le texte hébreu betoula correspondait à virgo, terme qui ne signifie que vierge, on n’en aurait jamais douté. Mais nous y lisons aima, mot qui signifie seulement « jeune fille » non mariée, Gen., xxiv, 43 ; Ex., xi, 8 ; Cant., i, 3 ; vi, 8 ; Prov., xxx, 19. Cependant aima est ici équivalent à betoula ; car une jeune fille non mariée doit être supposée vierge jusqu’à preuve du contraire, comme l’a très bien dit Tobac, article Isaïe, t. viii, col. 36, et le prophète n’aurait pas employé ce terme, mais celui de iSSa « femme », s’il n’avait pas voulu exprimer un privilège unique qui distingue cette mère de toutes les autres, et qui consiste en ce qu’elle ne conçoit pas d’une façon ordinaire, c’est-à-dire en contractant un mariage.

Il faut conclure que le signe consiste dans la naissance virginale. Dans cette prédiction, il ne s’agit donc pas en premier lieu de l’enfant qui va naître, mais de sa naissance miraculeuse. C’est si vrai que cet oracle à lui seul ne suffit pas à déterminer l’enfant. Pour cette raison, les protestants qui rejettent l’idée qu’il est ici question de naissance virginale se croient en droit de prétendre qu’il ne s’agit pas d’un enfant déterminé, mais de tous les enfants qui naîtront dans l’intervalle d’un an et auxquels leurs mères pourraient donner le nom d’Emmanuel, opinion dénuée de tout fondement, ne fût-ce qu’à cause du mot aima.

C’est seulement dans ses prophéties ultérieures qu’Isaïe a explicitement fait connaître que l’enfant annoncé est le Messie. Il en résulte que le nom d’Emmanuel avait été donné d’avance à l’enfant non seulement parce qu’il présage le salut de Juda, mais aussi parce qu’il est conforme à la nature surhumaine de l’enfant. Mais à l’époque où Isaïe parlait devant le roi, les auditeurs ne pouvaient pas encore saisir le sens total du nom d’Emmanuel ni le rôle messianique de celui qui le porterait. On ne lient pas d’ordinaire suffisamment compte de ce fait.

La naissance miraculeuse d’Emmanuel apparaît nécessairement comme prochaine ; car elle doit être le signe apte à consolider la foi d’Achaz. En effet,

Isaïe annonce, au > 16, qu’avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays des deux ennemis sera dévasté. Comme Emmanuel est le Messie, celui-ci semble être attendu pour bientôt. De tout temps on a vu là une difficulté. Pour la résoudre on a, surtout autrefois — aujourd’hui Feldmann l’essaie encore — recouru à l’anticipation prophétique, c’est-à-dire à la supposition que sa vision montrait au prophète le Messie tout près ; dans les temps modernes on a invoqué soit le prétendu sens hypothétique de la particule hinne (= ecce) : Si la Vierge enfantait maintenant, etc., soit l’idée que le signe n’est pas du tout la naissance virginale, mais la dévastation de la Palestine par le roi assyrien. Toutes ces explications sont contredites par le sens obvie du texte, par la grammaire, et reposent en outre sur des changements arbitraires du ꝟ. 16. Voir L. Dennefeld, Le « signe » dans la prophétie d’Emmanuel, dans Bévue des sciences religieuses, 1927, p. 69-86.

Aussi bien n’a-t-on aucunement besoin de recourir à ces moyens artificiels pour comprendre la prophétie sur la naissance de l’Emmanuel ; car elle correspond à une loi générale qui domine, comme nous le verrons, la plupart des prophéties de l’Ancien Testament et qui consiste en ce que les prophètes présentent souvent l’ère messianique comme proche. C’est la loi du raccourci en perspective comme s’exprime Fr. Delitzsch, Messianische Weissagungen, 1890, p. 99, et aussi Fillion, Essais d’exégèse, 1884, i, La prophétie de la vierge mère et d’Emmanuel, p. 98.

2. Cette première prophétie sur l’Emmanuel a été complétée et développée par d’autres qu’Isaïe a prononcées bientôt après. D’abord à l’occasion d’une nouvelle description de l’invasion assyrienne, viii, 5-10, qui suit à peu d’intervalle celle de vii, 17 sq. Le prophète y dit que, parce que Juda a méprisé les eaux de Siloé qui coulent doucement, c’est-à-dire l’action protectrice de Jahvé à Sion, les eaux grandes et puissantes de l’Euphrate, savoir l’armée assyrienne, inonderont la Terre sainte. Consterné par ce danger, Isaïe s’adresse tout à coup, comme dans un appel pressant, à celui qu’il avait annoncé peu de temps auparavant à Achaz, en s’écriant : « Elles couvrent toute ta terre, ô Emmanuel ! » La pensée d’Emmanuel ranime son courage à tel point que, dans un transport de joie hardie, il invite toutes les nations, même celles des pays lointains, à venir attaquer le peuple de Dieu, leur annonçant d’avance qu’elles seront confondues, viii, 9-10. La terre de Juda, qui est souvent nommée la terre de Jahvé, est ici désignée comme appartenant à Emmanuel : d’où il suit qu’il en est le roi. Et comme l’attente de ce roi inspire à Isaïe une confiance absolue en face du monde entier, il est plus qu’un roi ordinaire, il est le roi par excellence que David a nommé l’Oint, le Messie.

Pour écarter l’idée que la Palestine serait le pays d’Emmanuel, quelques critiques, par exemple, Cheyne, Marti, Guthe, changent d’une façon arbitraire la fin de viii, 8, et éliminent surtout le suffixe de la seconde personne : ton pays. Duhm, qui avait introduit ce changement l’a de nouveau abandonné, dans la quatrième édition de son commentaire, 1923, p. 81. Il prend maintenant toute la seconde partie du ꝟ. 8 pour une glose tardive ; par contre il défend contre Guthe et Marti l’authenticité des versets 9-10 et les apprécie même de la façon suivante : « Il s’agit ici pour Isaïe non seulement du danger syrien ; pour lui le monde est entré dans la grande crise spirituelle qui doit décider de ses destinées… La prophétie d’Israël atteint ici une hauteur royale » p. 82.

3. Si quelque doute avait pu exister sur l’identité entre Emmanuel et la personne du Messie, il aurait été dissipé par une troisième prophétie, viii, 23-ix, f>