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MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : ISAIE


contraste des promesses avec le contexte ne prouve pas contre leur authenticité ; car la composition des livres prophétiques, moins encore que celle des écrits législatifs et historiques de l’Ancien Testament, ne saurait être comparée à la rédaction des ouvrages modernes. Ni le point de vue logique ni le point de vue chronologique n’y président d’une manière absolue. Souvent, d’ailleurs, ce ne sont pas les prophètes eux-mêmes qui ont fixé par écrit et collectionné leurs oracles.

2. Déjà les premiers discours d’Isaïe, ii, 6-v, 24, révèlent la tendance comminatoire. Ils sont pleins d’accusations contre Juda à cause de l’idolâtrie, des mœurs païennes, de l’orgueil que la situation opulente du pays inspire à ses habitants. Isaïe y fait retentir des cris de malheur et prédit à plusieurs reprises un jugement sévère. A l’exemple d’Amos, il nomme l’intervention de Dieu, le jour de Jahvé des armées, ii, 12. Quand le Très-Haut se lèvera, l’éclat de sa majesté terrifiera la terre, ii, 19. Les idoles disparaîtront avec tout ce qui rend pour le moment les Judéens si fiers, ii, 12 sq. Jérusalem et Juda tomberont, iii, 8, la vigne de Jahvé deviendra un désert, v, 6.

Ce jour ne sera pourtant pas uniquement un jour de ruine et de ravage. Déjà, au milieu des menaces, Isaïe laisse entrevoir, iii, 12-15, qu’à côté des coupables" il existe encore des justes et que Dieu rendra justice à son peuple (LXX) opprimé et égaré parles chefs et les princes. A la fin du discours qui contient cette allusion au salut, il en donne une description explicite, iv, 2-6. Ce salut sera réservé à ceux qui auront échappé aux terreurs du jugement, savoir aux justes qui étaient inscrits pour la vie à Jérusalem, c’est-à-dire à ceux qui étaient prédestinés à survivre. Le salut consistera dans un triple avantage. D’abord les réchappes seront heureux : une grande fertilité du pays leur procurera un tel bien-être et une si grande richesse, qu’il en résultera pour eux une gloire devant le monde entier, iv, 2. C’est le seul sens^possible de ce verset. Bien que le terme « germe » qui s’y trouve employé soit plus tard dans Jérémie, xxiii, 5, et dans Zacharie, ni, 8 ; vi, 12, une désignation du Messie, il ne peut avoir ici, à cause du parallélisme avec « fruit de la terre », que le sens de produits du sol, sens qui se rencontre aussi dans d’autres passages, par exemple, Gen., xix, 25. Tout au plus peut-il signifier que le sol, outre sa production naturelle, donnera par suite d’une bénédiction spéciale de Dieu, des récoltes tout à fait extraordinaires. Puis les élus seront saints : Jahvé aura lavé la souillure des filles de Sion et effacé à Jérusalem les taches de sang. Enfin ils jouiront d’une présence particulière de Jahvé qui viendra (LXX) sur Sion et sur ses assemblées d’une manière visible sous la forme d’une colonne de fumée et de feu comme lors de l’Exode. (Duhm, Marti, Cheyne, Guthe rejettent cette prophétie ; d’après Duhm et Guthe elle aurait été composée seulement au ine siècle. Le style et le contenu seraient en désaccord avec les textes authentiques d’Isaïe. Skinner, Gondamin et Feldmann relèvent avec raison que les idées principales de ce passage, salut d’un reste et purification par le jugement, se trouvent aussi ailleurs chez Isaïe.)

3. Cette magnifique prédiction du salut messianique suit immédiatement les reproches si connus que le prophète a faits aux femmes de Jérusalem. Un autre texte tout à fait analogue appartient très probablement à la même époque : xxxii, 9-20. Isaïe y accuse une seconde fois d’une façon particulière les femmes de la capitale qui sont si insouciantes et si peu attentives à ses exhortations. Il leur annonce que dans l’avenir elles deviendront anxieuses. Toute joie cessera. Les vergers et les vignes seront ravagés et les maisons détruites. Cette désolation durera jusqu’au moment où sera répandu * l’esprit d’en haut », qui transformera

toute la nature déserte et les cœurs pervertis. Justice, paix et bonheur régneront alors partout.

