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MYSTIQUE, QUESTIONS THÉOLOGIQUES


tion. Il s’agit de la sainteté proprement dite, c’est-à-dire de la pratique au degré héroïque de toutes les vertus chrétiennes ; il s’agit de la « grande sainteté, de celle qui mène ouvertement à la canonisation », comme s’exprime le P. Poulain, op. cit., c. xxviii, p. 518. Et d’autre part, il s’agit des grâces mystiques proprement dites, c’est-à-dire extraordinaires, miraculeuses, et non pas seulement de grâces éminentes, d’une prise de possession de plus en plus complète de l’esprit de l’homme par l’Esprit de Dieu, qui peut bien constituer le mystique au sens large, mais qui se distingue du vrai mystique. « Tout le monde, } en effet, admet que la sainteté suppose nécessairement une vie habituelle d’union à Dieu, la docilité constante aux inspirations de l’Esprit-Saint, qui prend ainsi peu à peu la direction complète de l’âme dans toutes ses démarches, … autrement dit un développement constant de l’action des dons du Saint-Esprit. Tout le monde admet que l’âme vraiment généreuse et mortifiée arrivera, si elle persévère, à cet état… Si donc, avec le P. Arintero, ou comprend d’une façon générale tous ces faits et ces états sous le nom de faits et états mystiques, je ne crois pas que personne… conteste sa thèse : en ce sens toutes les âmes sont appelées à la vie mystique, et sans elle il n’y a pas de sainteté. » Revue d’ascétique et de mystique, 1921, p. 184185. Mais reconnaître la nécessité, pour la sainteté, de ces grâces éminentes, que l’on ne peut appeler mystiques que dans un sens large, c’est enfoncer une porte ouverte et passer à côté de la question.

C’.est aussi mal poser la question que de se demander si la contemplation infuse est nécessaire pour parvenir à la sainteté ; comme si toute la mystique se ramenait à une forme d’oraison, à un « état d’oraison ». M. Maritain a pris la peine de signaler cette méprise dans l’article, Question sur la vie mystique et la contemplation, dans La vie spirituelle, mars 1923, p. 636-650. Il s’agit donc de savoir si, pour devenir un saint, pour pratiquer jusqu’à l’héroïsme pendant un temps plus ou moins long — car le P. Poulain distingue à ce sujet les martyrs des autres saints, encore qu’on puisse se demander si les martyrs eux-mêmes n’ont pas eu besoin des grâces mystiques proprement dites — toutes les vertus chrétiennes, il est ou il n’est pas nécessaire d’être soutenu, encouragé, par ces « faveurs » divines, qui constituent les phénomènes mystiques à proprement parler.

En fait, « presque tous les saints canonisés ont eu l’union mystique ; et généralement avec abondance », Poulain, op. cit., p. 518. Tel est le résultat d’une « étude historique » à laquelle s’est livré le P. Poulain. Il n’ose pas cependant en conclure « qu’il existe un lien presque nécessaire entre ces grâces (extraordinaires) et la sainteté… Le faithistorique ne prouve pas que les grâces extraordinaires soient une condition presque nécessaire de la sainteté, mais simplement que, dans sa générosité, Dieu s’est plu à accorder aux saints canonisés bien au delà du nécessaire. En a-t-il fait autant pour d’autres saints qu’il voulait laisser inconnus ? Et continuera-t-il à le faire habituellement dans l’avenir pour ceux qu’il veut mettre en lumière ? Nous l’ignorons. » Op. cit., p. 519.