Presque unanimement on attribue cet Oracle à l’époque qui précéda l’invasion de Sennachérib (701) parce qu’on interprète l’indication de temps qui se trouve au t. 10 : « en des jours à l’année » (iamim al sana) dans le sens de « après plus d’un an ». Mais cette expression peut aussi bien signifier « après des jours et des années », et la perspective du prochain avenir est ici tout autre que dans les discours de cette époque tardive. Pour ces raisons nous suivons Duhm qui place cet oracle au commencement de l’activité d’Isaïe.

2° Prophéties du temps de la guerre syro-éphraïmite (vers 735). — La paix et la prospérité dans lesquelles Juda s’était trouvé durant les premières années du ministère d’Isaïe furent subitement troublées par deux dangers. L’un provenait de l’Assyrie, qui se relevait d’une léthargie transitoire, l’autre de la Samarie et de la Syrie qui déclaraient la guerre à Achab, parce qu’il ne voulait pas entrer dans une coalition contre Ninive. Dans son manque de confiance et son imprévoyance, le roi, pour parer au danger le plus imminent, l’attaque de Pékah et de Rezin, s’adressa à Teglathphalasar III pour qu’il vînt à son secours, et par cette démarche rendit le premier danger plus menaçant qu’il ne l’était.

Cette situation compliquée appela Isaïe à une activité intense dont nous avons des documents très importants dans les discours contenus en vii, l-ix, 7, et en ix, 8-x, 4 + v, 25-30. Ces discours sont pour le messianisme d’une portée exceptionnelle. Au moment du danger suprême, Isaïe prévit et annonça non seulement le salut messianique, mais aussi le Messie sauveur. C’est donc à lui que revient le mérite d’avoir introduit pour la première fois dans la littérature strictement prophétique l’idée du Messie personnel.

1. Lorsque les rois de Damas et de Samarie s’approchèrent de la ville sainte, le prophète alla trouver Achaz, pendant que celui-ci inspectait les fortifications et la conduite d’eau, pour annoncer au roi, sur l’ordre de Dieu, l’échec certain de ses deux ennemis Pour confirmer sa promesse, il lui offrit un signe, c’est-à-dire un grand miracle, dont le choix restait réservé au roi. Celui-ci, par suite de son scepticisme, s’y refusa. Plein d’indignation, le prophète lui reprocha son attitude honteuse envers Jahvé, ajoutant que Dieu lui donnerait néanmoins un signe : « Voici la vierge est enceinte et enfante un fils qu’elle appellera Emmanuel (Dieu avec nous) », vii, 14.

Comme cette phrase suit immédiatement l’annonce du signe et que Jahvé avait promis comme signe un fait miraculeux, on a, jusqu’au xixe siècle, unanimement interprété le ꝟ. 14 dans ce sens qu’il indique le signe promis, que ce signe est un miracle, et que ce miracle est la naissance virginale d’Emmanuel. Mais l’exégèse moderne, tant protestante que catholique, abandonne de plus en plus cette explication. Les protestants le font parce qu’ils ne reconnaissent plus la portée messianique de cette prédiction ; pour eux le signe ne consiste que dans le nom symbolique d’Emmanuel, donné d’avance comme garantie du salut promis et prochain. Les exégètes catholiques, tout en maintenant la naissance virginale d’Emmanuel, contestent qu’elle représente le signe et croient de cette façon pouvoir mieux défendre le sens messianique du texte.

Or il pourrait bien y avoir erreur des deux côtés. Pour comprendre le ꝟ. 14, passage discuté aujourd’hui plus que jamais, il faut tout <f"abord tenir compte du fait que Jahvé, vii, 4-9, vient de promettre le salut qu’obtiendra Jérusalem dans le danger actuel en