En restant sur le terrain des faits, on pourrait, semble-t-il, accentuer la restriction exprimée par le P. Poulain. Nous avons signalé, cf. supra, col. 2641, l’opinion de saint François de S’ales, que discute le P. Poulain, ibid., p. 518-519. On pourrait par conséquent admettre la célèbre théorie des deux voies, l’une ordinaire, l’autre extraordinaire, pour parvenir à la perfection, à la sainteté, et l’en ne manquerait pas de témoignages en sa faveur. C’est sainte Thérèse, passage cité. col. 2(30 ; saint François de Sales, cf. col. 2641 ; saint Alphense de Liguori : Tulior via est

desiderare et exspectare tantummodo unionem activam quæ, ut diximus, est unio voluntatis noslrse cum divina voluntate (Homo aposlolicus, Append. i, p. 23), cité Revue d’ascétique et de mystiques 1924, p. 297 ; voici Tauler : « Les vrais pauvres d’esprit, qui se sont reniés eux-mêmes et ont renié leur intérêt propre… suivent Dieu partout où il les veut, soit au repos, soit à l’action… Si maintenant quelqu’un de ces hommes ne sent pas Dieu, ne le goûte jamais, si jamais ses efforts n’ont eu de succès, qu’il souffre patiemment ^ette pauvreté, car il peut être élevé plus haut, dans la souffrance et le délaissement, que dans l’activité et l’abondance. Que l’homme s’en tienne alors à sa sainte foi. » Cité Revue des sciences phil. et théol., 1921, p. 220, note.

Le P. Antoine du Saint-Esprit, après saint Jean de la Croix, a remarqué que les grâces mystiques sont parfois refusées aux parfaits ; qu’ils ne s’en découragent pas : nam si perfectam habuerinl sum voluntatis unionem cum divina, magis Deo placebunt et plus acquirent merilorum, quam si contemplatione supernaturali fruerentur, cum in hac unione sit perfeclio charitalis, ad quam média contemplatione quilibet aspirare débet. Et hœc unio voluntatis et desiderii Deo placendi et flagrantia chariialis sunt perjecta contemplalio, ut ait Auguslinus. Cité Revue d’ascétique et de mystique ?

1921, p. 183.

Marie des Vallées, consultée sur ce sujet en 1653, répondait : « Cette voie (la voie mystique) est très bonne en soi…, mais elle est rare ; c’est pourquoi il est facile de s’y égarer… Cette voie est pleine de péril : il faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et la perte de temps. Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-même et à la perfection. Les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit plus excellente ; celle des croix est bien plus noble, parce que c’est celle par laquelle le roi des rois a marché. Il est vrai que celle-là est toute couverte de fleurs et celle-ci d’épines, mais celle-ci est bien plus courte que celle-là. » Cité Revue d’ascél. et de mysl.,

1922, p. 91.

Enfin, car il faut se borner, le cardinal Billot, parlant des différents modes d’exercice des dons’du Saint-Esprit, déclare : Alius est modus, isque plane extraordinarius, qui etsi ad sublimem etiam sanctitatem

    1. NEQUAQUAM NECESSABIUS DICENDUS EST##


NEQUAQUAM NECESSABIUS DICENDUS EST, Ut plurimum

tamen… invenitur… in oratione quieds, unionis simplicis, unionis exlalicæ et unionis consummatæ, quæ cmnes sub nemine generico conlemplaiionis in/uste veniunt. Cité Revue d’ascét. et de mysl., 1922, p. 280, note 1.

Le P. M. de la. Taille aborde cette question de la nécessité des grâces mystiques [pourquoi donc ajout et-il « ou contemplation » ? ] pour parvenir à la sainteté, dans L’oraison contemplative, Recherches de science religieusd, 1919, p. 273-292, et dans une lettre de réponse aux observations faites par le P. Bainvel sur cet article ; cf. Introduction à la 10e édition des Grâces d’oraison du R. P. Poulain, par J. V. Bainvel, p. lvlxiii et i.xxxi-lxxxvi. L’auteur < estime que les grâces mystiques deviennent, à un moment donné pratiquement nécessaires pour continuer à avancer dans la note de la sainteté : la grâce commune ne faisant que surnaturaliser les moyens et ressources de notre psj’chologie humaine, un moment viendra où ces moyens, même ainsi surnaturalisés, seront insuffisants pour avancer encore : il y faudra les éléments ultra-humains des états mystiques », Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 214. Les raisons du P. de